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Retour sur le passé : Brides de ma vie relatée à M’Barek Bouderka


Libé
Mercredi 8 Juillet 2020

Retour sur le passé : Brides de ma vie relatée à M’Barek Bouderka
Dans les rangs de l’opposition

Le référendum sur la Constitution de 1962


Mohammed V s’est éteint le dimanche 26 février 1961 à la suite d’une opération chirurgicale. Vécu comme un drame national, l’évènement pousse le petit peuple sort dans les rues pour exprimer sa peine et pleurer un monarque adulé. La cérémonie des funérailles est un grand événement auquel prennent part plusieurs chars d’Etat, l’ensemble de la classe politique et une foule amassée le long du passage du cortège funéraire. Mehdi Ben Barka, en mission à l’étranger, envoie un message et a aussitôt rejoint le pays pour présenter personnellement ses condoléances au nouveau Roi, Hassan II.
Voulant commencer son règne sous le signe du dialogue, Hassan II reçoit pour consultation les dirigeants des partis nationaux. Aussi, à l’issue de plusieurs transactions, forme-t-il un nouveau gouvernement au début de mars 1961, le sixième depuis l’indépendance sous sa présidence effective. Il garde toutefois sous son autorité personnelle les ministères de l’Intérieur et de l’Agriculture. Quelques temps après, il fait appel aux services d’Ahmed Ridha Guédira qu’il réhabilite après un moment de disgrâce, lui confie la directif du Cabinet royal, puis deux semaines plus tard, les portefeuilles de l’Intérieur et de l’Agriculture en plus du secrétariat royal. L’homme devient l’un des principaux piliers du pouvoir, omniprésent dans les gouvernements qui se succèdent depuis. Contestant une telle hégémonie, trois ministres  de l’Istiqlal présentent leurs démission et quittent le gouvernement : Allal El-Fassi, M’Hmed Bouceta et M’Hamed Diouri.
A la fin de l’année 1963, le roi effectue sa première visite officielle à Casablanca dont la population lui réserve un accueil chaleureux. Il prononce un discours devant le conseil municipal soulignent l’impératif de la mobilisation pour l’emploi, promettant de promulguer incessamment une Constitution et affichant sa volonté de promouvoir un véritable régime démocratique. Peu de temps après, il invite les partis politiques à former un conseil constitutionnel pour rédiger une Consitution. L’Ittihad décide de ne pas y prendre  parts et insiste sur l’impératif d’élire une constituante  en bonne et due forme à qui revient de droit la charge de rédiger la Constitution et estime que le cadre proposé par le roi est une bulle vide qui ne répond en rien aux attentes des partis politiques. Nos appréhensions se sont avérées vraies par la suite.
Allal El-Fassi, étant élu président du Conseil, les représentants du Mouvement populaire, Mahjoubi Aherdan et docteur El-Khattib, démissionnent, suivie dans leur fuite en avant par ceux du parti des Libéraux présidé par Guédira. La cause invoquée : l’élection d’El-Fassi bien qu’il ait été porté à la présidence par une procédure on ne peut plus démocratique.
La défection des partenaires politiques pousse le roi à faire appel à des experts étrangers pour rédiger la première Constitution du Royaume. La date du référendum est prévue pour le 7 décembre 1962. L’Ittihad décide de boycotter le scrutin. Ainsi, les militants du parti se mobilisent et s’investissent pour convaincre les électeurs de mettre dans les urnes le bulletin bleu « Non », opposé au blanc « Oui ». L’opposition entre les deux couleurs est à l’origine du slogan adopté pour les circonstances « Ni blanc, ni bleu, qu’ils gardent leurs institutions ». En outre, peu de temps avant le référendum à la mi-novembre 1962, Mehdi Ben Barka, à ses côtés Mehdi Alaoui, est victime d’une tentative d’assassinat alors qu’il est sur la route entre Casablanca et Rabat, au niveau de Oued Cherrate, à quelques kilomètres de Bouznika. Mehdi sort indemne de l’accident, tout juste une fracture cervicale qui l’oblige à aller se faire soigner en Allemagne.
Deux mois auparavant, pendant le mois de septembre, une bombe explose à l’intérieur de l’imprimerie qui édite les journaux de l’Ittihad et les publications de l’UMT. De même, lors de la campagne pour le  « Non », pas moins de 900 militants du parti sont mis sous les verrous.
Pour sa part, le Parti démocratique constitutionnel, l’ancien parti de démocratie et d’indépendance (hizb chourra), dirigé par Mohammed Ben Hassan Ouazzani, membre du gouvernement, celui-même qui supervise le référendum, se retire déclarant qu’il s’agit d’un référendum « illégal ». Aussitôt les résultats donnés, un dahir annonce le limogeage de Ouazzani de sa fonction de ministre d’Etat.

