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​El Khalfi interdit «Much Loved» de Nabil Ayouche


Narjis Rerhaye
Mercredi 27 Mai 2015

​El Khalfi interdit «Much Loved»  de Nabil Ayouche
Outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine et une atteinte flagrante à l’image du Maroc. C’est ainsi que le ministère de la Communication –et non le Centre cinématographique marocain, CCM- a justifié lundi soir l’interdiction au Maroc de «Much Loved –Zin li Fik», le dernier film de Nabil Ayouche. 
Les Marocains ne seront pas libres de choisir d’aller voir ou pas ce film qui raconte l’histoire de quatre prostituées à Marrakech. Mostafa El Khalfi, le ministre islamiste de la Communication, a décidé pour eux. «Much Loved» ne sera pas projeté dans les (rares) salles obscures du  Maroc.
La procédure de la non autorisation de ce long métrage de N. Ayouche pose questions.  Pourquoi le film est-il interdit avant que son réalisateur  ne fasse la demande de diffusion devant la commission de visionnage du CCM? La commission en question s’est-elle vraiment réunie? Il est permis d’en douter surtout que le communiqué du ministère de la Communication indique que cette interdiction intervient suite «aux conclusions d’une équipe du Centre cinématographique marocain qui a regardé le film lors de sa projection dans le cadre d’un festival international». C’est donc à Cannes où «Much Loved» a été projeté dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs que la décision de ne pas lui accorder de visa d’exploitation a été prise.  Dans l’entourage du cinéaste qui comptait projeter son film au Maroc en automne prochain, on ne cache pas sa stupeur: la demande d’exploitation n’a pas encore été faite auprès du CCM.

Pas de demande 
de visa d’exploitation


 « Le ministre de la Communication fait un communiqué sur le travail d'un organisme de tutelle: que se passe-t-il? Une affaire d'Etat. Pourquoi n’en a-t-il pas informé le réalisateur directement?
 Le ministre publie sur le site de son ministère la dépêche de la MAP et non pas son communiqué original, impossible à trouver d'ailleurs. 
On parle d'autorités compétentes, sans les définir, ni déterminer de quoi elles sont compétentes. C’est un terme vague dans un contexte où les compétences en matière de cinéma sont définies dans des textes de lois.
Sur quelle base a-t-on interdit ce film? Un visa culturel non demandé encore?
 D'après le communiqué, un groupe de la commission de visionnage a vu le film dans un festival international et a refusé le visa. Combien de membres de la commission étaient-ils  présents ? Etaient-ils tous d'accord? Ont-ils fait un PV?», s’interroge Fadwa Maroub, une activiste passionnée de cinéma tout en rappelant que l’article 8 de la loi n° 20-99 relative à l'organisation de l'industrie cinématographique stipule que «toute exploitation commerciale d'un film cinématographique sur le territoire national ainsi que du matériel publicitaire y afférent est subordonnée à l'obtention d'un visa délivré par le directeur du Centre cinématographique marocain, sur décision d'une commission dite "commission de visionnage des films cinématographiques" qui siège audit centre (…) Ladite commission délibère valablement lorsque la majorité de ses membres sont présents. Elle prend ses décisions à la majorité des voix des membres présents; en cas de partage égal des voix, celle du président est prépondérante ».
Depuis plusieurs jours déjà, «Much Loved» a suscité de vifs débats sur les réseaux sociaux.  5 extraits du film  distillés par la production ont fait le buzz et, surtout, soulevé tous les déchaînements.  Forcément, les  extraits sélectionnés et vus par des milliers de personnes ne sont pas forcément neutres.  Ils montrent le monde glauque  de la prostitution à Marrakech : scènes de danse lascives  de filles devant des clients saoudiens, langage cru pour parler de sexe, etc.  Au fil des jours, la polémique enfle.  Les «pour» et les «contre» s’affrontent sur la Toile. Entre la liberté de créer d’un artiste et la volonté d’interdire un film qui dérange, les arguments font rage.  Une association locale dépose plainte contre Nabil Ayouche, Loubna Abidar, l’actrice principale du film et «tous ceux qui ont contribué au film»  au motif que Much Loved «nuit directement à Marrakech et à ses femmes et, plus généralement, au Maroc et aux Marocaines.  Selon les dernières informations, un procureur de la ville ôcre aurait même accepté la plainte. Lundi 25 mai, le Rubicon est franchi avec la création d’une page Facebook appelant à «l’exécution de Loubna Abidar et Nabil Ayouche» et qui a plus de 1438  fans ce mardi 26 mai à midi.  La justice marocaine ne s’est pas bien évidemment saisie de cet appel au meurtre et une incitation à la violence.  En fin d’après-midi de ce même lundi, une manifestation de quelques dizaines de personnes est organisée à Rabat, devant le Parlement pour dénoncer le long-métrage de Nabil Ayouche. 

Les artistes ne sont pas 
des thuriféraires


A l’évidence,  l’interdiction de «Much Loved» intervient sous la pression de la rue et de  quelques gardiens autoproclamés de la morale.  Ni Ayouche ni son film ne sont responsables de  la prostitution à Marrakech. On peut ne pas être d’accord avec les choix de ce réalisateur, avec ses méthodes, sa façon de faire et de «caster», sa démarche marketing est du reste très payante. On est en droit de refuser la vulgarité et le trait grossi à l’excès comme écriture cinématographique. Mais en aucun cas, on ne peut l’accuser  de mettre à mal l’image du pays comme le signifie le communiqué du ministère de la Communication que dirige Mostafa El Khalfi. La fonction première de l’art et de la culture n’est pas de  servir «l’image d’un pays». Les artistes qu’ils soient cinéastes, poètes, écrivains,  chanteurs, etc, ne sont pas des thuriféraires. «Et en attendant des jours meilleurs, on pourra toujours voir ce film sur DVD et se faire sa propre opinion en citoyen majeur et vacciné», conclut cet internaute. 


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