Exposition de bijoux au Théatre Italia

Un concert aux couleurs d’été à Casablanca signé Laila Al Habash



Sur nos routes, nous enterrons notre Constitution 2011 et les suivantes


Par Jamal Eddine Naji *
Jeudi 24 Octobre 2013

Sur nos routes, nous enterrons notre Constitution 2011 et les suivantes
C’était un 24 décembre, vers 17 h. Il comptait offrir une glace à ses deux sœurs chez l’historique glacier italien de Casablanca. La prestigieuse «Safran», avec son «M» rouge, déboula en trombe du sens interdit de la ruelle qui est derrière le glacier… La petite voiture des trois amateurs de glace se tordit en un clin d’œil, et l’une des deux sœurs eut une douleur électrique à la nuque, en se tapant violemment la tête contre le plafond de tôle, douleur persistante qui s’avérera par la suite comme un dommage à séquelle durable bien que non handicapante… Le fier haut fonctionnaire de l’Etat descendit de son carrosse de pouvoir «safrané» et eut ce mot, en glissant sa main sur le pare-choc, propriété de l’Etat : «Moi, je n’ai rien !»  Il était à l’époque à la tête d’une administration hautement stratégique pour le pays, comme il est d’ailleurs, de nos jours, aux commandes d’une autre non moins stratégique… Destin forcément tout tracé pour le rejeton d’un puissant ministre des années 60...
«Sens interdit ?!»… L’homme semble comme offusqué que les occupants de la petite «205» (irrécupérable) et les policiers officiant pour le constat lui fassent la remarque : «Moi, dit-il, avec l’aplomb que vous devinez d’un puissant en pays conquis par l’usurpation et l’impunité régnante, j’ai mon bureau ici et je sors toujours de cette ruelle…» ! En somme, nous apprend-il, ici gît le bureau d’un patron (ou «toubab» diraient nos voisins du Sahel), donc ici disparait le sens interdit, ici doit être gommé le Code de la route, ici meurt le droit… Place nette à faire pour le non-droit, pour le crime, avec l’arrogance en plus du criminel, légataire d’une impunité héritée ! Cela se passait il y a vingt ans. Il y a moins de trois ans, au péage de l’autoroute d’El Jadida, les deux gendarmes de faction ont eu l’œil perçant pour coincer le chauffeur qui ne portait pas sa ceinture de sécurité au volant, l’enfilant plutôt, comme nombre de chauffeurs de voitures officielles, au siège, derrière le dos ! Les deux gendarmes furent quelque peu désarçonnés par l’empressement que montra le passager, visiblement patron du «malin tricheur» chauffeur, en reconnaissant tout de suite l’infraction, admonestant au passage le «petit caïd» au volant.
Il offrit sans hésiter aux deux agents de payer l’amende, lui qui avait sa ceinture bouclée (!), mais en demandant un reçu portant la précision de l’infraction et les noms des verbalisateurs. Ces derniers durent chercher longtemps dans leurs sacoches, avant de dénicher le carnet-intact des procédures et reçus imprimés qui consigne la nomenclature des infractions et des montants d’amendes correspondants. Il était clair que ce carnet avait affaire ce jour-là pour la première fois aux doigts des deux agents qui doivent être habitués à manipuler d’autres papiers, d’autres billets… Dans une atmosphère des plus tendues, un des deux agents finit par gribouiller l’imprimé nécessaire, bien que les deux ne tombèrent pas d’accord pour décider si l’infraction en question portait le nombre de nomenclature 165 ou 169 ! Toujours est-il que l’un remplit l’imprimé, y griffonna une mystérieuse griffe, le remit au «bizarre» et «irrévérencieux» patron du chauffeur incriminé, alors que le second agent fourra vite les 600 DH dans sa sacoche, havre de paix et de repos éternel pour le carnet des infractions à la destinée rarement, sinon jamais, dérangée par ce genre d’«emmerdeur», usager de la route en infraction !
Pour la même destinée, El Jadida, mais cette fois, sur la route nationale, du temps d’avant l’autoroute, et alors qu’une longue file de voitures roulait en moyenne à 100 km/h, voilà qu’une, du milieu de la file, stoppa net, au cri d’un promeneur sur les champs… Le chauffeur, hélé par son nom, non seulement s’arrêta sur place, couinant de tous ses freins, mais il fit marche arrière, sans doute, pour ne pas faire trop courir celui qui l’appelait et qu’il avait forcément dépassé ! A l’arrêt catastrophique et de carambolage annoncé, la foule, en colère, des conducteurs arrêtés et descendus de voiture, constata avec fureur que le conducteur, assez âgé, qui était juste derrière le criminel a eu le bassin fracassé alors que les deux vieilles dames qui l’accompagnaient n’arrivaient pas encore à détecter ni à exprimer ce que, visiblement, elles ressentaient comme douleurs multiples, l’une et l’autre, et comme traumatismes divers. Le criminel, bienveillant à l’appel de son copain ou voisin depuis la paisible et verdoyante campagne des «Chtouka», et bien malveillant à l’adresse du reste de l’humanité, n’avait rien, ni lui ni sa cage en tôle, au pare-choc bricolé, renforcé de ferraille…
Il avait les reins solides, comme sa «caisse» de la mort, et la tête bien froide : Il ne pipa mot devant ses victimes et les témoins horrifiés, ses mimiques étaient celles d’un spectateur convaincu d’être étranger au drame, innocent, exprimant par son silence un drôle de sentiment d’étonnement proche de l’étonnement qu’on peut reconnaitre chez quelqu’un qui n’a rien à se reprocher. Après tout, semble-t-il dire en langage codé, la route n’est qu’une partie, certes asphaltée «manjoura», du reste des champs que sillonnent et creusent nombre de chemins, de sentiers et de pistes «mrirates», alors qu’y-a-t-il d’anormal que de s’arrêter à l’appel d’un voisin ou d’une connaissance de patelin qui peut avoir besoin d’aide ?
Le comble !

