Y aurait-il lieu de se réjouir pour les droits de l’enfant en 2013 ?


Par Jean Zermatten*
Mercredi 26 Juin 2013

Y aurait-il lieu de se réjouir pour les droits de l’enfant en 2013 ?
Il ne fait pas de doute que la Convention des droits de l’enfant, instrument juridique international contraignant qui est à l’origine de tout le mouvement connu sous l’appellation «Droits de l’enfant» est un texte extraordinaire, non seulement en raison de sa ratification quasi-universelle, mais surtout parce que ce texte est porteur de la reconnaissance de l’enfant comme une personne, une personne digne, une personne unique à laquelle sont attachés des droits. Et des droits de grand, non des petits droits ou des droits de petit...
Pour moi, c’est aussi le départ d’une révolution lente, pas trop bruyante, mais qui prend son effet dans la durée : celle qui manifeste l’abandon des pratiques paternalistes et qui ne voit dans l’enfant que le destinataire de protection ou le bénéficiaire de soins. Les deux mamelles de l’Etat-providence !
Certes, l’enfant demeure destinataire de protection ou bénéficiaire de soins, mais il passe au rang de titulaire de droits. Il a droit à la protection; il a droit aux soins. Mais en plus, il a le droit d’exister juridiquement, de manière indépendante de l’existence ancienne reconnue qu’a l’enfant à travers son père (détenteur de la toute puissance paternelle), plus tard à travers ses parents (détenteurs ensemble de l’autorité parentale).
Oui, l’enfant existe comme enfant-personne individuelle et il a des droits et libertés civils qui expriment ce nouveau statut, à commencer par le droit d’être inscrit à la naissance et d’être porteur d’un nom, d’une nationalité et d’une identité.
Mais c’est surtout dans la reconnaissance du droit de l’enfant d’être entendu et de voir son opinion prise en compte, comme défini dans l’art. 12 CDE, tenant compte de son âge, son degré de maturité et ses capacités évolutives, que se manifeste cette nouvelle posture. Liée bien entendu à l’obligation pour tout décideur de se poser la question de l’intérêt supérieur de l’enfant, c’est-à-dire de mettre l’enfant au centre de toute décision comme le prescrit l’article 3, paragraphe 1, de la CDE. Pour tous les professionnels de l’enfance - et Dieu sait qu’ils sont nombreux - l’angle de vue de l’intervention change, les méthodes d’intervention doivent être adaptées et l’enfant de 2013 n’a plus rien à voir avec l’enfant de 1988. On peut dire qu’il y a un avant et un après Convention !
Depuis 23 ans, ces exigences ont provoqué beaucoup de changements et les Etats, débiteurs des droits reconnus aux enfants, ont fait énormément pour appliquer la Convention. Pas assez bien sûr, ni de manière homogène, ni avec le même succès. Mais aucun pays n’est resté les bras croisés. Je dirais que c’est un premier succès.
Quel traité des droits humains a-t-il eu un tel impact sur les législations, les stratégies, les politiques, les budgets ? Aucun
Pourtant, lorsque l’on observe la situation des enfants sur le terrain, on est toujours à mettre en avant les violations des droits et on remarque la lenteur des progrès dans de nombreux domaines.