Les élections législatives

Vers la fin du mois de mars1963, le ministre de l’Intérieur, Ahmed Redha Guedira, annonce lors d’une conférence de presse la création d’une nouvelle formation politique baptisée le « Front de défense ses institutions constitutionnelles», plus connu par l’abréviation FDIC. Le bureau du parti se compose de plusieurs personnalités, notamment : Mahjoubi Aherdan, docteur Abdelkrim El-Khattib, Ahmed Alaoui, Driss Slaoui … Le jour même à Rabat, une nouvelle publication en français voit le jour  « La Clarté ». Ziyyani est à la fois son directeur ainsi que celui de l’hebdomadaire « Les Phases ». Dans les premiers numéros des deux publications, on insiste sur les impératifs derrière la création du FDIC.
Pour sa part, en pleine campagne électorale, Allal El-Fassi tient une conférence de presse où il insiste en particulier sur un point essentiel : la fraude des élections pourrait mener le pays au seuil d’une révolution. Par la même occasion, il rend publique l’existence de contacts avec l’Ittihad.
En réaction à cette déclaration, le roi s’adresse à la nation dans un discours radiodiffusé en arabe dialectal annonçant le début de la campagne électorale. Il invite l’ensemble de la population à être au niveau de l’évènement en observant une bonne conduite et souligne encore une fois sa ferme volonté de faire régner la sûreté et d’assurer la sécurité de chacun.
Cependant, les militants de l’Ittihad subissent toutes sortes de tracasseries, surtout ceux en positions favorables face à des candidats du FDIC.
Prenant les devants au lendemain des élections, Ben Barka et Bouabid, lors d’une conférence de presse, font étalage des fraudes commises par les autorités. Allal El-Fassi, lui, dénonce les irrégularités et réclame la dissolution immédiate du gouvernement.
Les appréhensions des leaders se confirment quand le ministre de l’Intérieur annonce les résultats des élections législatives : sur 144 membres, le FDIC obtient 69 sièges, l’Istiqlal 41, l’Ittihad 28 et 6 pour les indépendants. Les résultats, néanmoins, réservent quelques surprises. En dépit des fraudes électorales, huit membres du gouvernement échouent à se faire élire, tandis que l’opposition a gain de cause dans la plupart des grandes villes.
Dans une tentative de sauver la face, le ministre de l’Intérieur, à la fin du mois de mai, n’a pas trouvé mieux que de porter plainte contre les journaux des partis nationaux, notamment « Al-Alam », « Attahrir » et « La Nation africaine ». Le FDIC, à la même époque, annonce la cessation momentanée de la parution du journal « La chargé ».

La mise en échec de ma candidature

L’ensemble  des membres du secrétariat général de l’Ittihad candidats aux élections ont obtenu des sièges au parlement Quant à moi, candidat du parti à Tanger, ma ville natale, j’ai obtenu une majorité de voix, mais à la surprise générale, les autorités, au niveau central, ont procédé sciemment à la manipulation des données et ont déclaré vainqueur mon concurrent.
J’ai su par la suite d’une source crédible, d’un homme politique au courant des méthodes en usage à l’époque, que la fraude électorale se déroulait d’une façon astucieuse : on transférait les voix du vainqueur à celui désigné par l’administration et vice-versa. Les voix exprimées demeuraient ainsi les mêmes. Les échanges de voix ne soulevaient dès lors aucune objection tant ils se déroulaient de façon limpide. Ma source m’a confié : « Tu as gagné les élections à Tanger, mais les résultats ont été changés en ta défaveur pour faire élire Cherif Ouazzani. On voulait te punir pour l’initiative que tu avais prise au début du mois de mai auprès des Algériens ».
En effet, lors d’une visite privée à Alger, j’ai sollicité l’intervention du président Ahmed Ben Bella auprès du Rais égyptien pour renoncer à une visite officielle au Maroc parce que le gouvernement comptait l’utiliser pour redore son blason alors que nous étions en pleine campagne électorale.  J’ai proposé d’ajourner la visite pour après les élections. Sans perdre de temps, Ben Bella a contacté Nasser dont le bateau avait déjà quitté les eaux territoriales égyptiennes. Pour sauver la face, il a été que le Rais fasse escale en Algérie en visite officielle, puisqu’il avait peu de temps auparavant, en 1961, effectué une visite au Maroc.
J’ai été le seul du secrétariat général à ne pas siéger sous la coupole du parlement. Depuis, j’ai décidé de ne plus me présenter aux élections, ce à quoi je tiens encore.
Les élections locales et l’affaire du « Complot »
Le ministre de l’Intérieur annonce la date des élections municipales et rurales : le 28 juillet 1963. Aussitôt, les autorités déclenchent une vaste campagne d’arrestation contre les militants de l’Ittihad, campagne qui s’étend pour englober les dirigeants de l’Istiqlal et du PCM, encore frappé d’interdiction.
Tirant les leçons de l’expérience précédente, celle des législatives qui, en dépit des fraudes, n’a pas atteint les résultats escomptés puisque les partis de l’opposition, surtout l’Ittihad, en sont sortis vainqueurs, la chasse aux militants cette fois-ci s’est voulue plus percutante. Répression contre les uns, disponibilité envers les autres, les autorités, sans se couvrir et en plein jour, n’ont guère lésiné sur les moyens  pour donner l’avantage aux candidats du FDIC.
Les discussions tournaient autour de l’opportunité de participer aux élections communales et rurales, ou au contraire les boycotter. Le 16 juillet 1963, sur convocation du bureau politique, le comité central tient une réunion au siège à Casablanca pour justement en débattre et prendre une décision.
En plein réunion,  les forces de l’ordre encerclent le siège et procèdent à l’arrestation des militants de l’Ittihad pour conspiration contre la sûreté interne et externe de l’Etat. L’ordre est donné par le ministre de l’Intérieur Ahmed Hamiani, celui même qui venait de remplacer de l’Intérieur Ahmed Hamiani, celui même qui venait de remplacer Guédira à ce poste. Sur le terrain, c’est le colonel Oufkir qui supervise les opérations.
Par chance, deux journalistes indépendants ont assisté à la séance. Tonm Brady, de nationalité américaine (décédé il y  a quelques temps en Grèce), et André Azoulay que Bouabid avant auparavant mis en garde contre l’éventualité d’être la cible de la police, mais qui a insisté à prendre le risque et à dû partager avec moi la même cellule.

