Une étrange atmosphère


Avec « Le croquis du destin », publié aux éditions Broc et Jacquart, Habib Mazini utilise le genre du polar pour mettre la lumière sur les maux d’une société paranoïaque, où la haine de l’autre est de plus en plus désinhibée

Jean Zaganiaris
Jeudi 9 Février 2017

L’ histoire se passe durant le Ramadan 2014. D’un côté, il y a le début de la Coupe du monde au Brésil. De l’autre, la Bande de Gaza qui s’enflamme avec les violences de l’armée israélienne. C’est dans ce contexte que l’inspecteur Hamid est chargé de mener l’enquête sur le meurtre d’une personne de confession juive. « Pourvu que ce soit le seul cas », s’exclame-t-il quand on le prévient de l’affaire. On pense bien évidemment au cas de l’inspecteur Tabite et de l’impact de ces crimes au sein du corps social. Le but est de plonger d’emblée le lecteur dans un univers paranoïaque, à l’image de celui que les médias construisent socialement : « La radio détaille l’horreur de l’intervention israélienne à Gaza en représailles au lancement de roquette du Hamas». Bjani, l’adjoint de Hamid, en déduit que le crime et les événements en Palestine seraient liés. La victime a été tuée avec dix coups de couteau. Un acte sauvage, une barbarie à visage humain comme dirait l’autre. Les officiers de police ont d’ailleurs bien en tête la première guerre du Golfe et les relents de haine qu’elle a suscités : « Durant cette sinistre pé- riode, le Maroc a vu fleurir un bellicisme à l’égard de l’Occident, en complète contradiction avec ses traditions millénaires d’accueil ». Cette haine désinhibée, qui ressort lors d’un interrogatoire avec un suspect, est un des fils rouges du roman. La vie n’est plus quelque chose de sacré et lorsque Habib Mazini donne la parole au meurtrier, ce dernier parle de son crime comme s’il s’agissait d’un petit détail sans importance. Dans un monde où, comme le rappelle la sociologue Judith Butler, les vies jetables, considérées comme étant sans valeur et dont personne ne fait le deuil, deviennent omniprésentes, l’atmosphère décrite par Habib Mazini interpelle le lecteur. Mais le roman va plus loin. Très vite, on se rend compte que le meurtrier n’est pas à rechercher du côté de ceux qui veulent venger la Palestine en s’en prenant aux Juifs. Ce serait du très mauvais journalisme dit Habib Mazzini : « Une composante de la presse étrangère, droguée à l’immédiateté, entamera sa propre enquête dans le quartier pour débusquer le témoignage du barbu aigri ou du conservateur indisposé par la vie moderne». Les investigations de Hamid l’amènent plutôt à chercher le coupable dans le milieu artistique auquel appartient la victime. Comme si l’art devait lui aussi être atteint par l’hyper-violence et l’absence d’éthique qui règnent entre les gens. La seconde partie du roman nous entraîne vers le périple du peintre Delacroix au Maroc, où se trouve la clé de l’énigme. Et en parlant de peinture, le romancier se fait peintre lui-même d’une société dont il fait rejaillir les contradictions et les immondices. Le personnage de Claire manipulant un jeune Marocain qui lui fait des avances sur Internet, en lui faisant croire qu’elle est amoureuse de lui, révèle cet état de fait. Les gens ne sont plus que des instruments que d’autres utilisent à leur convenance sans état d’âme pour parvenir à leurs fins. En même temps, personne ne l’emporte au paradis comme le rappelle le proverbe. Les dominants n’ont jamais gagné, quand bien même ils croient leur domination renforcée, et peuvent un jour être la victime des dominés, non pas tant assoiffés de vengeance qu’abreuvés par cette haine intériorisée, silencieuse, présente chez de nombreuses personnes que l’on croise tous les jours et qui vous sourient aimablement. Chez Habib Mazini, tout fonctionne entre les lignes… Comme chez Driss Chraïbi !
 


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