Des progrès
Au titre des progrès récents, j’aimerais mentionner que la fin 2011 a été marquée par un événement majeur: l’adoption par l’assemblée générale de l’ONU du 3e Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant le 19 décembre 2011, suivie par l’ouverture à la signature des Etats le 29 février dernier. Ce 3e Protocole (OPIC) donne compétence au Comité des droits de l’enfant de recevoir et d’examiner des plaintes individuelles d’enfants, ainsi que d’organiser des visites de pays en cas de violations systématiques et graves de leurs droits.
A ce jour, il a reçu la signature de 35 Etats et a été ratifié par deux pays: le Gabon et la Thaïlande. La Bolivie a annoncé sa ratification prochaine. Je pense que d’autres Etats suivront rapidement et confirmeront leur volonté de reconnaître pleinement les enfants comme sujets de droits à même de les faire valoir et respecter au même titre que les adultes. 10 ratifications sont nécessaires pour l’entrée en vigueur du 3e OPIC.
S’agissant des deux premiers protocoles à la Convention, il faut se féliciter que leur ratification se soit poursuivie à un rythme soutenu. 11 pays ont ratifié l’OPSC au cours de l’année écoulée portant à 161 le nombre de ses ratifications, et 8 pays ont ratifié l’OPAC portant à 150 le nombre de ratifications.
Quant à la Convention elle-même, trois Etats manquent encore à l’appel pour aboutir à une ratification universelle.
La CDE enregistre donc des progrès significatifs dans la mise en oeuvre des droits de l’enfant et dans le changement progressif dans les attitudes envers les enfants dans de nombreux Etats.