Des violations à large échelle

S’en suivent plusieurs autres arrestations visant la direction de la résistance, de l’armée de Libération et les militants de l’Ittihad. Les détenus subissent toutes sortes de tortures physiques et psychologiques, en particulier aux centres de détention Derb Moulay Cherif et Mâarif à Casablanca et Dar Al-Mokri à Rabat.
Cependant, au tout début de la campagne de répression, A. Bouabid a été libéré. Avec les camarades de la direction du parti encore en liberté, ils ont pris la décision de ne pas participer aux élections. La même décision a été prise par l’Istiqlal et le PCM, interdit d’action, ainsi que les diverses organisations estudiantines qui, unanimement, ont dénoncé « des élections truquées ».
Le roi a été mis au courant de la dérive grave par le biais d’une correspondance qui a dénoncé les arrestations dont étaient victimes  des militants de l’Ittihad. Pour sa part, le Syndicat de la presse a publié un communiqué dénonçant les pratiques illégales, notamment la détention arbitraire des journalistes,  la saisie des journaux et leur renvoi devant les tribunaux. Le document a dénoncé sans ménage les dérives qui ont porté atteinte à la liberté d’expression.
Mohammed Oufkir, le directeur de la sûreté nationale et le colonel Ahmed Dlimi, se sont chargé en personnes des interrogatoires pour arriver à leurs fins et arracher les aveux, usant des méthodes les plus sadiques. Ainsi, on n’a point hésité à diffuser sur les ondes de la radio un enregistrement sonore du Fquih Basri. On a fait pression sur Moumen Diouri pour l’obliger à être témoin à charge divulguant de sa propre volonté les secrets du complot. Outre des aveux francs, on a tenu à le filmer en train de soustraire des armes d’une cache suitée quelque part dans une ferme.
Pas moins de cent militants sont présentés devant le tribunal pénal de Rabat, tous accusés de fomenter des actions contre la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, de projet d’assassiner le prince héritier et de comploter conte la sécurité de l’Etat. Les accusations sont formulées de façon grossière contre ceux qui ont une opinion autre que celle exprimée par les autorités.
Il est à noter que pendant la première semaine de juin 1963, juste après les élections, quelques dirigeants de l’Istiqlal sont arrêtés et mis sous les verrous, notamment  Mansour Nejae, Ahmed Cherkaoui, Abdelaziz Cohen et Mohamed Belouareth. L’accusation évoquée, devenue classique, n’est autre que celle de porter atteinte à la sûreté de l’Etat tout simplement parce qu’ils avaient adressé une lettre à l’ambassade des Etats-Unis pour dénoncer le détournement des denrées alimentaires dont fait don l’Etat américain au peuple marocain. Ils passent deux mois en prison avant de bénéficier de la libération provisoire sans qu’ils aient fait l’objet d’un procès jusqu’à nos jours.
Les  ténors de l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM) subissent un traitement analogue et pour la même accusation. Mohammed Haloui, le secrétaire général de l’organisme estudiantin, est mis plusieurs fois en détention.
Parmi les accusations à charge retenues, les autorités s’ingénient à fournir des preuves supposées être irréfutables. Ainsi, elles ont recours aux confidences d’un agent syrien, un certain Atef Daniel, résidant à Genève, la ville que les nationalistes ont pris l’habitude de prendre pour point de départ lors des voyages à l’étranger, vers Le Caire, New York, le Pakistan et autres destinations et ce pour éviter les aéroports de l’Hexagone infectés par les services de renseignements français. Il est à rappeler que Genève est devenue un lieu privilégié des nationalistes marocains depuis 1937, l’année où Ahmed Balafrej y est allée pour se faire soigner et avait l’habitude d’y retourner fréquemment. En outre, Lausanne recevait plusieurs étudiant arabes, syriens et marocains. Ces derniers, notamment Abdelkebir El-Fassi, Allal El-Fassi et Ahmed Balafrej y avaient fait la connaissances de Chakib Arsalane, Il introduisent auprès de l’émir syrien les dirigeants de la révolution algérienne, en l’occurrence Ahmed Ben Bella, Mohammed Boudhiaf et Houssein Aït Ahmed.
Parmi les étudiants syriens, se trouvait un certain Atef Daniel qui s’est lié d’amitié avec plusieurs étudiants marocains, entre autres avec Mamoun Alaoui et Abdel-Wahab Liraqui. La plupart de ces derniers, après la fin des études, sont revenus au pays. Daniel lui est resté en Suisse. On ne lui connaissait nulle fonction ni métier, ce qui laissait croire qu’il était à la solde des services de renseignement. Nonobstant les doutes sur sa véritable identités, les nationalistes de passage en Suisse, par compassion, se montraient généreux à son égard. Il n’est pas exclu qu’il ait rendu visite à un de ses amis au Maroc et ait participé à quelques réunions et conférences des partis marocains. Il est à croire aussi que passant par des conditions difficiles, il a dû contacter docteur El-Khattib pour lui fournir des informations en échange d’une somme d’argent ce qui ressemblait à une opération de chantage, El-Khattib devait plus tard donner plus de détails sur cette affaire.

