Youssef Ksiyer : Je suis un anthropologue de l’humour


Propos recueillis par Alain Bouithy
Mardi 1 Avril 2014

Youssef Ksiyer : Je suis  un anthropologue de l’humour
Sourire aux lèvres, regard malicieux et un brin moqueur, Youssef Ksiyer est le genre 
d’humoriste qui parle de son métier avec une telle passion qu’il pourrait vous pousser 
à le suivre sur les planches. Il faut dire que ce jeune spécialiste du stand-up et fin 
observateur de la société marocaine a des idées et du talent à revendre.
Lauréat de l’Université Al Akhawayn en business administration, où il s’illustre déjà au sein d’une troupe 
théâtrale, Youssef Ksiyer est passionné par l’humour depuis son plus jeune âge. Au point de tout plaquer pour se consacrer 
pleinement à sa passion. «Je ne regrette pas du tout mon choix d’autant plus que cette décision a été mûrement réfléchie. Je peux dire sans risque de me 
tromper que je n’ai jamais été aussi heureux depuis que je fais de l’humour», confie-t-il. 
Il est persuadé que «l’humour est un véritable vecteur de communication qui permet de dédramatiser et de décomplexer des sujets qui peuvent paraitre d’une grande gravité».
Invité au prochain Festival international d’humour, Marrakech du rire, l’humoriste marocain propose 
actuellement son spectacle «Biodégradable», mis en scène par Fatym Layachi. Comme 
le suggère son intitulé, ce spectacle plonge le spectateur au cœur de l’écologie. Un sujet 
auquel tient beaucoup ce jeune «anthropologue de l’humour». Et pour cause : «L’écologie
 est aujourd’hui une question centrale à travers le monde. 
Il se trouve qu’on n’a toujours eu droit qu’aux seuls points de vue des Occidentaux sur cette question, alors qu’on a aussi besoin d’entendre des voix marocaine, 
maghrébine et africaine. Donc, je me considère comme porte-parole sur un ton humoristique de notre point de vue en la matière», explique-t-il. Entretien avec un humoriste bio.
 
Libé : Vous êtes lauréat de l’Université Al Akhawayn en Business administration. Comment êtes-vous arrivé au métier d’humoriste ?
 
J’ai toujours été un passionné d’humour depuis mon plus jeune âge. J’étais en train de mettre en place un spectacle lorsque l’idée m’est venue de me lancer dans cette aventure. Puisque j’aimais bien cet art et que rien ne m’empêchait de monter sur scène, j’ai décidé tout simplement d’en faire mon métier et de m’y consacrer pleinement. 
Depuis 4 ans, je suis un artiste à temps plein qui vit de son art et de ses spectacles.
 
Vos proches ont-ils accepté facilement ce changement radical ?
 
J’ai la chance d’avoir les meilleurs parents du monde ; ils m’ont vraiment beaucoup soutenu tout comme mes proches. Même si au début de mon aventure, certains parmi ceux-ci ne comprenaient pas que je quitte le confort d’employé dans une entreprise, ils m’ont tous encouragé. Ce qui était essentiel.
 
Vous est-il arrivé de regretter d’avoir fait ce choix ?
 
Je ne regrette pas du tout d’autant plus que cette décision a été mûrement réfléchie. Au contraire, je suis heureux d’avoir eu la chance de pratiquer un métier qui me passionne et me comble de bonheur. Je peux dire sans risque de me tromper que je n’ai jamais été aussi heureux depuis que je fais de l’humour.
 
Vous vous êtes produit récemment à l’Institut français de Casablanca. Quelle impression vous a fait le public?
 
Ma prestation à l’Institut français a été une superbe expérience. J’ai joué dans une petite salle, parfaite pour ce genre d’exercice, devant un public à la fois magnifique et réceptif qui a répondu présent, deux jours durant. Je me suis senti vraiment en communion avec les spectateurs tellement que tout s’est bien passé.
 
Vous avez présenté à cette occasion votre spectacle «Biodégradable». Pouvez-vous nous parler de cette pièce ? Pourquoi l’écologie ?
 
Je me suis intéressé à l’écologie parce qu’elle est aujourd’hui une question centrale à travers le monde. Il se trouve qu’on n’a toujours eu droit qu’aux seuls points de vue des Occidentaux sur cette question, alors qu’on a aussi besoin d’entendre des voix marocaine, maghrébine et africaine. Donc, je me considère comme porte-parole sur un ton humoristique de notre point de vue en la matière.
Je ne suis pas écologiste, c’est important de le dire, mais je pense que c’est un sujet qui concerne la planète entière et notre environnement.
 