L’homo sapiens au volant : deux mondes inconciliables

Le comble du télescopage de deux conceptions du monde inconciliables : une conception d’homo sapiens des champs et des sentiers tracés par le passage des bêtes et une conception de l’homme des routes, des autoroutes, des codes et ordres de priorités, réglant et orchestrant la circulation de ces armes meurtrières, à destruction massive au Maroc, que sont des véhicules en fer et en tôle, roulant dans le sens toujours probable de la mort et du handicap… Sur les 33 millions de Marocains, chaque année la circulation routière en tue plus de 4 200, plaçant le Maroc à la première place des routes macabres dans le monde arabe et à la sixième place dans le monde, lui fauchant en même temps 2% de son PIB annuel ! En 2012, avec 66 millions d’habitants, la France a fait le deuil de 3645 tués sur ses routes (contre 3 963 en 2011)… Que vous compariez, entre ces deux pays, la population, le parc automobile, le réseau routier et autoroutier, les équipements et effectifs du contrôle, etc., le Maroc fera toujours exploser les records dans la colonne du pire, de l’insensé, de l’incompréhensible, de l’hémorragie sans fin de ses forces, ressources et vies humaines.
Nos routes rayonnent par la mort même au-delà de nos frontières… Il y a dix ans, en 2004, un 8 décembre, soit deux jours avant la célébration de la Journée mondiale des droits de l’Homme, un chauffard de chez nous tua, sur le passage piéton du rond-point Bouregreg à Rabat, un Tunisien mondialement connu : le regretté Ahmed Othmani, célèbre globe-trotter de l’humanisation des prisons à travers le monde, dirigeant de Penal Reform International (PRI), «homme d’honneur et de conviction», disait de lui Robert Badinter, le courageux abolitionniste français. Othmani a succombé à la guerre de nos routes, lui que ni le régime de Bourguiba, qui l’a torturé et emprisonné pour dix ans, ni le régime Ben Ali, qui l’a traqué partout dans le monde, n’ont pu faire éteindre la voix ni en arrêter la marche de liberté, de ce digne fils de nomades de la région de Sidi Bouzid, au sud de notre lointain voisin, la Tunisie.
Dans la même ville, notre enviée capitale, il y a quarante jours, vingt ans après le chauffard, fils de ministre, trente ans après le cri hélant, depuis les champs de Bir Jdid, un autre chauffard, moins nanti que le premier, dix ans après le tragique trépas du militant Othmani, qui faisait juste des pas devant son hôtel (!), et trois ans après la gêne du gendarme hésitant entre l’infraction 165 et 169, face à un chauffeur convaincu, pour sa petite part, d’une impunité héritée de par sa fonction de chauffeur de service de l’Etat, voilà que l’hécatombe de la chaussée marocaine (héritière non reconnue des sentiers ancestraux - et encore vivaces- pour mules et autres bipèdes) fauche, en plein centre rutilant et moderne de cette dite capitale, Pr Amina Balafrej, une citoyenne des plus respectables et de celles pour lesquelles ce pays est bien redevable, pour les services rendus à la nation, pour les services rendus au même peuple par les siens : son père, Si Ahmed Balafrej, artisan politique hors pair de la lutte pour l’indépendance, fondateur du parti de l’Istiqlal et rédacteur du Manifeste de l’indépendance, aux services fort reconnus pour la diplomatie de la résistance à l’occupant, pour la diplomatie naissante du Maroc indépendant, ex-Premier ministre (1958) et représentant personnel du Roi (…); pour les services d’Anis, frère aîné d’Amina, militant démocrate qui, pour ce combat de dignité, connut les affres de la prison, épreuve qui amena son père à oser démissionner en 1972 de toutes ses hautes fonctions… Anis Balafrej qui, à sa libération, lança dès les premières années de la décennie 80 le premier camp populaire d’apprentissage de l’informatique au profit des enfants et des jeunes… Feue Amina Balafrej a été fauchée par un chauffard, jeune qui roulait à contresens de surcroit… Abandonnée et enregistrée sous «X» (!) dans les urgences de la santé publique pour laquelle elle a offert toute sa vie comme médecin, comme professeur, comme bénévole, comme pédiatre aux «pieds nus», forçant l’admiration et le respect des mères nécessiteuses des enfants diabétiques comme des ministres et représentants d’organismes internationaux au Maroc et à travers le monde, Amina est depuis, entre la vie et la mort, dans un coma sous surveillance intensive dans un hôpital parisien.
