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C'est en effet par là qu'était envoyé vers la Baltique le bois des grandes forêts du sud. Sur un des radeaux transportant à nouveau des troncs d'arbre, la journée commence par une prière chantée : "Quand l'aube se lève, toute la terre, toute la mer, toute la nature font ton éloge", entonne de sa voix de basse le radeleur en chef Zdzislaw Nikolas.
"On fait comme nos ancêtres, on chante cette prière à l'aube et le soir. Sainte Barbara fut la patronne des métiers dangereux, des mineurs, des sapeurs pompiers et des radeleurs, car ce fut un métier dangereux, le courant des rivières au printemps était fort", explique Nikolas entouré de ses compagnons près d'une image de la sainte.
Partis le 2 juillet d'Ulanow, une localité du sud-est de la Pologne sur le San, un affluent de la Vistule, ils comptent avoir couvert en 29 jours les 724 kilomètres les séparant de la Baltique.
"C'est le plus grand flottage pratiqué aujourd'hui en Europe", assure Nikolas. "On le fait par passion, pour faire revivre ce métier et non pour des raisons économiques".
Ils ont accosté pour la nuit sur une plage de sable fin à Gassy, à quelques kilomètres en amont de Varsovie.
Composé de quatre radeaux construits avec de longs pins attachés entre eux, ce train de bois flottant pèse 50 tonnes et mesure 70 mètres. Il a deux rames, une à l'avant et une à l'arrière, qui permettent de le diriger.
La Vistule est un fleuve sauvage qui a connu peu d'aménagements et peu de dragage.
Par endroits peu profond, on y rencontre des troncs cachés sous l'eau qui peuvent bloquer tout le convoi. "Dès que les glaces cédaient sur la Vistule, les radeleurs se mettaient au travail et mettaient le bois à flotter", explique Nikolas qui manie la rame arrière. "Toute la ville d'Ulanow pratiquait ce travail, souvent en famille, et le métier se transmettait de père en fils. Il a disparu avec le début de la guerre en 1939 quand l'armée allemande, avec les bombes qu'elle a lâchées sur la Vistule, a détruit son lit", raconte-t-il.
Après la guerre, le flottage a été remplacé par le transport routier et le rail. En 1991, avec d'autres passionnés de cet ancien métier, Nikolas a réactivé une confrérie de radeleurs et, l'an dernier, une première descente a été organisée. Cette année, elle se fait sur fond de célébration de "l'Année de la Vistule", décrétée par le Parlement.
"J'ai fait la première descente et là, je fais la deuxième. J'ai tout fait pour me libérer de mon travail et pour que mon épouse me laisse partir et j'ai réussi, je suis là", se réjouit un homme de grande taille, Zygmunt Osip, tout en coupant du bois pour allumer un feu. Après ces semaines de descente, "il ne reste plus grand-chose de nos provisions", dit-il en mettant des choux dans une grosse marmite. Toute la vie se déroule à bord. Les radeleurs dorment sous des tentes ou des abris en chaume traditionnels.
"Les troncs d'arbres, bien sélectionnés et marqués du sceau du propriétaire étaient reliés entre eux pour former une sorte de radeau. Le radeleur à qui les marchands de bois confiaient leur marchandise "risquait souvent tous ses biens, sa maison, sa femme et ses enfants" qui servaient de caution, rappelle Nikolas. Une fois arrivé à Gdansk (un grand port sur la Baltique), le bois était coupé dans des scieries, puis exporté. "On dit même que toute la ville d'Amsterdam a été construite avec le bois polonais, toutes ces belles maisons, des quartiers entiers ont été bâtis avec des pins qui poussaient en Pologne". On exportait ces arbres aussi pour en faire des mâts en Angleterre et en Norvège", ajoute-t-il.
"Pour moi, ce voyage c'est aussi beau qu'un premier amour", s'exclame Zygmunt.