Un enfant sur deux sans identité en Afrique subsaharienne


Par Zakri Blé Damonoko Anicet Juriste, Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest, Abidjan. Article publié en collaboration avec Libre Afrique.
Mercredi 19 Juillet 2017

´Le 9 mai 2017, la lutte contre l'apatridie faisait un pas de plus en Afrique de l'Ouest. Ce jour-là, à Banjul, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a adopté un Plan d’action pour régulariser le million d'apatrides dans la région. Ce plan d’action fait suite à la Déclaration d’Abidjan du 25 février 2017 qui reconnaît l’apatridie comme un fléau en Afrique de l’Ouest et dans laquelle les Etats se sont en effet engagés à mettre fin à ce phénomène d’ici 2024. Tout cela témoigne, aussi étonnant et déconcertant soit-il, qu’en 2017, il existe encore des personnes, sans patrie, sans nationalité. Au-delà donc des engagements pris par les Etats, quelles sont les mesures concrètes pouvant faire tarir les sources de l’apatridie en Afrique ?
Selon les statistiques du Haut-commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, l’apatridie affecte plus de 10 millions de personnes dans le monde, dont 5 millions d’enfants. En Afrique de l’Ouest, on dénombre un million de cas. Conséquences : pas d'accès à l'école ni aux soins, impossibilité de bénéficier d’une protection sociale et juridique, d’ouvrir un compte bancaire ou encore d'accéder à la propriété, sans parler des voyages souvent impossibles. Voilà quelques une des situations que vivent, au quotidien, ces personnes apatrides. Aux yeux de l’Etat, elles n’existent pas, donc elles n’ont aucun droit. Une situation regrettable et déplorable à laquelle il faut se hâter de mettre fin. Pour cela, il convient d’identifier d’une manière claire les causes de ce fléau, qui sont tant structurelles que conjoncturelles.
Les causes structurelles s’entendent des dispositions légales pouvant aboutir à la négation de la nationalité d’un individu. Il faut comprendre que nombreuses sont les lois sur la nationalité qui ne sont pas totalement conformes aux textes internationaux telle la Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie. Des Etats tels le Niger et le Sénégal pratiquent encore le double jus soli, une règle selon laquelle un enfant né sur le territoire d’un Etat ne peut acquérir la nationalité de cet Etat que si ses parents sont eux-mêmes nés sur le territoire du même Etat. Dans d’autres comme la Côte d’ivoire, le Nigeria et le Togo, les enfants abandonnés deviennent apatrides, faute de lois leur permettant d’obtenir des papiers. Plus problématique, l’existence de discriminations basées sur le genre en matière de transmission de la nationalité participe à la progression du phénomène. Que ce soit en Guinée, au Mali ou encore au Niger, la législation sur le mariage comporte des restrictions sur la transmission de la nationalité de la femme ; de sorte que celle-ci ne peut transmettre sa nationalité à son époux. Il faut voir le cas du Bénin où la mère, même en cas de naissance sur le territoire national, ne peut transmettre sa nationalité à ses enfants. Toutes ces défaillances normatives, à n’en point douter, portent en elles des germes d’apatridie.
On sait par ailleurs, que l’état civil en Afrique connaît de véritables difficultés. Légions sont en effet les cas de naissances non-enregistrés. En Afrique subsaharienne par exemple, plus d’un enfant sur deux n’a pas d’identité. L’explication tient en ceci que du fait de leur analphabétisme, certains parents ne se rendent pas parfois compte de l’importance d’un acte de naissance et s’abstiennent de faire enregistrer les naissances. Le manque de sensibilisation et d'éducation des parents constitue par conséquent un obstacle sérieux à l’acquisition de la nationalité. Mais la faute n’incombe pas seulement aux parents.
En effet, les effets pervers de la mauvaise gestion des données de l’état civil est exacerbée par des causes conjoncturelles tels que les guerres, les crises et les conflits. Au niveau de la gestion des données, l’absence d’informatisation des registres d’état civil dans la plupart des Etats africains et les conditions de conservations inadéquates du papier de ces documents peuvent conduire à leur destruction au fil du temps ou par les conflits ou crises. Aussi, le dysfonctionnement des services publics, conséquence des guerres, conflits ou crises, tend inexorablement à amplifier le phénomène. Mais à côté de tous ces facteurs, une cause non négligeable de l’apatridie reste le déplacement durable de populations entre territoire, c’est-à-dire la migration. Régulière ou illégale, subie ou volontaire, ancienne ou récente, la migration peut conduire à l’apatridie s’il y a rupture avec le pays d’origine. En effet, la perte ou la confiscation des documents d’identité entrainant l’impossibilité de prouver l’existence de lien juridique avec l’Etat d’origine ou la déchéance législative de nationalité en cas de résidence prolongée à l’étranger peuvent entrainer l’apatridie si ces migrants n’ont pas été naturalisés au préalable.
Face aux effets dévastateurs et potentiellement dangereux de l’apatride, pacifier l'Afrique et mettre en place une politique moratoire concertée en Afrique seront de nature à contribuer à la limitation de ce fléau. Il revient aux Etats en effet de mettre effectivement en application le Plan d’action régional adopté. 
Celui-ci s’articule autour de trois chantiers : l’identification des apatrides et des risques d’apatridie, la prévention et la réduction de l’apatridie, et la sensibilisation du public. De façon concrète, les Etats devraient adopter des plans d’actions nationaux, élaborer une politique nationale claire de lutte contre l’apatridie et mettre en place une structure chargée de sa mise en œuvre. Ils doivent faire en sorte qu’aucun enfant ne naisse apatride en modernisant la gestion de l’état civil pour faciliter les déclarations de naissance, mais également en procédant à des réformes normatives pour éliminer les dispositions discriminatoires et combler le vide juridique. 
Aussi, l’organisation d’audiences foraines pour délivrer des certificats de nationalité et autres documents attestant de la nationalité aux personnes qui ont le droit de recevoir de tels documents n’est sans doute pas une mesure à écarter. De telles actions, bien menées,  pourraient indubitablement permettre aux Etats de corriger cette anomalie juridique qu’est l’apatridie.



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