Violence de genre


Par Jean Zaganiaris *
Vendredi 9 Décembre 2016

Connu pour ses recueils de poésie et ses nouvelles, Mounir Serhani vient de publier son premier roman « Il n’y a pas de barbe lisse » aux éditions Marsam. Dans un contexte où les violences faites aux femmes occupent de nouveau le devant de la scène médiatique (pour le pire et pour le meilleur), cette œuvre montre l’instrumentalisation du religieux pour légitimer la domination masculine.
Le roman commence par une voix venue d’outre-tombe. Une femme s’apprête à raconter son histoire, en se plongeant avec douleur dans ses souvenirs. Elle décrit un monde où l’innocence n’est plus : « Rien n’était pur, rien n’était immaculé. Je sentais la saleté rouiller mon for intérieur ». Nos ères sont celles des désacralisations, du désenchantement, de la fin des rêves d’enfant.
Cette voix est celle d’une jeune fille qui parle de son père, à la fois avec haine et tendresse. Les sentiments que l’on ressent portent souvent une part d’ambivalence quand on se les remémore avec le fil du temps, notamment en se plongeant dans la petite enfance où tout était beau, où tout semblait merveilleux. Fatima Zahra se souvient avoir porté le voile alors que sa poitrine d’adolescente n’était pas encore formée. Elle décrit son père comme un homme autoritaire, empreint de religiosité conservatrice et intransigeante : « Il n’obéissait qu’à l’instinct des hommes de religion attirés par le poids des vérités immuables. Il était tout le temps maussade. Pour lui, le rire était libertinage et la parole, médisance, la télé une invention qui dévie du droit chemin, et le miroir d’une attention narcissique au corps ». Nous avons l’impression d’avoir affaire à ces figures austères de la paternité que l’on croise depuis « Le passé simple » de Driss Chraïbi à « Morceaux de choix » de Nedali, en passant par « Messaouda » de Abdelhak Serhane. Toutefois, en avançant dans le récit, nous nous apercevons que derrière cette ambivalence des sentiments de la jeune fille à l’égard de ce père se cache une de ces souffrances secrètes que seuls connaissent les enfants. Ces souffrances sur lesquelles on ne sait pas encore mettre des mots.
Mounir Serhani fait parler plusieurs voix. Celle de la fille, de la mère, du père. Il y aussi la voix de son mari, qui parle du masochisme de Fatima Zahra, de son envie d’être battue et flagellée, ainsi que de son appétit lubrique pour le sexe : « Avant, je l’aidais volontiers à faire de nos nuits orgiaques une fête à deux, en cuisinant des plats sucrés et des cocktails euphorisants, mais à présent elle préfère les organiser à sa manière et en faire des moments quasiment improvisés et anarchiques en apparence. Elle est passionnée de tout ce qui est sauvage. Parfois, j’endosse un rôle d’acteur pornographique pour satisfaire ses fantasmes insolites, que j’ai fini par accepter délicieusement ». Toutefois, Fatima Zahra a le sexe triste. En lisant les différentes voix qui racontent cette même histoire, à partir de leur position respective, on découvre rapidement que la jeune fille a été victime d’inceste et de viol de la part de son père. C’est à ce niveau que se trouve la violence du récit de Mounir Serhani, qui est aussi un récit sur la violence de genre, la domination masculine et l’hypocrisie des personnes se parant derrière le religieux alors qu’ils commettent les actes les plus ignobles.
Dans le film « Angel Heart » de Alan Parker, l’un des personnages constate qu’il y a suffisamment de religion sur terre pour que les gens se haïssent et  se détruisent mutuellement mais assez pour qu’ils s’aiment et se respectent. C’est ce sentiment que l’on ressent en refermant « Il n’y a pas de barbe lisse ».

enseignant chercheur EGE Rabat,
Cercle de littérature contemporaine      

 


Lu 935 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.










services