La préparation du procès

A la mi-août 1963, les accusés du « Complot » sont différés devant le parquet. Aussitôt, le ministre de la Justice, Ahmed Bahnini, tient une conférence de presse pour confirmer l’inculpation des accusés dans une vaste opérations de déstabilisation du pays. Il tient à l’occasion à préciser qu’aucun officier de l’armée n’y est impliqué, balayant ainsi les soupçons qui pesaient sur le colonel Mohammed Madbouh,  l’époque responsable à la garde royale. Il est quelques temps plus, en septembre 1963, promu directeur du cabinet militaire du roi.
En signe de gratification, le colonel Oufkir, jusqu’alors directeur de la sûreté nationale, est élevé au grade de général de brigade. Le jour même de sa promotion, trois bombes explosent dans les ateliers de l’imprimerie « Imprégima » à Casablanca, là ou sont édites « Attahrir », l’organe de l’Ittihad, les publications de l’UMT et celles  du PCM. Les dégâts sont énormes.
Mehdi Ben Barka, à l’étranger, échappe au coup de filet. Il quitte le pays le 15 juillet 1963, quelques heures avant le lancement des opérations. Un mois plus tard, dans une interview au journal « Le Monde », il dénonce la répression dont sont victimes ses camarades et déclare son intention de présenter devant les instances internationales les violations graves commises.
Fin août, le juge d’instruction permet enfin aux seuls avocats marocain de rendre visite aux détenus, et refuse à leurs confrères étrangers de défendre certains inculpés. Le procès, prévu pour une date proche, est ajourné à cause de la guerre des Sables survenue pendant le mois d’octobre 1963.
La guerre entre le Maroc et l’Algérie, malheureusement, est à l’opposé de ce qui a prévalu lors de la conférence de Tanger en avril 1958, une rencontre qui voulait être le noyau de la construction du Grand Maghreb arabe, tout autant qu’elle est à l’opposés des objectifs que se sont assignés les dirigeants des Mouvements de libération en Afrique du nord. C’est un coup fatal porté à l’action menée par le Bureau du Maghreb arabe au Caire, à sa tête Mohammed Ben Abdelkrim Khattabi. Elle constitue l’acte qui a réduit à néant les sacrifices du peuple marocain pour soutenir la révolution algérienne contre le colonialisme. Est-ce nécessaire de rappeler qu’une bonne partie des opérations de résistance partait de la région orientale du Maroc.
Un mois après la cessation des hostilités militaires en novembre 1963, un nouveau gouvernement est constitué, le neuvième depuis l’indépendance et le premier sous le règne de Hassan II. Le premier ministre n’est autre que Ahmed Bahnini. Au cours du même mois, un dahir publié dans le Bulletin officielle réhabilite plusieurs « collaborateurs », dont Thami Glaoui, banni par la Commission d’enquête formée le 27 mars 1958. Le 21, Bouabid déclare au journal « Le Monde » qu’il n’est pas de l’intention de l’Ittihad de mener une opposition permanente susceptible de pousser le régime vers l’impasse. Le lendemain, le Figaro publie le texte d’un entretien avec le roi qui y déclare que depuis qu’il n’est plus premier ministre, son devoir consiste dorénavant à faire de l’arbitrage. Il invite ceux qui se déclarent être de l’opposition, à le convaincre de l’inefficacité de l’action du gouvernement, auquel cas, parce qu’il n’est pas têtu, il les considérerait comme des conseillers et non pas des opposants. Il promet de prendre contact avec l’opposition parce que son rôle de roi constitutionnel correspond plus à celui qu’il avait endossé jusqu’alors.