Il y a 40 ans, le sociologue et journaliste, Ahmed El Kohen Lamghili, fondateur de la regrettée revue «Al Assas» publiait dans le quotidien «Maghreb Informations» une analyse, perçue comme «gauchisante» et provocatrice à l’époque dans laquelle il se demandait si les Marocains n’étaient pas foncièrement suicidaires au volant, parce que, à la base (fi al assas) ils vivent une extrême schizophrénie due à leurs multiples frustrations dans tous les aspects de leur vie, aux plans économique, social, culturel, linguistique, matrimonial, sexuel… Schizophrénie que démontra autrement et brillamment, par ses nombreux travaux et enquêtes, l’autre compatriote sociologue, Paul Pascon. Un instinct collectif suicidaire bien avéré qui faucha également, en avril dernier, son pourfendeur, le regretté Ahmed El Kohen Lamghili lui-même, énième victime de nos routes (entre Rabat et Bouznika)… Tué comme le fut le leader historique, feu Ali Yata, piéton fauché à l’instar de feu Othmani, par un chauffard, juste devant l’imprimerie de ses journaux à Casablanca ! Ali Yata a été assassiné froidement par le fer et la tôle comme nombre de Marocaines et Marocains moins connus pour moi ou par vous, mais fort connus par les leurs et leurs proches et voisins…
Il est difficile, voire inimaginable, d’appeler à un sit-in sur toutes les routes asphaltées, autoroutes, artères, rues et ruelles, pendant une journée, de tous les Marocains et Marocaines, afin d’exorciser collectivement le diable suicidaire qui les habite dès qu’ils se mettent derrière un volant.
Pourtant, cela serait une «marche blanche» aussi bouleversante de notre «vivre ensemble» que l’a été la «Marche verte». Seule une manifestation de soi contre soi, de cette taille et de cette symbolique, pourrait donner espoir, comme quoi, il est possible que le Marocain respecte un jour un code, un stop, un feu rouge, une file d’attente, un règlement d’espace public… pour qu’on espère qu’il acquiert les premiers réflexes le préparant à adhérer graduellement à la culture et aux exigences de l’Etat de droit et du respect de la seule règle de droit.
Car, quand un peuple est à ce point persévérant à s’entretuer par goût-suicidaire-de l’irrespect/détournement de tout code, de toute règle, il ne peut admettre sincèrement qu’il soit régi par quelconque Loi suprême, une Constitution en l’occurrence, seul moyen de définir et de conclure par pacte incontestable, entre tous les membres de la communauté, le «comment vivre ensemble»… le «comment rouler ensemble» !
Majoritairement chauffards, les Marocains ne le seraient-ils pas avec leur Constitution ?! Certainement, ils le seront et, à terme, ils en seraient même les fossoyeurs qui enfanteront à leur tour, par culture et tradition longtemps acquise et entretenue, des fossoyeurs pour les Constitutions à venir. Leur credo : «la loi -ou la règle- ne passera pas !». Pleurons tous Amina, Ali, les deux Ahmed et notre Maroc aux routes et autoroutes qui se métamorphosent quotidiennement en sentiers pour hordes de bêtes sauvages en furie «contrôlées» par des épouvantails qui n’épouvantent et n’impressionnent guère par ces temps, les temps d’une véritable guerre civile. La Syrie a la sienne, nous vivons la nôtre… sur nos routes et nos boulevards ! Quelle différence quant aux bilans ?!


