Sami Nouri, de la route de l'exil aux défilés de mode


Libé
Lundi 3 Avril 2017

Sami Nouri a 14 ans quand un passeur l'abandonne dans une gare de province en France. Six ans plus tard, ce jeune réfugié afghan vient d'installer son atelier à Paris, après un apprentissage chez Jean Paul Gaultier, et prépare un défilé pour juillet.
"C'était mon rêve, d'avoir mon atelier, travailler pour moi-même. Mon but c'est de le faire grandir, y faire travailler des gens", explique le jeune homme avec assurance, coiffure soignée et pantalon ajusté.
Dans ces petits locaux en fond de cour, qui ont été mis à sa disposition par un particulier, sont installés une grande table, un buste de couture, une planche à repasser et une machine à coudre, dont Sami, qui vient d'avoir 21 ans, a appris à se servir dès l'âge de 8 ans.
A l'époque, le jeune garçon vivait en Iran avec ses parents, qui avaient fui leur région de Mazar-è-Charif, dans le nord de l'Afghanistan. "La vie était très dure, je ne pouvais pas aller à l'école, je ne pouvais pas sortir parce que je n'avais pas de papiers", raconte-t-il.
Auprès de son père, qui travaille dans la confection, il apprend le métier. "On faisait 200 pièces par semaine, c'était énorme. On travaillait du matin au soir".
La famille rêve de gagner l'Europe. Sami est séparé de ses parents et sa soeur, et pris en charge par un passeur qui l'accompagne jusqu'en France. Mais le laisse en plan une fois arrivé à la gare de Tours (Centre ouest de la France).
"Il m'a dit de l'attendre, le temps qu'il aille chercher une voiture. Je l'ai attendu longtemps, il n'est pas revenu. Je ne savais même pas où j'étais!"
Ne parlant ni français ni anglais, après une nuit d'errance, l'adolescent se retrouve au commissariat, est placé en foyer puis en famille d'accueil.
Il reste un an et demi sans nouvelles de sa famille, avant de retrouver grâce aux réseaux sociaux sa mère et sa soeur, installées à Orléans, à une centaine de kilomètres. Mais il dit avoir perdu le contact avec son père et ignorer son sort.
Avec ses aptitudes pour la couture, il réussit à rentrer dans un lycée professionnel spécialisé dans les métiers de la mode.
A la tête de l'atelier de retouches Juba Couture à Tours, où Sami est passé en stage, Assia raconte avoir été "bluffée" par l'adresse du jeune homme.
"Au départ il venait pour que moi je lui montre, que je l'aide à apprendre. Je lui ai donné un bas de pantalon à faire, il l'a piqué comme quelqu'un qui avait fait ça toute sa vie. Il était plus rapide que moi!", se souvient-elle.
Sami tente ensuite sa chance auprès de grandes maisons de mode parisiennes. Il envoie "70 lettres de motivation", reçoit une réponse positive de la griffe John Galliano, où il passe trois semaines. Puis fait son apprentissage chez Jean Paul Gaultier, où il reste plus de deux ans.
Là, il découvre la haute couture: "Le travail à la main, sur mesure, le souci des détails" et les "tissus de qualité". Il participe notamment à réaliser une robe pour la chanteuse Kylie Minogue.
S'il a échoué à obtenir le diplôme de l'Ecole de la Chambre syndicale de la couture parisienne, le jeune homme qui a obtenu la nationalité française, entend désormais voler de ses propres ailes. Et prévoit d'organiser en juillet prochain un défilé dans un château Renaissance près de Fougères, en Bretagne.
Le lieu lui est prêté par un entrepreneur danois, Michael Linhoff, "touché" par l'histoire, le "talent" et la "personnalité atypique" du jeune homme.
"J'ai envie qu'il réussisse. Il a besoin d'un coach, d'un mentor à côté de lui, il est encore très jeune", souligne cet homme de 51 ans. "C'est un garçon qui a beaucoup d'ambition. Il a un caractère... parfois il peut être tête à claques!", sourit l'entrepreneur.
"C'est aussi un exemple que les étrangers font bouger la France. Moi je suis intégré en France, j'ai créé des emplois, lui va créer de la richesse", dit-il.
A quoi ressemblera le défilé? Sami Nouri, déjà rodé aux médias, veut en faire un événement sur plusieurs jours, inspiré de son "histoire", consent-il seulement à dévoiler.


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