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Au total, 228 défenses d'éléphants et 74 pièces d'ivoire, dissimulées à bord d'un grand camion blanc, sont saisies. La police refuse ce jour-là un pot-de-vin de cinq millions de shillings (46.000 euros) et procède à deux arrestations.
Cette saisie d'ivoire est l'une des plus importantes jamais réalisées dans le pays d'Afrique de l'Est. Mais le cerveau présumé du trafic, Feisal Mohamed Ali, 46 ans, réussit à prendre la fuite.
Un mois plus tard, le Kényan, l'un des suspects de "crimes contre l'environnement" les plus recherchés par Interpol, est arrêté en Tanzanie voisine, et renvoyé dans son pays.
Il y est alors inculpé d'infraction à la législation sur le commerce des dépouilles issues de la faune sauvage et de possession illégale de pièces d'ivoire, des crimes passibles de la prison à vie quand ils concernent des espèces protégées comme les éléphants.
L'arrestation de Feisal Mohamed Ali provoque en soi un petit coup de tonnerre: les chefs présumés des réseaux de contrebande se retrouvent rarement sur le banc des accusés. Ce sont généralement les petits braconniers, les derniers au bout de la chaîne du trafic, qui paient pour l'ensemble du réseau.
Et les défenseurs de l'environnement espèrent que son procès permettra enfin d'exposer au grand jour les ramifications du trafic d'ivoire, depuis la source dans les réserves africaines, jusqu'aux marchés asiatiques.
"Les gens qui se font arrêter sont généralement des petits poissons, les braconniers ou les intermédiaires", explique Mary Rice, de l'Agence d'investigation environnementale, basée à Londres et qui vient de révéler l'ampleur du trafic d'ivoire en Tanzanie. "Aucun baron n'a été poursuivi".
Les braconniers sont rétribués une centaine de dollars le kg d'ivoire. Faciles à remplacer, ils ne savent eux-mêmes rien, ou presque, du reste du réseau.
Selon les experts, le trafic est en fait contrôlé de bout en bout par des réseaux internationaux de crime organisé, dont l'efficacité est telle que les éléphants d'Afrique sont aujourd'hui purement et simplement menacés d'extinction.
Selon une étude du Programme de l'ONU pour l'environnement et d'Interpol publiée en 2013, jusqu'à 25.000 éléphants sont tués tous les ans, pour alimenter un trafic mondial de quelque 188 millions de dollars (162 millions d'euros).
"C'est du crime organisé", dénonce Ofir Drori, de l'Eagle Wildlife Law Enforcement, une ONG spécialisée dans les enquêtes contre les crimes environnementaux. "Ce n'est pas un problème africain, c'est un problème mondial".
Les trafiquants s'approvisionnent dans les réserves d'Afrique centrale et orientale - essentiellement dans la réserve animalière de Selous, dans le sud-est tanzanien -, et les forêts tropicales du bassin du Congo, selon des analyses ADN.
Forts de complicités parmi les gardes forestiers, la police, les douanes, ou même au sein du système judiciaire et de la classe politique quand les choses tournent mal, dénoncent des défenseurs de l'environnement, ils acheminent la marchandise jusqu'aux ports kényans ou tanzaniens de l'océan Indien -- Mombasa ou Dar es-Salaam.
De là, l'ivoire embarque illégalement dans des conteneurs à destination de l'Asie -- du Vietnam et de la Chine surtout.
Selon les défenseurs de l'environnement, le trafic est dominé par un petit nombre d'organisations mafieuses en mesure de se payer les services d'une armée de braconniers et de chauffeurs prêts à prendre les risques. Mafias africaines et asiatiques travaillent main dans la main, pour contrôler l'ensemble de la chaîne.
Et les réseaux sont de plus intégrés: de plus en plus, des responsables de gangs asiatiques s'installent et travaillent sur place en Afrique, où ils sont en mesure de contrôler les opérations et de développer des activités illicites au sein d'entreprises d'import-export parfaitement légales.