Est-il facile de sensibiliser le public sur des questions écologiques par le rire et l’humour ?
 
Je pense que l’humour est un véritable vecteur de communication qui permet, justement, de dédramatiser et de décomplexer des sujets qui peuvent paraître d’une grande gravité. J’ai donc choisi la blague, la dérision et l’ironie pour évoquer cette problématique et exposer mon point de vue en tant qu’Africain et Magrébin.
Je n’ai évidemment pas la prétention de donner des leçons au public. Quoi qu’il en soit, même si ce dernier est souvent en accord avec moi, il est libre de contester mon point de vue sur cette question ou sur d’autres.
 
L’observation et la satire sociale sont vos deux atouts. Qu’est-ce qui vous inspire le plus dans la vie d’aujourd’hui ?
 
La société regorge de sujets susceptibles de provoquer des polémiques. Généralement, je suis très intéressé par la condition humaine. Je suis en quelque sorte un anthropologue de l’humour qui veut toucher un large public. Car, un humoriste doit être le miroir de son auditoire et de son époque.
 
Votre spectacle «Biodégradable» est mis en scène par Fatym Layachi. Comment est née cette collaboration ?
 
En fait, on s’est rencontrés à maintes occasions bien avant de décider de travailler ensemble. En plus, Fatym Layachi a été invitée à mes répétitions en 2012. On a donc souvent échangé sur mes sujets jusqu’au moment où l’on a pris la décision de collaborer. On a ainsi accordé nos emplois du temps respectifs pour plus de visibilité. Vu que j’avais aussi cette envie de réécriture et de mise en scène de mon spectacle, le reste s’est fait sans problème.
 
Avez-vous le sentiment que le public vous suit et vous comprend ?
 
Un spectacle, ce n’est pas du tout de l’improvisation, il implique beaucoup de travail et de minutie dans la préparation. C’est un métier où l’on doit être exigeant avec soi-même : le travail d’écriture est très fastidieux ; il faut trouver les bonnes vannes et le bon cheminement pour être à la hauteur du public. C’est, entre autres, pour ces raisons que je travaille aussi avec Fatym Layachi pour la mise en scène. Après autant d’efforts, on peut comprendre la joie qui anime un humoriste lorsque le public réagit positivement à son spectacle.
 
Est-ce facile de faire rire le public marocain ?
 
Il n’est pas évident de faire rire un public quel qu’il soit. C’est un exercice à la fois difficile et facile. Je pense que la meilleure chose à faire quand on veut être drôle, c’est tout simplement d’être honnête. Mais, ce n’est pas aussi simple que cela, d’autant plus qu’il n’est pas donné à tout le monde d’être honnête. En plus, ce n’est pas la seule donnée : il faut encore offrir au public des spectacles reflétant une réalité bien vivante.
La réalité sociale, économique et politique au Maroc est telle que les sujets ne manquent pas à l’humoriste. Mais le plus important, à mon sens, c’est de respecter le public et de lui proposer des sujets qu’il vit au quotidien.
Il ne fait aucun doute que le Marocain a un sens de la répartie et de l’humour. Il apprécie beaucoup qu’on lui serve des spectacles artistiques et humoristiques de qualité. 
Je ne dirais donc pas qu’il est difficile de faire rire les Marocains, mais tout simplement ils sont plus exigeants. Ce qu’apprécient particulièrement les artistes qui travaillent dur pour pouvoir sortir un produit de qualité à la hauteur de ces derniers.
 
Peut-on rire de tout ? 
 
Je pense qu’on peut rire de tout du moment qu’on le fait avec l’art et la manière et avec un humour intelligent. Avec humilité et respect, on peut oser certains sujets. La question est de savoir si l’on a vraiment envie d’aborder des sujets qui risquent de fâcher un grand nombre de personnes dans leur dignité. Personnellement, je ne vois pas l’intérêt de toucher à la dignité humaine ; je pense que c’est tout à fait inutile. 
Ceci dit, il n’y a pas de ligne rouge qui doive être dressée devant l’humoriste ; en revanche celui-ci doit respecter la responsabilité et le privilège qu’il a de monter sur scène pour s’adresser à un public.
 