Le début du procès

Au lendemain de cette déclaration, le 23 novembre 1963, commence le procès des accusés de complot contre la sûreté interne de l’Etat, les audiences durent jusqu’au 14 mars 1964.
Juste avant le début de la première séance, Omar Benjelloun s’adresse à Moumen Diouri, président en tant que témoin à charge, pour lui rappeler le passé glorieux de son auguste père, Mohammed Diouri, grande figure de la résistance; il rend hommage à son action en faveur du Mouvement national et sa persévérance à ne point renoncer à ses principes, préférant la mort à la vie de la honte. Il lui rappelle aussi l’apport de sa mère à la libération du pays. On l’a bien deviné, l’objectif de Benjelloun est de perturber le déroulement du scénario du procès tel que préparé par les autorités, et qui consiste à appeler à la barre en premier Moumen Diouri pour affirmer l’existence d’un complot et rapporter des détails à ce sujet.
Il faut dire que Benjelloun a bien réussi son coup. Diouri en effet avoue devant l’audience qu’Oufkir et Dlimi ont fait pression sur lui pour tenir des propos qui confirment l’implication des accusés dans un prétendu complot, qu’il a été obligé d’obtempérer pendant les interrogatoires, mais là devant la cour, il tient à dire toute la vérité.
Le procès connait plusieurs irrégularités procédurales. Le président, en effet, rejette les défenses exprimées par les avocats, de même qu’il fait la sourde oreille aux demandes formulées. Bouabid, excédé, s’insurge et dénonce les pratiques de la police et du parquet les qualifiant du même ordre que celles dont étaient victimes les nationalismes en 1952, sous le protectorat français.

Le parquet demande la peine capitale

Le procès dure quatre mois et s’apparente à des batailles juridiques et de positions politiques. Les accusés affirment l’appartenance à l’Ittihad fiers d’être des résistants au colonialisme et des combattants pour un Maroc démocratique intégrant toutes les composantes.
Le 25 janvier 1964, « Les phares », l’organe du FDIC écrit : « Personne n’a jamais nommé l’UNEP d’être organiquement compromise dans le complot, mais son tort aura été s’avoir donné asile à un petit groupe d’agitateurs professionnels ». A la fin du mois, les avocats prennent une décision grave en conséquence : se retirer définitivement en signe de protestation contre le mépris dont fait preuve la court à leur encontre. C’est d’ailleurs ce que, quelques jours plus tard, maître Ravoti, ancien bâtonnier de Rabat et bâtonnier Ben Attar, sont venus confirmer au président. Rendant les choses encore plus compliquées, les accusés refusent dorénavant de répondre aux questions posées.
Au début du mois de mars 1964, le parquet par la voix de Majid Benjelloun (promu plus tard au poste de ministre de l’Information et futur avocat de Dlimi lors du procès Ben Barka devant le tribunal pénal de Paris), demande les têtes de douze inculpés et la perpétuité avec travaux forcés pour cinq autres.
Le 14 mas 1964, le tribunal de Rabat se prononce dans l’affaire du complot : 11 condamnations à mort dont huit avec contumace. Les trois condamnés présents sont Fquih Basri, Omar Benjelloun et Moumen Diouri. 3 condamnations à perpétuité avec contumace, 4 autres à 20 ans de réclusion, 2 à 15 ans et 5 à 10 ans. Les acquittés sont au nombre de 35 dont cinq avec sursis de 5 à 18 mois. J’écope moi d’une condamnation de 2 ans avec sursis alors que le parquet, par le truchement de Majid Benjelloun, avait demandé 15 ans.
Comme attendu, la sévérité des condamnations provoque l’indignation de l’opinion publique nationale, Partis politique et syndicats se déclarent outrés. Prenant les devant, le syndicat de la presse demande l’intervention du roi pour annuler les condamnations.

La motion de censure 
et l’ordre royal de 
transmission des débats.


