​De la liberté d’expression à la liberté personnelle


Par Jacques Garello
Mercredi 25 Mars 2015

​De la liberté d’expression à la liberté personnelle
Les Français ont été invités à s’unir au nom de la liberté d’expression, et ils ont visiblement répondu à cet appel. Le monde (presque) entier s’est solidarisé avec la France pour marquer son hostilité au terrorisme et défendre la liberté. La liberté chérie : voilà sans doute de quoi réchauffer le cœur des libéraux.
Mon enthousiasme n’ira pas au-delà. Car les manifestations d’unité n’effacent pas les ambiguïtés, voire même les divergences autour du concept de liberté.
Je remarque d’abord que la mobilisation s’est faite à propos de la liberté d’expression, qui est une liberté publique. Les libertés publiques sont incontestablement l’une des conditions de la liberté. Par nature, ce sont des droits que les citoyens peuvent revendiquer dans une authentique démocratie. Liberté de réunion, liberté de manifestation, liberté d’association, liberté d’expression ont pour effet d’encadrer l’exercice du pouvoir politique. Comme leur nom l’indique, elles concernent la vie publique, c’est-à-dire les rapports entre citoyens et gouvernants.
Mais tout aussi importantes sont les libertés personnelles, celles qui permettent à l’individu de vivre selon ses choix. Locke a dressé le portrait de l’homme libre (freedom) : il a droit au respect de sa vie, de son indépendance (liberty), de sa propriété. Dans sa « constitution de la liberté », Hayek a proposé une définition négative de la liberté : c’est l’absence de coercition. L’individu n’est pas forcé à agir contre sa volonté.
Mises ne considérait que la force physique : l’emprisonnement, le supplice. Hayek montrait que la force psychologique était tout aussi redoutable : dans les régimes totalitaires les hommes sont poussés, entraînés, à agir contre leur volonté par la propagande, l’éducation de masse et les règles sociales et autres conditionnements qui se révèlent tout aussi efficaces, sinon plus que l’agression physique.
Or, je vois que dans la frénésie d’union un amalgame se fait entre des gens qui réclament à juste titre la liberté d’expression, mais qui contestent, voire même, combattent la liberté personnelle. En particulier la propriété est contestée, violée, et la vie, de la conception à la mort, n’est pas protégée. C’est à mes yeux une première contradiction.
La deuxième contradiction concerne le concept de « droit ». A tout droit devrait correspondre un devoir. Le devoir naît des relations entre les uns et les autres. Le droit de l’un ne peut effacer ni diminuer le droit de l’autre. La liberté d’expression ne peut porter préjudice aux libertés des autres, ne peut créer pour autrui un dommage, matériel ou moral.

Pour être libre, 
l’expression doit être 
responsable

Le piège ici consiste à faire contrôler la liberté d’expression par le pouvoir politique, au prétexte qu’il est le protecteur des libertés individuelles. Mais le pouvoir politique aura tôt fait d’exercer son contrôle de façon à étendre son pouvoir : les dictateurs trouvent toujours des arguments pour museler la presse. D’autre part, ce sont souvent les gouvernants qui portent atteinte aux libertés personnelles, dans la logique d’une démocratie dévoyée.
Aussi, le vrai contrepoids de la liberté d’expression est-il la responsabilité personnelle de celui qui s’exprime et la mise en jeu de cette responsabilité devant des juges indépendants, se prononçant sur la réalité et l’importance du dommage, et fixant les modalités d’une réparation. Cette procédure est un des éléments constitutifs de l’Etat de droit. Pour être libre, l’expression doit être responsable.
Finalement, tout revient à la place que l’on assigne à la liberté dans l’échelle des valeurs. Il y a ceux qui la mettent sur le même plan que l’égalité. Mais les égalitaristes imposent de force un contrôle et une réduction de la liberté personnelle, notamment de la propriété privée. L’égalité est la négation de la diversité, de l’unicité de l’être humain.
Il y a ceux qui tiennent la liberté pour la valeur suprême. Ils sont nombreux dans les rangs des libéraux, et l’on peut par exemple se référer aux positions de Charles Rowley, voire même de Hayek : en permettant d’explorer toutes les voies possibles, la liberté permet d’améliorer sans cesse les règles de cohésion sociale. Mais cela implique bien que la liberté a une finalité.
Je me rattache sans hésiter au courant libéral qui ordonne la liberté à la dignité de la personne humaine, « Liberté des actes, dignité des personnes » : cette formule exprime que la liberté n’est pas un achèvement, c’est un chemin. Libre aux uns de faire usage de leur liberté pour s’avilir, pour détruire. Libre aux autres de mettre leur liberté au service de leur épanouissement personnel, mais aussi au service des autres et d’œuvrer pour la paix et l’harmonie. Où classer les « Charlie » ?

 * Article publié en collaboration avec www.libre.org.


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