Youssef Fahmi : Le secteur touristique a besoin de 132.000 cadres spécialisés d'ici 2020


Propos recueillis par H.T
Samedi 29 Octobre 2016

Président de l'Association marocaine des établissements de formation aéronautique, membre
du Comité régional interprofessionnel des métiers et directeur général du CCFA, Youssef Fahmi
nous dresse un état des lieux du secteur touristique et de la formation de ses ressources humaines.


Libé : Le secteur touristique semble devenir de plus en plus demandeur de ressources humaines qualifiées. Qu’en est-il en réalité ?
Youssef Fahmi :
Le tourisme occupe, en effet, une place de choix dans la structure économique et financière du Maroc. Véritable moteur de croissance, il impacte pratiquement nombre de domaines de l'activité économique.
Deuxième contributeur au PIB national et deuxième créateur d’emplois, il contribue largement à la création de richesses et à la diminution du chômage vu qu’il est un excellent pourvoyeur en emplois avec 507.000 emplois directs.
Le secteur offre donc et continuera à offrir de multiples opportunités de travail au cours des années à venir puisque, selon les opérateurs, notre pays enregistrera un besoin de 132.000 cadres spécialisés d'ici 2020, outre le fait que la demande  internationale en ressources humaines nationale ne  cesse de croître vu leur qualité et leur  professionnalisme.

Certains craignent néanmoins que l’essoufflement actuel du secteur ne fasse planer de sérieuses menaces sur l’emploi…
La formation reçue par les stagiaires de notre établissement, le CCFA, est très pointue et il n’y a pas de décalage entre elle et les exigences du métier.
Nos lauréats ne chôment généralement pas s’ils remplissent les conditions requises. Il n’y a d’ailleurs pas de bons profils qui chôment. Les marchés qui en sont les principaux  demandeurs sont  le marché marocain et celui du Golfe. C’est ce dernier qui est le premier débouché des stagiaires de cette filière, ce qui se traduit par une importante fuite de compétences marocaines vers ces pays. Celle-ci est amplifiée par le fait que les profils qui partent vers le Golfe n’en disent que du bien, ce qui encourage davantage de stagiaires nationaux à vouloir y travailler.

Il doit néanmoins y avoir un bémol…
Les difficultés que les lauréats marocains rencontrent généralement sont à caractère linguistique.
Au sein de nos instituts et écoles de formation, nous recevons des lauréats qui ont d’énormes lacunes à ce niveau. Notre grand défi consiste donc à mettre en place des outils, des moyens, un système de formation et des méthodes pédagogiques pour relever le niveau linguistique des stagiaires vu que ceux d’entre eux qui maîtrisent les arcanes des langues étrangères ne chôment généralement pas.
Quant aux autres conditions exigées par les employeurs, et notamment les conditions physiques, elles sont généralement vérifiées et validées en début de formation.
Le point fort de notre école tient au fait que nous insistons énormément sur le volet comportemental. A cet effet, nous avons un module nommé comportement et attitude qui s’étale pratiquement sur toute l’année et qui nous permet de parfaire les profils des stagiaires, leur personnalité, leur  confiance en eux. Nous leur inculquons les valeurs qu’ils doivent avoir pour pouvoir travailler et nous les faisons participer aux grandes manifestations qui se déroulent à Marrakech pour qu’ils puissent acquérir  de l’expérience. Nous disposons également d’un système d’évaluation du comportement qui nous permet, mensuellement, d’attribuer une note à chaque stagiaire et, lorsque celle-ci est mauvaise, nous lui en expliquons les raisons et nous l’accompagnons pour qu’il puisse l’améliorer le mois d’après.