Sitôt libéré, je retourne à l’action politique plus déterminé que jamais. En l’absence de Bouabid à l’étranger, je suis le seul de la direction qui se réunit avec le groupe parlementaire de l’Ittihad que préside le docteur Abdellatif Benjelloun. Ainsi, de façon spontanée, je suis devenu le coordinateur d’un groupe de jeunes cadres aux compétences multiples qui, dans l’ensemble, se complètent. Citons le cas du docteur Abdellatif Benjelloun que ses tâches de médecin ne l’ont pas empêché d’être un des fondateurs de la résistance et de l’armée de libération. Intellectuel aux vastes connaissances, sa formation scientifique, son style de communication, son physique ainsi que son élégance vestimentaire, imposent le respect et la retenue à ses interlocuteurs.
Le groupe parlementaire de l’Ittihad, à l’origine composé de 28 membres, est récit sur décision de la Chambre constitutionnelle à 26 suite à la condamnation lors du procès du complot de Habib Forquani, élu à Agadir et Mohammed Meknassi, le député d’El Jadida.
Le règlement intérieur du Conseil permet de présenter une motion de censure à la condition expresse d’obtenir l’adhésion du dixième des parlementaires, c’est-à-dire 14 signataires. Aussi, au bout de quelques réunions au domicile de Mohammed Lahbabi, la mouture finale est présentée au docteur El-Khattib, le président élu du parlement.
Quelques jours après, la réponse dépasse nos espérances : non seulement la motion est retenue, mais l’ordre est donné pour transmettre les débats à l’intérieur du parlement sur les ondes de la radio et de la télévision marocaines. Les séances tiennent lieu à la faculté des sciences de Rabat.
Quel sens donner à la décision? Les échos parvenus des échanges de points de vue entre le gouvernement et la majorité parlementaire, attestent de la volonté de « faire tourner l’Ittihad en bourrique » au su et au vu de l’opinion publique, une sorte de procès du parti devant le peuple puisque ses dirigeants continuent de contester les sentences annonces à l’encontre de ses cadres aussi bien à l’issue de l’affaire du complot qu’à celle prononcée par le tribunal militaire contre Ben Barka et Hamid Berrada, tous deux condamnés à mort.

Retour sur le passé : Brides de ma vie relatée à M’Barek Bouderka
Les problématiques de la transition démocratique au Maroc

