​Abdelhamid Fatihi : Ce Ier Mai est un jour noir dans l’histoire du syndicalisme marocain

Pour le secrétaire général de la FDT, on ne peut faire face au gouvernement que par la lutte


Propos recueillis par Mourad Tabet
Vendredi 1 Mai 2015

​Abdelhamid Fatihi : Ce Ier Mai est un jour noir dans l’histoire du syndicalisme marocain
Libé : Vous avez décidé avec l’Union générale des travailleurs du Maroc de boycotter les défilés du 1er Mai de cette année. Quelles sont les raisons de cette décision saus précédent dans l’histoire du syndicalisme marocain ?

Abdelhamid Fatihi : Nous avons déjà pris, avec l’UGTM et l’ODT, une décision historique de fêter le 1er Mai de manière commune. C’est un pas historique pour fédérer les énergies et les efforts du mouvement syndical en vue de contrer les régressions gouvernementales et les atteintes aux acquis et droits des travailleurs et des fonctionnaires. 
Nous avons également mené ensemble deux combats, le premier le 23 septembre 2014 et le second le 29 octobre de la même année. Notre objectif est de fédérer nos efforts car ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous sépare, car nous ressentons la même amertume, nous éprouvons la même déception. Cette logique nous a poussés à prendre la décision de ne pas organiser les défilés du 1er Mai, ce qui est un message clair signifiant qu’on ne peut faire face à la politique antisociale de ce gouvernement qu’en nous unissant.

Le ministre de l’Emploi et des Affaires sociales a réagi à la décision des centrales syndicales de boycotter les défilés du 1er Mai en annonçant qu’un dialogue sera organisé après la Fête du travail.  Que pensez-vous de cette déclaration?
Ce sont des propos que le ministre de l’Emploi et même le chef du gouvernement rabâchent depuis trois ans, mais sur le plan pratique, rien n’est fait. Les rares réunions que nous avons tenues avec le gouvernement n’ont abouti à aucun résultat tangible. C’est pourquoi, les propos du ministre participent d’un discours destiné à une  consommation politique de bas étage.
Quel bilan faites-vous du dialogue social qui est pratiquement dans l’impasse depuis l’investiture de ce gouvernement en 2012?
Le bilan est, à vrai dire, nul. Aucune revendication n’a été satisfaite par ce gouvernement. Pis encore, même les acquis qu’on a accumulés durant 15 ans ont été tout bonnement liquidés. L’on sait que le dialogue social a été instituonnalisé depuis 1996 et que les réunions tripartites (gouvernement, syndicats, patronat) étaient périodiques (sessions de septembre et d’avril). Depuis l’investiture de Benkirane, cet acquis a été anéanti. Même les réunions des Conseils supérieurs tels que le Conseil supérieur de la Fonction publique, le Conseil supérieur de la médecine de travail etc. ont été, sciemment, gelés.
S’ajoute à tout cela, le discours dépréciatif du chef du gouvernement envers les centrales syndicales, alors que la Constitution de 2011 a mis en valeur le rôle des organisations syndicales aux côtés des Chambres professionnelles dans la représentation et la défense des droits et des intérêts des catégories qu’elles représentent. Notre décision est en quelque sorte une riposte à ce discours dépréciatif du gouvernement et à l’absence d’une volonté politique de sa part d’engager un dialogue sérieux avec les centrales syndicales. 

La FDT a critiqué, dans son dernier communiqué de presse, la décision du ministre de la Justice et des Libertés de réduire le nombre de commissions paritaires dans le secteur de la justice. Croyez-vous que cette décision vise le Syndicat démocratique de la justice, syndicat majoritaire dans ce secteur, ou vise-t-elle directement l’organisation que vous présidez?
Elle vise essentiellement la FDT, car l’objectif masqué de cette décision est de priver la FDT d’un nombre important de votants lors des élections de la Chambre des conseillers. Nous avons rejeté cette décision et nous avons contacté à ce propos Mohamed Moubdi, ministre délégué auprès du chef du gouvernement de la Fonction publique et de la Modernisation de l'administration et également Mohamed Hassad, ministre de l’Intérieur, pour convaincre Mustapha Ramid de revenir sur cette décision. Le ministre de l’Intérieur nous a promis de résoudre ce problème d’ici la fin de la semaine. Autrement, nous sommes prêts à protester en tant que centrale syndicale devant le ministère de la Justice et des Libertés.

Que pensez-vous de la politique gouvernementale visant à démanteler la Caisse de compensation ? Et ne croyez-vous pas que cela aura des conséquences néfastes sur le pouvoir d’achat des classes populaires et des classes moyennes qui constituent une soupape de sécurité pour le système politique ?
Le gouvernement parle de « réforme », mais nous estimons que la politique qu’il mène dans ce sens est attentatoire à la classe moyenne y compris ouvrière. Nous savons que cette classe joue un rôle prépondérant et peut à tout moment changer la donne. Toutes les mesures prises par le gouvernement Benkirane comme le démantèlement de la Caisse de compensation, les nouveaux impôts imposés par la loi de Finances, le gel des salaires, visent essentiellement le pouvoir d’achat de la classe moyenne qui, traditionnellement, appuie les forces démocratiques et progressistes.

Quels messages lancez-vous au gouvernement Benkirane à l’occasion du 1er Mai ?
Si les travailleurs à travers le monde célèbrent la fête du 1er Mai pour mettre en avant leurs réalisations, les travailleurs du Maroc ont décidé cette année de la boycotter. C’est une journée noire dans l’histoire de la classe ouvrière marocaine et du mouvement syndical. C’est notre manière de dire à l’opinion nationale et internationale que nous ne sommes pas dans une situation qui nous permette de célébrer des acquis. Je saisis également cette occasion pour lancer un appel à toutes les forces vives et aux institutions étatiques concernées d’intervenir pour mettre fin à cette situation sociale qui risque d’entraîner des conséquences fâcheuses.

Pouvez-vous, par exemple, saisir l’OIT en tant que centrale syndicale pour dénoncer les agissements du gouvernement Benkirane?
On sait que la plainte est l’arme des faibles. Certes, on peut recourir à l’OIT pour régler des dossiers précis. Mais je pense que la démarche est inutile quand il s’agit de relations entre les centrales syndicales et le gouvernement. On ne peut faire face à ce gouvernement par les plaintes mais plutôt par la lutte. Et je crois que les centrales syndicales vont préparer des formes de protestation après la Fête du travail. 


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