 * Fondateur de la Chaire Unesco
en communication publique
et communautaire - Rabat

Pétition : Pour une peine exemplaire pour les criminels de la route au Maroc

Le 31/08/2013, ma mère, Amina Balafrej, professeur de médecine, chef du service de diabétologie pédiatrique de l’hôpital des enfants de Rabat, a été renversée par un jeune, sur une artère principale de la ville dont la vitesse était limitée à 60 km/h.
La violence du choc subi par ma mère indique que le jeune circulait à une grande vitesse, et était donc en totale infraction au Code de la route. Pourtant, l’agresseur en question a été immédiatement pris en charge, pendant que ma mère a d’abord été abandonnée sur le trottoir avant d’être emmenée et enregistrée sous X (!) aux urgences dans une salle dite de «déchocage», sans réelle prise en charge pendant plusieurs heures. Ses papiers ont eux été emmenés loin, son téléphone éteint et sa famille pas prévenue.
Nous n’avions donc aucun moyen de la localiser ni de la secourir pendant plus de 5 précieuses heures qui auraient pu lui sauver la vie. Ma mère a sacrifié sa vie pour son pays, pour soigner gratuitement des centaines d’enfants d’origine modeste. Elle a créé le premier service de diabétologie pédiatrique du pays, elle était sur le point d’ouvrir le premier centre pour enfants diabétiques du pays. Le responsable, lui, est indemne et libre. Pire, aucun juge n’a été assigné à l’affaire, aucun dossier monté par les policiers. On a dû se battre des semaines pour récupérer les noms des personnes impliquées.
Nous sollicitons votre aide pour qu’un juge soit assigné, que justice soit faite et que le responsable soit jugé.


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