Invité au Forum du Parti socialiste belge le mardi 25 février 2003, je profite de la tribune pour faire part de ma propre évaluation du processus démocratique amorcé dans mon pays. La conférence a pour titre.
Allocution de Monsieur Abderrahmane Youssoufi : «Une expérience démocratique au Maroc :
Quelles évolutions pour un état de droit en Afrique ? » :
« Madame la vice-première ministre ;
Messieurs les présidents des partis socialistes belges ;
Mesdames et Messieurs ;
C’est un grand honneur et un réel plaisir pour moi de participer à ce Forum dédié à mon pays, le Maroc, et de parler devant cette honorable présence d’un thème cher à la famille socialiste, à savoir l’expérience de la transition démocratique. Je voudrais à cette occasion remercier très vivement ma chère camarade Madame Onekelinx, vice-première ministre et ministre de l’Emploi et de l’Egalité des chances, à la fois pour son aimable invitation et pour la richesse du programme de travail qu’elle a bien voulu préparer à mon intention. Je tiens à saluer cette initiative parce qu’elle témoigne de la volonté effective de nos deux partis de maintenir un rythme soutenu de relations de partenariat et de concertation dans tous les domaines intéressant nos deux pays, particulièrement dans le contexte régional et international actuel marqué par des risques multiples, préjudiciables pour la paix et la stabilité dans le monde.
Mesdames et Messieurs ;
Le 27 septembre dernier, soit depuis près de 5 mois, des élections législatives ont eu lieu au Maroc. Ce n’était pas la première fois que pareille consultation s’y déroule.
Mon pays a connu depuis 1960 une série d’élections locales, professionnelles et générales dont les résultats étaient manipulés par l’administration notamment par le parrainage de certains partis politiques.
C’est pour cela que personne, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, ne s’attendait qu’elles puissent inaugurer un vrai processus démocratique. Par contre celles du 27 septembre 2002, revêtaient une importance particulière bien avant même  leur déroulement aux yeux des observateurs nationaux et étrangers ; ou bien elles allaient constituer un vrai tournant vers la démocratie effective ou bien elles allaient confirmer que la démocratie reste dans les pays du Tiers Monde, notamment dans le monde arabo-musulman, une aspiration lointaine.
Ce qui donnait à ces élections toute leur importance, c’est qu’on attendait d’elles qu’elles puissent régler un problème fondamental par rapport à l’histoire du Maroc moderne. Est-ce que l’expérience de l’alternance consensuelle vécue par le Maroc depuis 1998 pendant 5 années (près de la moitié sous celui de Mohammed VI, est-ce que cette expérience va aboutir à une expérience, qui lui soit supérieure c’est-à-dire à « l’alternance démocratique » ? ou bien allait-elle décevoir les espoirs qu’on a fondés sur elle tant au Maroc qu’à l’étranger ?
Bien que ces élections ne concernaient pas directement l’organisation des pouvoirs au Maroc (comme voter un amendement constitutionnel par exemple) et qu’elles se limitaient à l’élection des députés, le fait qu’elles puissent échapper à toute manipulation traditionnelle depuis 1963, allait être considéré comme un événement majeur très important pour l’avenir de la démocratie au Maroc.
L’alternance consensuelle construite à partir du parlement de 1997 n’a pas été imposée par des élections unanimement contestées par les partis politiques, comme elle n’a pas été le résultat d’alliances librement contractées par les partis. Elle a été le résultat d’un accord entre le Roi Hassan II, qui détenait tous les pouvoirs, et l’opposition historique au Maroc (l’USFP qui représente historiquement la partie la plus grande et la plus importante des forces qui ont lutté pour l’indépendance, pour le retour du Roi patriote Mohammed V sur son Trône après sa déposition et son exil à Madagascar par les autorités françaises en 1953).
Cela veut dire que l’accord a été conclu par les deux parties qui se partageaient en quelque sorte la légitimité nationale et historique dans le Maroc postcolonial et cela après un long désaccord qui durait pratiquement depuis l’indépendance du pays en 1956, désaccord ouvert qui a traversé des moments difficiles depuis le renvoi par le Palais en 1960 du gouvernement qui représentait l’aile progressive de l’Istiqlal laquelle englobait les résistants, les membres de l’Armée de libération, les syndicats ouvriers et la nouvelle élite politique et qui a fondé l’Union nationale des forces populaires dont le plus prestigieux de ses fondateurs n’était autre que Mehdi Ben Barka.
L’UNFP est devenue l’Union socialiste des forces populaires après le Congrès extraordinaire de 1975, congrès qui adopta la démocratie politique comme option stratégique dans le combat pour la promotion des libertés fondamentales, la consolidation de l’Etat de droit et la mise en œuvre de la justice sociale.
Tout observateur attentif à l’évolution de la situation au Maroc sait pertinemment que ce qu’on a appelé pendant plus  de cinq années, « le gouvernement d’alternance » que j’ai eu l’honneur de conduire, n’a pas été le fruit d’alliances libres entre les partis qui en sont membres. Elle a été la concrétisation d’une décision prise par Hassan II. Parmi les résultats de cette décision, il faut relever une certaine et relative transparence qu’ont connue les élections de 1997 et dont les résultats avaient porté l’USFP en tête du paysage politique, ce  qui l’habilitait « démocratiquement » à occuper le poste de premier ministre, quant à la majorité parlementaire, elle a été garantie par le Roi lui-même.
Tout cela n’était pas confidentiel, puisqu’avant même l’expérience de l’alternance, Hassan II avait convié l’opposition à travers la radio et la télévision à entrer au gouvernement, en l’assurant qu’il lui garantira la majorité au Parlement  pendant trois ans. Cette invitation, faite publiquement n’a pas prospéré. Au contraire, les rencontres discrètes ont abouti par la suite à l’alternance. C’est pourquoi l’opinion publique a accordé une importance capitale aux élections du 27 septembre 2002, parce qu’elle savait que ces élections étaient fondées sur un engagement ferme et qu’elles seront libres et honnêtes. En effet, des avancées prometteuses ont été réalisées dans la révision de la loi électorale en changent le mode de scrutin uninominal par celui de la liste à la proportionnelle. Une liste nationale réservée aux femmes leur permettra d’occuper un minimum de 10% des sièges à la Chambre des députés. Tout cela a été atteint par consensus entre le gouvernement d’alternance et les partis représentés au Parlement, opposition incluse. Il a été procédé aussi à un nouveau découpage électoral par consensus.
La question que se posaient les Marocains et les observateurs était la suivante. « Est-ce que le consensus va se dépasser lui-même à travers les élections du 27 septembre ? En d’autres termes, le Maroc va-t-il passer effectivement de l’alternance consensuelle à l’alternance démocratique ?
