Sur les murs de Belfast, le Covid-19 côtoie les souvenirs de la guerre


Mardi 12 Mai 2020

Sur les murs de Belfast, le Covid-19 côtoie les souvenirs de la guerre
Sur les murs de Belfast, nombre de tags glorifient encore les paramilitaires qui ont combattu pendant des décennies l’armée britannique. A leurs côtés figure désormais un nouveau genre de street art, rendant hommage aux soignants en première ligne contre le nouveau coronavirus. Depuis que l’épidémie de Covid-19 touche l’Irlande du Nord, ses rues connues pour ses imposantes fresques rappelant les trois décennies des Troubles dans la province britannique voient désormais fleurir des peintures représentant docteurs et infirmiers. Un graffiti “NHS”, le nom du service de santé britannique, dans un gros coeur rouge orne désormais un “mur de la paix”, construit pendant la période des Troubles afin de séparer républicains catholiques, partisans de la réunification de l’Irlande, et unionistes protestants, attachés au maintien de la province dans la Couronne britannique. Dans un quartier républicain du nord de Belfast, une fresque arc-en-ciel remercie les travailleurs en première ligne, dépeints comme des héros. A quelques pas, l’image d’un combattant ajustant son tir se profile à l’horizon. Laissant derrière eux les divisions encore tenaces, les artistes urbains, républicains comme unionistes, montrent avec ces oeuvres dans l’air du temps l’unité de la population face à la pandémie, qui a déjà fait 418 morts dans la région. Ces peintures sont “très vite apparues sur les murs de toute l’Irlande du Nord”, a indiqué à l’AFP Dominic Bryan, professeur en anthropologie à l’Université de Belfast. Il relève qu’un sentiment d’unité était déjà palpable au travers des “moments ritualisés” que constituent les applaudissements tous les jeudis soirs pour les soignants du service du NHS. Pendant les trente ans qu’il a duré, le sanglant conflit nord-irlandais a fait 3.500 morts, avant de prendre fin en 1998, avec les accords de paix du Vendredi Saint. “Dans les années 1980 et 1990, les peintures murales ont vraiment pris leur essor”, explique M. Bryan, avec de nombreuses représentations des combattants, encagoulés ou armés, de l’Armée républicaine irlandaise (IRA), formation paramilitaire farouchement opposée à la présence britannique. “Et les loyalistes ont voulu marquer leur territoire de la même manière”, poursuit le chercheur. Après le conflit, ces peintures et tags d’inspiration militaire, mitraillettes à l’appui, ont continué à faire partie du paysage de Belfast. C’est “une ville divisée”, explique M. Bryan. Depuis 1998, le street art nord-irlandais a pourtant bien changé, évoluant subtilement vers des représentations commémorant la mémoire des victimes ou des fresques montrant la paix, via des moments heureux, des enfants jouant dans les rues ou des exploits sportifs. Les hommages rendus dernièrement aux soignants s’inscrivent dans cette tendance, signe que guérissent les vieilles blessures. Mais au delà de l’unité apparente, l’anthropologue voit une autre tendance se dessiner, au travers de la figure parfois ambivalente du héros.
Si les fresques dépeignant les soignants fleurissent dans les parties républicaine comme unionistes de la ville, certaines oeuvres “lient” métaphoriquement “le NHS à l’identité britannique ou à une force armée”, explique-t-il: “si on voit les soignants comme des soldats, ils sont donc reliés aux conflits antérieurs”. Une fresque qui orne les murs de Glynn, ville au nord de Belfast, montre ainsi des soignants en blouse planter une bannière du NHS sur une terre tachetée en forme de coronavirus, rappelant la célèbre photo des troupes américaines élevant leur drapeau sur l’île japonaise d’Iwo Jima. “On constate une réelle cohésion, surtout dans les quartiers populaires”, estime Dominic Bryan, qui salue la “résilience” de ces communautés. “Mais il ne fait cependant aucun doute que le discours autour de cette crise va devenir plus complexe et, je pense, plus clivant”.


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