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Selfie, pratique à risque


Chady Chaabi
Jeudi 26 Septembre 2019

Un touriste allemand qui fait une chute mortelle en caracolant du haut des 110 mètres des cascades d’Ouzoud. Des malheureux tués suite à leur chute dans les parcs américains du Grand Canyon (Arizona) ou de Yosemite (Californie). Un autre depuis les falaises de Moher en Irlande. Certains ont été tués par un ours en Inde ou blessés par un bison à Yellowstone. Ces dernières années, la liste, égrenée par les médias, des accidents survenus smartphones au bout du bras ou perche à selfie en main a pris des airs de morbide inventaire. Prisés comme jamais des fans d’aventure, les selfies accroissent les risques d’accidents, parfois tragiques. La tendance surnommée le « killfie » divise et inquiète.
De nos jours, le selfie est multifonctions. Il sert à revendiquer sa joie d’être quelque part. Il permet également de s’immortaliser, de graver sa rencontre avec une star ou tout simplement de documenter sa vie sociale. Pour les touristes, il fait office de carte postale. Bref, le selfie est partout. Il peut être banal ou historique, solitaire ou collectif, improvisé ou calculé mais aussi anodin ou périlleux. C’est notamment le cas quand il est à l’origine de dérapages dangereux, incitant les randonneurs à prendre des risques démesurés et excessifs.
Aujourd’hui, cette triste réalité s’apparente à une tendance. Le selfie mortel est même considéré comme endémique par le magazine américain de sport de plein air Outside, qui s’en inquiétait il y a quelques mois de cela. Le magazine expliquait qu’entre le « Braggie » (dérivé de « to brag », se vanter), autoportrait pris pour faire saliver ou enrager ses proches ou amis virtuels et le « Killfie », le selfie qui se nourrit de la vie de son auteur, il n’y aurait qu’un pas franchi à multiples reprises ces dernières années, assombrissant à l’occasion la réputation d’un comportement devenu omniprésent grâce à la popularisation combinée des appareils photos sur les smartphones et des applications qui permettent le partage de clichés.  
Récemment, le « Journal Of Family Medicine and Primary Care », a relayé une étude qui dévoilait qu’entre octobre 2011 et novembre 2017, 259 personnes sont mortes lors d’une tentative de selfie. Les victimes étaient plutôt des jeunes hommes. Beaucoup d’entre elles étaient originaires d’Inde. Logique pour un pays immensément peuplé et très connecté. Logique aussi que les premiers travaux universitaires sur le sujet y ont été réalisés. D’après Agam Bansa du All India Institute Of Medical Sciences de Bhopal, l’auteur principal de l’étude «le problème des morts par selfie a fait surface et nous avons voulu obtenir une idée de l’épidémiologie de cette cause entre guillemets, de mort très variable et savoir  si les gens en prennent conscience», a-t-il indiqué dans l’Equipe magazine.
L’étude en question a révélé qu’une grande partie des drames liés aux selfies sont attribuables à des comportements illégaux. A titre d’exemple, on peut citer le rooftopping ou urban climbing. Une pratique très médiatisée qui a connu son lot de morts violentes, dont celle du Chinois Wy Yongning, tombé du 62ème étage d’un immeuble de Changsha en novembre 2017. Une mort qui prouve que la dangerosité du selfie se manifeste dans le fait qu’il expose son auteur au risque d’oublier son environnement.
Les détracteurs de la « culture du selfie » enfoncent le clou en évoquant des risques qui dépassent ceux provoqués par l’acte de prise de vues en lui-même. Et pour cause, incarné par le selfie, l’attrait pour la célébrité sur les réseaux sociaux pousserait, les autoportraitistes à s’assigner des objectifs déraisonnables. Dans un excès de narcissisme, ils en viennent à chercher le danger au point que cela fait dire à certains que le selfie devrait être rebaptisé « selfish », égoïste.  
L’impressionnante photo, prise par l’alpiniste anglo-népalais Nimal Purja, exposant aux yeux du monde la longue « file d’attente » pour accéder au sommet de l’Everest lors d’un printemps 2019 particulièrement meurtrier (au moins douze morts) est l’illustration parfaite de cette dérive supposée.  La photo a poussé un alpiniste chevronné à réagir. Parmi tant d’autres, le Britannique Adrain Hayes a fustigé le fait que « la basique quête humaine de sens a dégénéré en une course à la reconnaissance, au respect et à la célébrité sur les réseaux sociaux». Et d’ajouter : « A chaque fois qu’un aventurier poste une photo d’une destination incroyable, d’un succès étonnant ou d’une posture périlleuse, cela crée un sentiment inconscient de désir ou de manque chez les autres, ce sentiment de ‘’moi aussi, je dois tenter des choses pour montrer ma valeur’’ ».
En parralèlle, il ne faudrait pas oublier que les pratiquants du selfie sportif insistent sur son intérêt promotionnel. Une logique qui vaut pour les destinations touristiques. Le selfie leur fournit une publicité gratuite sur les réseaux sociaux. Cela dit, plusieurs pays n’omettent pas de mettre en garde leurs visiteurs. En témoigne l’Islande qui a diffusé ces dernières années des vidéos promotionnelles vantant « des paysages à tomber mais qui ne veulent pas dire que vous devez y tomber ». Au Maroc, aucune action n’est menée en vue d’une sensibilisation spécifique sur le sujet. Et a priori, ça ne risque pas de changer de sitôt.
Certains vont plus loin encore que la prévention. Des chercheurs planchent aujourd’hui sur des projets d’applications mobiles qui permettraient d’envoyer un message d’alerte, voire de bloquer l’appareil photo d’un smartphone quand celui-ci détecte une position dangereuse. Toutefois, la technologie ne sera jamais capable de se substituer à notre propre responsabilité quand il s’agit de prendre un selfie. Une photo mortelle, oui. Mais si possible dans le bon sens du terme.  


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