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Un podium trop peu flatteur

Le système fiscal aidant, les inégalités battent le plein au Maroc


Hassan Bentaleb
Mercredi 1 Mai 2019

Le constat d’Oxfam est sans équivoque : « Il faudrait 154 ans à une personne salariée au SMIG pour gagner ce que perçoit en 1 an l’un des milliardaires du Maroc ». D’après cette fondation, le Maroc demeure le pays le plus inégalitaire du Nord de l’Afrique au niveau des revenus. Pis, il fait partie des pays les plus inégalitaires de la planète en la matière. En fait, ni la croissance des vingt dernières années, ni les progrès affichés en termes de réduction de la pauvreté n’ont produit d’effets notables. « La croissance et l’augmentation des richesses semblent d’ailleurs ne bénéficier qu´à un tout petit nombre de personnes très fortunées : trois milliardaires marocains détiennent à eux seuls 4,5 milliards de dollars, soit 44 milliards de dirhams. Leur richesse est telle que la croissance de leur fortune en une année représente autant que la consommation de 375.000 Marocains parmi les plus pauvres sur la même période », précise le dernier rapport d’Oxfam intitulé « Un Maroc égalitaire, une taxation juste ».   
Cette situation découle, selon le document de cette ONG, d’une répartition primaire des revenus défavorable aux salaires. En effet, la décomposition de la valeur ajoutée favorise la rémunération du capital au détriment du travail. Ainsi, les salaires ont-ils représenté, entre 1998 et 2016, en moyenne, 30% de la valeur ajoutée contre 60% pour les profits. Sous d’autres cieux, comme en Turquie ou en  France, la part des salaires s’établit respectivement à 48% et 58%.
Pourtant, les rédacteurs de ce rapport, estiment que le tableau des inégalités dans le Royaume demeure incomplet et imprécis faute de manque de transparence des données statistiques. Ils soulignent l’existence de nombreuses limites méthodologiques qui amènent à relativiser la stabilité statistique des inégalités au Maroc. Ils pointent du doigt l’utilisation de l’indice de la consommation au détriment de celui des revenus, ce qui rend difficile de rendre compte des écarts de richesses. «Les revenus des plus riches sont en effet tassés par une tendance à la sous-estimation dans les déclarations, notamment concernant la consommation ostentatoire, les voyages ou la constitution de patrimoines (mobilier ou immobilier), leur capacité à épargner une partie conséquente de leurs revenus ; certaines de leurs dépenses étant effectuées à l’étranger », a noté le rapport.
L’occultation des inégalités patrimoniales a été également mise à l’index. Le rapport a indiqué aussi que les données sur la question ne sont pas disponibles au Maroc alors qu’il s’agit de l’un des ressorts les plus critiques de la dynamique inégalitaire. Il y a aussi le manque de données désagrégées par genre concernant la pauvreté et les inégalités.
Oxfam estime, par ailleurs, que l’utilisation d’une approche par les revenus et en intégrant le patrimoine aurait démontré des inégalités plus prégnantes et qui sont en croissance. « Les inégalités monétaires ne représentent qu’une facette des inégalités qui sont un phénomène multidimensionnel. En réalité, les inégalités monétaires sont à la fois source, cause et conséquence des autres aspects de l’inégalité qui recouvrent, sans être exhaustifs, les champs du marché du travail, de l’éducation, de l’accès à la santé, des disparités régionales, ou de la thématique transversale des inégalités de genre. La société marocaine est traversée par des inégalités dans de nombreux domaines, avec des conséquences sur la pauvreté et la vulnérabilité. La persistance des inégalités provient notamment d’une répartition primaire des revenus défavorable aux salaires.
Les disparités territoriales constituent également une autre facette de la question des inégalités. Selon Oxfam, les efforts des pouvoirs publics destinés à réduire les disparités sociales et territoriales, à désenclaver les régions difficilement accessibles et à renforcer les infrastructures en termes de mobilité et de connexion entre les territoires n’ont pas tout à fait abouti et des problèmes de coordination subsistent entre les administrations centrales et régionales. A ce propos, le rapport a rappelé que la répartition des infrastructures et des services essentiels illustre très concrètement les inégalités territoriales ; que l’accès à l’eau est encore difficile pour nombre de Marocains notamment dans les zones rurales où seulement 64% des habitants sont branchés au réseau, contre la quasi-totalité dans les villes. « Dans la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima, ce chiffre n’est que de 40%. Le raccordement aux infrastructures d’assainissement est quasi-inexistant à la campagne », précise le rapport.
Ces disparités régionales se manifestent aussi dans les écarts du taux de pauvreté par région. Si la pauvreté a diminué dans l’ensemble des régions, elle est sept fois plus importante dans le Draâ-Tafilalet (14,6%) que dans la région du Grand Casablanca (2%). Par ailleurs, l’indice de Gini régional montre un écart de près de 10 points entre la région la plus inégalitaire, à savoir Béni Mellal-Khénifra, et la plus égalitaire, en l’occurrence Rabat-Salé-Kénitra. En outre, les inégalités ont progressé entre 2001 et 2014 dans cinq régions marocaines.
Des inégalités qui sont appelées à perdurer vu les caractéristiques de la fiscalité marocaine qui sont inadaptées et insuffisantes pour permettre leur réduction. Une assiette étroite et une progressivité limitée, combinées à des dépenses fiscales peu appropriées, de nombreuses exemptions, de la  fraude et de l’évasion fiscale conduisent à amoindrir la capacité de la fiscalité à redistribuer les richesses. En fait, si le principe de justice fiscale est inscrit dans la Constitution de 2011, le Royaume peine à l’appliquer dans les faits vu que les ressources fiscales sont insuffisantes et ne permettent donc pas de réduire les inégalités. A titre d’exemple, les recettes fiscales du Royaume représentaient 26,4% du PIB en 2016, a conclu le rapport.


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