La promotion  des compétences fait-elle partie des préoccupations des opérateurs du secteur ?
Notre établissement a choisi de s'inscrire dans la dynamique initiée par la stratégie sectorielle dédiée au secteur en se spécialisant dans  les métiers du management de l'accueil  touristique et en se fixant comme objectif de mettre sur  le marché de l'emploi des ressources humaines formées pour devenir un maillon efficace dans  la chaîne de production d’une offre touristique marocaine de qualité, attractive et compétitive.
Les ressources humaines sont, en effet, un élément prépondérant de la qualité et du contenu du produit touristique. Il y a une demande croissante de main-d’œuvre qualifiée à même de répondre aux exigences d’un environnement en constante évolution et de contribuer au renforcement de la compétitivité des entreprises touristiques.
Face aux changements et défis, les stratégies de gestion et de promotion de ces ressources tiennent donc une place aussi essentielle dans la logique de développement durable du tourisme que la mise en œuvre de stratégies visant la promotion  des compétences requises par une industrie touristique qui se mondialise à vue d’oeil.

Pouvoirs publics et opérateurs nationaux vous semblent-ils suffisamment sensibilisés à la question de la promotion de nouveaux modes de gestion des ressources humaines ?
Les responsables publics doivent travailler en lien étroit avec les entreprises et le monde éducatif pour promouvoir le développement des ressources humaines et harmoniser davantage l’offre et la demande aux niveaux national, régional et local. Pour faire face aux défis et aux évolutions du tourisme et du marché du travail, il faut adopter de nouvelles méthodes fondées sur une approche plus volontariste et à long terme de la question des ressources humaines. De nouvelles manières d’organiser et de gérer ces ressources peuvent y contribuer, de même que les stratégies visant à améliorer le recrutement et la rétention des employés et à promouvoir la qualité des compétences, leur recyclage et leurs possibilités d’avancement. Plusieurs méthodes sont envisageables. Elles consistent à renforcer les liens entre compétences, qualifications et emplois; élaborer et présenter avec clarté les parcours de compétences et les parcours professionnels; améliorer l’adéquation entre les emplois et les compétences  et encourager la mobilité.

Votre école a reçu dernièrement le label d’excellence de la formation professionnelle en hôtellerie et tourisme délivré par le département de tutelle au titre de l’année 2016. Quel vous semble être l’objectif de ce trophée ?
L’approche suivie par le département du tourisme vise à conforter la formation de ressources humaines hautement qualifiées, et ce conformément aux meilleurs standards en la matière, ce qui permettra de développer les capacités d’innovation et d’amélioration de la formation en hôtellerie et tourisme, ainsi que la professionnalisation des ressources humaines du secteur conformément à des référentiels internationalement admis.
Son origine vient du fait que le secteur de la formation professionnelle compte différents intervenants, à savoir le ministère du Tourisme, l’Office de la formation professionnelle et les opérateurs privés. Tous prétendaient dispenser un enseignement de qualité, mais les normes de celle-ci n’étaient pas identiques pour tout le monde. Chacun faisait de la qualité à sa manière, ce qui a poussé le ministère du Tourisme à engager une réflexion à ce propos, à auditer certains établissements et à mettre en place, en partenariat avec un bureau d’étude spécialisé, des normes de qualité opposables à tous.
Pour l’octroi de ce label, 13 critères ont, en effet, été validés par l’ensemble des partenaires institutionnels et professionnels et édités dans un cahier des charges. Ces critères ont trait à la gouvernance et l'organisation, la planification et la stratégie, l'attractivité de l’offre de formation de l’établissement, les prérequis pour l’accès à la formation, la pertinence de l’offre de formation, la qualité de gestion de la formation/stages, les procédures et applicatifs de gestion, les ressources humaines, les infrastructures de l’établissement, ses équipements, son ouverture sur l’environnement, sa responsabilité sociale et environnementale, ainsi que l'insertion et le suivi de carrière.
Un cahier des charges a été lancé en janvier 2016 et 14 établissements de formation hôtelière et touristique (EFHT), dont trois issus du secteur privé, 10 de l’OFPPT, et un seul sous tutelle du ministère du Tourisme, ont participé à cette compétition.
La démarche consistait à demander d’abord ledit cahier des charges pour en connaître les différentes dispositions, à vérifier si les conditions exigées par le Référentiel du label d’excellence, élaboré par le ministère du Tourisme en concertation avec l’OFPPT et les professionnels du secteur existaient au sein des établissements désireux de participer au concours et, par la suite, à postuler au  label. Notre école a suivi cette démarche et nous n’avons pas eu du mal à convaincre du fait que nous respectons à la lettre ces 13 critères. Au final, cinq établissements ont été labélisés. Il s’agit de l’Institut spécialisé de technologie hôtelière et touristique de Mohammedia relevant du ministère du Tourisme, de l’Institut spécialisé de l'hôtellerie et de la restauration (ISHR) Polo-Casablanca relevant de l’Office national de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT), de l’ISHR Marrakech (OFPPT), ainsi que de l’Ecole hôtelière de Casablanca et du Centre casablancais de formation appliquée (CCFA) de Marrakech qui relèvent du secteur privé.