Quels souvenirs gardez-vous de vos premiers pas sur scène, notamment au sein de la troupe du Nouveau Comique ?
 
Cela remontre à très loin. Je me souviens avoir  participé à une compétition de stand-up que j’ai remportée à l’applaudimètre. Mais la première prestation de ma carrière d’humoriste a véritablement eu lieu début 2008. 
Par la suite, j’ai été invité à jouer à Paris avec la troupe officielle du Jamel Comedy Club et j’ai fait le Festival du rire ensemble à Grenoble. J’ai aussi participé, quasiment, aux quatre éditions du Festival international d’humour, « Marrakech du rire ».
Chaque fois que je monte sur scène, j’ai toujours le trac, un même sentiment de peur et en même temps de plaisir de jouer devant un public et d’apprécier la réaction de ce dernier. Ce qui est merveilleux dans ce métier, c’est cette immédiateté qui fait que vous avez la réaction du public à la seconde. L’exercice est certes difficile, mais en même temps il procure énormément de joie surtout quand le public est réceptif.
 
Le fait de jouer sur la scène française a changé quelque chose dans votre jeune carrière ?
 
Cette tournée m’a permis de rencontrer et d’échanger avec des professionnels et nouveaux talents de la scène française. J’ai pu apprécier la manière dont les humoristes travaillent là-bas et, par la suite, faire le rapprochement avec ce qui se fait au Maroc. C’était très enrichissant.
 
Vous êtes programmé au Marrakech du rire prévu en juin prochain. Est-ce le signe de la reconnaissance de vos talents ?
 
C’est une grande fierté. Je suis très touché d’avoir à nouveau la confiance de l’équipe d’organisation du Marrakech du rire. Puisqu’elle me fait confiance depuis le premier jour du festival. C’est sans doute la preuve qu’elle apprécie mon travail, ce qui ne peut que m’encourager. Surtout que je suis programmé dans une salle un peu plus grande (jeudi 12 juin). Par ailleurs, il est important pour un artiste d’avoir un regard étranger sur son travail. 
 
Plus généralement, que pensez-vous de ce festival ?
 
C’est un Festival qu’il faut voir. Il est construit autour de l’humour et offre cette occasion de découvrir de nombreux artistes. On y passe généralement un très bon week-end dans une ambiance bon enfant et un cadre convivial. J’invite le public à venir nombreux apprécier les talents qui s’y expriment et bien entendu découvrir mon spectacle.
 
A ce propos, que comptez-vous proposer de nouveau ?
 
Il faut savoir qu’un spectacle est un texte vivant, c’est-à-dire qu’il est en permanence enrichi par l’actualité. Je vais jouer certes le même spectacle, cela dit, mais il s’est passé tant de choses depuis et il se passera d’autres d’ici à juin. Ceci pour dire que c’est un texte qui vit à travers l’actualité et qu’il y aura sûrement des nouveautés.
 
Vous avez joué à la soirée d’ouverture du Marrakech du rire en 2012 aux côtés de l’humoriste Hassan El Fad. Qu’est-ce qu’on ressent en ce moment ? Quelle image vous renvoie ce grand humoriste ?
 
On est intimidé. Mais en même temps je dois dire que  Hassan a un grand cœur, il sait mettre les gens à l’aise autour de lui. C’est un artiste qui comprend les artistes. J’ai eu l’occasion d’apprécier sa générosité en d’autres circonstances, notamment quand nous avons été programmés ensemble au Festival du rire à Grenoble. C’est vraiment un grand professionnel qui ne laisse rien au hasard, il est très minutieux au travail. Ce qui est une qualité cruciale pour qui veut avancer dans ce métier, particulièrement les jeunes talents.
 
Des planches au cinéma il n’y aurait qu’un pas. Avez-vous un penchant pour le 7ème art ?
 
Je pense que la réalité télévisuelle au Maroc s’éloigne un peu de mes objectifs. Bien que j’aie eu une petite expérience à la télévision, j’ai décidé de me concentrer sur la scène. 
Mon regard est un peu différent quand il s’agit du cinéma que tout humoriste rêve de franchir. On sait d’ailleurs qu’un humoriste manifeste un jour ou l’autre le besoin de s’illustrer au cinéma ou au théâtre. Certes, je n’ai pas encore de projets concrets dans ce domaine, mais un jour je n’hésiterai pas à tenter ma chance. Je compte m’intéresser un peu plus au cinéma, mais pas uniquement comme acteur.
 


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