Un parfum d’éternité


Jean Zaganiaris *
Samedi 28 Novembre 2015

Avec un talent qui mérite d’être
souligné, Siham Bouhlal nous
plonge dans l’intensité d’une passion.
Elle décrit la beauté de deux
âmes unies à jamais l’une dans
 l’autre. Dans son cœur, Driss est éternel.
Ses caresses, son sourire, son regard,
les émotions qu’il lui fit ressentir ;
tout cela est éternellement
inscrit en elle. A jamais.
 
Il y a quelque chose de très proustien dans le dernier texte de Siham Bouhlal, racontant son histoire d’amour avec Driss Benzekri. Dans l’un des volumes de la Recherche, Proust déclarait que les morts ne meurent jamais vraiment, tant que la mémoire les fait vivre parmi nous. La littérature est sans doute la meilleure arme en faveur de la vie. Ce que l’on y grave, romancé ou rêvé, a un parfum d’éternité. Avec un talent qui mérite d’être souligné, Siham Bouhlal nous plonge dans l’intensité d’une passion. Il ne s’agit ni de faire pleurer le lecteur en décrivant la souffrance d’une femme confrontée à la maladie de son conjoint, ni de faire le deuil d’un être cher à travers les procédés d’écriture mais de garder la vie de celui qu’on a aimé parmi nous. Un océan de larmes a voulu sortir de sa bouche, dit Siham Bouhlal, mais elle l’a ravalé. Il valait mieux parler du charme des moments passés ensemble, de la sensualité et des corps se désirant ou faisant l’amour, même dans le contexte de la maladie : « Le bain à l’antiseptique, nous deux dans notre salle de bains à Rabat, nos corps nus qui se lavaient mutuellement dans un tumulte de rire, la simulation d’ébats sulfureux, les baisers sous la douche comme au cinéma ». Malgré l’absence, les gens que l’on aime ont une présence. Leur corps est là, invisible. Si l’on imagine bien les choses, on peut même les toucher lorsque nous nous endormons le soir et que notre âme est entre chien et loup. L’auteure nous parle d’un rapport proprement « charnel » à ces disparus que l’on portera éternellement en nous : «Je t’étais charnellement liée, comme si mon corps, extrait de ta chair, en avait été subitement séparé. Je ne vivais que dans le rêve de ton parfum, de ton goût, je ne savais plus comment consoler mon corps, tout entier suspendu à ton souvenir ». C’est avant tout dans notre âme que les gens deviennent immortels. Surtout lorsque la plume se livre à la reconstruction charnelle du passé, des souvenirs, des moments inoubliables passés ensemble. Il y a des héritages que personne ne pourra nous ravir.
Que peut-on arracher à l’adversité, aux meurtrissures du destin ? La force d’un amour invulnérable et les moments de joie, vécus comme des éclaircies au milieu de l’orage : «Le contact de ta peau était devenu une souffrance – tu souffrais dans ta chair -, mais aussi une jouissance, celles des ultimes caresses volées à la maladie et au temps ». Le texte raconte avec beaucoup de tendresse la complicité de ces amants affrontant ensemble l’annonce de la maladie, les contrôles des médecins, les hospitalisations. Il y a un réenchantement de la vie qui est opéré de manière prodigieuse par Siham Bouhlal. Avant l’hôpital, il y a ces moments précieux où l’on dévore une pyramide de chocolat et de fruits confis. La vie nous brise, nous malmène, nous déchire les entrailles. Mais il y a des moments de grâce ; il y a des instants où un sentiment sublime envahit notre cœur : « Nous étions restés là, deux jours et deux nuits à nous aimer sans fin et allant si profondément dans la joie de nous caresser, de nous respirer l’un l’autre ; de nous enivrer de salive, de sueur, d’émanations du désir, du plaisir et de larmes d’extase ». L’écriture rend compte de cela. L’auteure décrit la beauté de deux âmes unies à jamais l’une dans l’autre. Dans son cœur, Driss est éternel. Ses caresses, son sourire, son regard, les émotions qu’il lui fit ressentir ; tout cela est éternellement inscrit en elle. A jamais.

 * Enseignant chercheur CRESC/EGE Rabat
(Cercle de Littérature Contemporaine)  


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1.Posté par anne bert le 28/11/2015 15:40
je vais certainement le lire, le thème m'intéresse, votre chronique m'évoque le beau et sobre texte de Marie Delvigne, "Rouge" . Un texte qui bouscule.

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