Ce label concerne-t-il toutes les filières du secteur et s’adresse-t-il à tous les établissements publics et privés de formation destinée au secteur ?
Ce label qui concerne toute les filières du secteur touristique a l’avantage d’imposer les mêmes critères de qualité aux secteurs public et privé et atteste clairement et officiellement du fait que l’institut ou l’école qui en a été récipiendaire dispense effectivement un enseignement de qualité.
Ce label constitue, en effet, une certification qui vise à reconnaître les établissements de formation hôtelière et touristique publics et privés, alignés aux normes et aux critères de qualité et de performance exigés par le Référentiel du label d’excellence, élaboré par le ministère du Tourisme en concertation avec l’OFPPT et les professionnels du secteur.
En outre, il donne le droit  à ses récipiendaires d’en mettre le logo sur tous leurs supports de communication et sur les panneaux d’affichage ou publicitaires.
Dorénavant, les stagiaires et leurs parents vont disposer d’un moyen rationnel de faire la distinction entre les établissements qui dispensent un enseignement de qualité et ceux qui ne le font pas et d’opérer ainsi leur choix en toute connaissance de cause.

… Mais il n’en demeure pas moins que les métiers du tourisme n’ont pas une excellente image auprès des Marocains
Il faut, en effet,  prendre des mesures pour remédier à la mauvaise image qui affecte les emplois touristiques, et pour aider à donner au tourisme la réputation d’un secteur attractif et gratifiant dans lequel il est possible de commencer ou de bâtir une carrière. Ces mesures ne doivent pas se limiter aux seuls viviers de main-d’œuvre traditionnels ; elles doivent également viser les principaux responsables capables d’influencer les décisions en démontrant toute la palette des possibilités d’emploi à tous les niveaux de compétences. Il faut aussi saisir toutes les occasions de mettre en valeur les bonnes pratiques en matière d’innovation et de développement de la main-d’œuvre dans le secteur.  
Positionner le tourisme comme secteur capable d’offrir des perspectives d’emploi satisfaisantes et de bonnes possibilités de carrière, ce n’est pas seulement fournir l’occasion d’acquérir une expérience et de se doter de compétences transversales. Il est nécessaire de mettre au point des mécanismes qui présentent et démontrent en toute clarté les parcours de formation et les perspectives de carrière, afin d’aider les individus à bâtir leur carrière dans le secteur et, du même coup, d’agrandir le vivier de travailleurs qualifiés. Plusieurs approches sont envisageables : campagnes promotionnelles, information sur les compétences permettant de réussir dans l’entreprise et sur les différents parcours de formation et leurs débouchés, conseils sur l’orientation professionnelle et sur les possibilités en matière de formation et de carrière, dossiers sur les trajectoires professionnelles et portails d’information sur les carrières.
De tels programmes ne peuvent pas à eux seuls améliorer l’image de l’emploi touristique et promouvoir et soutenir le développement de la main-d’œuvre dans le secteur – les entreprises doivent prendre leur part à cet effort en récompensant le développement des compétences et en proposant de véritables possibilités de progression pour conserver leurs recrues dans le secteur.


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