Des défis ?
Néanmoins, je pense que nous continuons à être confrontés à la persistance de violations graves des droits de l’enfant, à des préoccupations croissantes et parfois à de véritables régressions de ces droits. L’âge d’or de la Convention serait-il déjà derrière nous ?
Le rapport mondial sur la violence contre les enfants (2006), nous avait permis d’espérer la mobilisation de toutes les forces pour lutter contre le fléau de la violence sous toutes ses formes qui n’épargne aucun pays. Or, 6 ans plus tard, les conclusions du rapport de suivi des ONG (2011) viennent nous rappeler la dure réalité : des millions d’enfants sont confrontés quotidiennement à la violence à la maison, à l’école, dans leurs communautés, au travail, dans les institutions, ou quand ils sont en conflit avec la loi. A ces formes de violence, il convient évidemment d’ajouter l’exploitation économique et sexuelle des enfants ainsi que leur implication dans les conflits armés dans de nombreux pays du monde.
L’acceptation sociale de la violence envers les enfants doit être combattue avec toute la vigueur possible et des efforts à long terme doivent être entrepris pour changer les pratiques et surtout les mentalités. C’est dans ce but que le Comité des droits de l’enfant a publié son Observation générale No 13 (2011) sur les droits de l’enfant d’être protégé contre toutes les formes de violence.
Parmi les préoccupations croissantes, je voudrais aborder tout d’abord les effets de la crise économique actuelle et ses conséquences sur la mise en oeuvre des droits des enfants. En effet, les enfants sont les premiers et les plus lourdement touchés par les coupes drastiques dans les budgets qui leur sont traditionnellement consacrés et cet impact est d’autant plus important dans les pays à haut niveau de pauvreté ou qui ne disposent pas de système de sécurité sociale.
Aucune économie, aucun pays ne peut se redresser par le biais de réductions des dépenses relatives aux enfants et le Comité des droits de l’enfant considère non seulement qu’une l’augmentation des allocations budgétaires est nécessaire pour garantir la mise en oeuvre des droits de l’enfant, mais qu’il convient de définir des lignes budgétaires stratégiques qui sont à protéger en cas de crise économique.
 Établir des mécanismes pour surveiller et évaluer l’efficacité, l’adéquation et l’équité de la répartition des ressources allouées à la mise en oeuvre de la Convention reste un défi majeur dans la plupart des pays touchés par la crise. De même que lutter contre le fléau de la corruption qui fleurit dans de nombreux pays et qui détourne des budgets pour les enfants (notamment pour les services dédiés aux enfants) des montants considérables.
Même des pays riches comme la Suisse ont un nombre d’enfants pauvres impressionnant : 260 000. Ce chiffre est connu depuis plusieurs années, il ne varie pas hélas. Peu semble être fait pour éradiquer complètement la pauvreté et travailler sur ses causes qui sont connues : familles monoparentales, familles migrantes, milieux défavorisés. Les mesures prises touchent surtout les symptômes et servent à saupoudrer à la ronde. C’est pourtant bien de réformes structurelles dont nous avons besoin.
L’impact que les changements climatiques ont et auront sur la vie et la santé de millions d’enfants à travers le monde compte également parmi les sujets d’inquiétude croissante. L’accès restreint à l’eau potable et à l’assainissement, l’augmentation des taux de malnutrition, la propagation de maladies, la pauvreté galopante, les conséquences de la déforestation sur la vie des minorités autochtones sont autant de problèmes auxquels nos enfants sont et seront confrontés.
Ces phénomènes continueront d’engendrer des violations des droits des enfants et les conduiront à migrer dans des conditions comportant des risques évidents de devenir victimes des pires formes d’exploitation. Il est du devoir de tous les Etats de prendre les mesures urgentes qui s’imposent pour laisser à nos enfants une planète sur laquelle il leur sera encore possible de vivre et pour protéger les enfants contraints de délaisser leur région ou leur pays.
Enfin, dans la liste des défis, ce qui n’est évidemment pas exhaustive, je voudrais aborder les domaines effectifs et potentiels de régressions.
Avant tout les menaces sur la justice juvénile. En effet, l’ensemble des règles internationales ayant trait à la justice juvénile et tout le mouvement inspiré par la justice réparatrice sont remis en cause par de nombreux pays qui privilégient les formes plus sévères et répressives de l’intervention pénale (mano dura) et se détournent des alternatives à la détention, de l’adoption de mesures éducatives et de la mise en place de programme de prévention de la délinquance. Abaissement de l’âge de la responsabilité pénale, utilisation de réponses pénales de type répressif pur (utilisation à grande échelle de la privation de liberté et augmentation des peines infligées aux enfants), attraction des pouvoirs publics pour les politiques dites de «tolérance zéro», et recours aux politiques ultra-sécuritaires à l’encontre des jeunes: autant de réponses inadaptées à la délinquance des mineurs ! Il me faut ici rappeler que l’enfant auteur d’infraction est aussi un enfant en danger, qui a droit à une seconde chance, et inviter les Etats à réorienter leur système de justice juvénile en conformité avec les standards internationaux pertinents. Les migrations sont certainement le domaine où les violations des droits humains en général et des droits de l’enfant en particulier sont les plus importantes et, malheureusement, en progression. Restrictions des possibilités de réunifications familiales, sort incertain des enfants qui s’exposent à des parcours hasardeux, enfants abandonnés par des parents migrants ou laissés au pays dans des conditions discutables, mineurs migrants non accompagnés dont les droits élémentaires ne sont pas respectés, renvoi ou refoulement d’enfants migrants sans considération pour le sort qui leur sera réservé au pays d’origine ou de transit. C’est dans ce domaine que les politiques nationales de restriction, plutôt que d’accueil, se font sentir et où l’intérêt supérieur de l‘enfant s’incline systématiquement devant l’intérêt public à se protéger de l’étranger, forcément dangereux et potentiellement délinquant !
Si la migration est de tous les temps, il est certain qu’en ce début du IIIe millénaire, elle a pris des proportions extrêmement importantes et que les flux du Sud vers le Nord, mais aussi les flux internes ou les flux Sud-Sud, ne peuvent être comparés avec les migrations antérieures, notamment du fait de la présence de très nombreux enfants, qui très souvent migrent seuls, ou sur ordre de leurs parents, ou pilotés par des organisations criminelles.
Du blanc et du noir… le verre à moitié plein et à moitié vide, des progrès contrastés et des défis permanents. L’âge d’or de la Convention est-il derrière nous ?
Hasardeux de répondre de manière définitive.
Je reste fondamentalement optimiste, mais je sais que le combat n’est jamais gagné et que lorsque l’on croit que le but est atteint, c’est qu’il est encore assez éloigné !

*Directeur de l'Institut international des droits de l'enfant et ancien président du Comité des droits de l'enfant de l'ONU


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