Il n’était guère facile de répondre à cette question avant les élections. Non seulement parce que la réponse dépendra du degré de transparence qui caractérisera ces élections mais aussi parce que le problème en fait ne se limite pas à la transparence ou à la non-transparence. Il est plus profond que cela. Par exemple qui de la composition du gouvernement au lendemain des élections ? Restera-t-il marqué par la dualité des ministres, comme l’était le gouvernement d’alternance dans lequel il y avait les ministres choisis par le Roi (Intérieur, Défense, Justice, Affaires étrangères, Fondations religieuses) et les autres qui sont proposés par le premier ministre, ou bien cette situation va-t-elle changer parce qu’elle n’a aucun fondement constitutionnel ?
Bien que cette «dualité» ait fonctionné pendant le gouvernement d’alternance dans le cadre du «consensus», l’élite politique marocaine, ainsi que de nombreux observateurs ont continué à mettre en cause cette dualité inconstitutionnelle avec insistance. En fait ce problème concerne l’étendue de l’autorité qui sera pratiquement entre les mains du premier ministre et des ministres. Ce qui pose le problème de l’essence même de la démocratie, c’est-à-dire qu’il s’agit de savoir à qui échoit l’autorité gouvernementale.
Est-ce aux urnes exclusivement ou à une réalité incontournable qui tire sa force du consensus ou de l’équilibre des forces et qui ne se soumet pas aux élections et ne se laisse pas influencer par elles parce qu’elle n’est pas un enjeu électoral. Le problème est donc complexe.
Pour comprendre le fond de cette complexité, il faut revenir en arrière, au processus des évolutions qui ont été couronnés par l’expérience de l’alternance que notre parti a assumée durant les cinq années antérieures aux élections.
Le 15 avril 1958, les ministres de l’Istiqlal présentent à Mohammed V leur démission du gouvernement. Il s’agissait du 2ème gouvernement en 2 ans d’indépendance. Il était présidé, comme le précédent, par une personnalité indépendante, Mbarek Bekay. Lorsque le gouvernement français devait négocier avec le Maroc, le retour d’exil de Mohammed V et l’indépendance du pays, et ce sous la pression de la Résistance et de l’Armée de libération. Il a souhaité qu’une personnalité indépendante soit placée à la tête du gouvernement de négociation. L’objectif était clair : casser l’unité du camp patriotique qui s’était constitué depuis les années « 30 », composé du mouvement national (Istiqlal) et de l’institution du Trône (personnifiée par Mohammed V) pour empêcher une indépendance réelle du pays, retarder l’évacuation des forces militaires d’occupation (française, américaine et espagnole), ralentir l’édification du Maghreb et le soutien de la révolution algérienne, gêner la construction d’une économie nationale libérée et l’établissement d’une vie démocratique animée par les militants du mouvement  national et les masses populaires barrant la route aux suppôts du colonialisme, aux parvenus et aux opportunistes.
Tels étaient les projets que ne cessaient de proclamer d’expliquer les leaders nationaux en tête desquels se détachaient Allal El Fassi et Mehdi Ben Barka et ce depuis le début des négociations franco-marocaines.
L’imposition d’une personnalité indépendante à la tête du gouvernement visait en fait la constitution d’une « Troisième Force ». L’on sait que la question de la création d’une « Troisième force » s’est répétée dans plusieurs pays, soit pour des motivations néocoloniales ou pour des nécessités relevant de la guerre froide.
L’implantation d’une «Troisième force » au Maroc a eu comme conséquence de rendre plus difficile « la transition démocratique » bien que le mouvement national s’y était engagé depuis la présentation du Manifeste de l’Indépendance le 11 janvier 1944 avec l’accord et la bénédiction de Mohammed V. C’est pourquoi l’instauration  de la démocratie au Maroc au lendemain de l’Indépendance dépendait de la mise à l’écart de la « Troisième Force » des centres de décision et la fin de son hégémonie.
Pour ce faire, il n’y avait que deux options pour le mouvement national : se retirer du jeu politique et reprendre la lutte de libération avec ce que cela impliquait comme coûts élevés et de mauvaises surprises ou bien limiter au maximum les pouvoirs du gouvernement de la Troisième Force en confiant l’ensemble du pouvoir législatif et l’essentiel  des compétences exécutives au Roi Mohammed V, en sa qualité de Roi patriote lié par un pacte sacré au mouvement national et à ses objectifs.
C’est cette dernière option qui a été choisie par l’ensemble des composantes du mouvement national, Istiqlal, Résistance, Armée de libération et syndicats. C’est ainsi que l’expérience marocaine se distingua par le fait que le Maroc était le seul pays du Tiers-Monde où les forces du Mouvement de libération nationale n’ont pas assumé la responsabilité du pouvoir après avoir gagné l’indépendance de leur pays. Il a suffi de quelques mois seulement pour constater la gravité de l’erreur commise par le choix de cette option.
La Troisième force s’est mise à occuper toutes les fonctions à l’intérieur du Palais même et dans tous les rouages de l’Etat, ce qui a provoqué une crise politique dans le pays, aggravée par des soulèvements armés douteux dans quelques régions du pays. Ce qui a fait comprendre à Mohammed V que l’expérience de la Troisième force ne pouvait conduire qu’à une plus grande détérioration de la situation générale. Il décide alors de confier la direction du gouvernement à une personnalité membre du courant progressiste de l’Istiqlal. M. Abdellah Ibrahim et le ministère de l’Economie et des Finances à Abderrahim Bouabid. C’était donc une autre «alternance» durant laquelle ce gouvernement s’attela à la libération de l’économique marocaine ; ce qui lui valut l’hostilité des milieux opposés à cette politique qui déclenchèrent une campagne virulente contre le gouvernement et exerceront des pressions sur Mohammed V pour qu’il mette fin à la mission de ce gouvernement qui n’a duré que 18 mois pendant lesquels de grandes réalisations économiques et sociales ont été faites ainsi que la préparation des élections locales qui se dérouleront après son départ en mai 1960.
A partir de ce moment et particulièrement après le décès de Mohammed V, le Maroc est entré dans un régime monocratique appuyé sur des gouvernements constitués à partir d’élections ouvertement manipulées et parfois sans élection du tout.
De ce qui précède, il semblerait que l’expérience « d’alternance » qu’a connue le Maroc durant les dernières années ne serait que la répétition d’expériences passées : le camp qui fournissait les ministres pendant près de 40 ans a été rangé dans l’opposition tandis que le camp qui l’a précédé dans les années 1958-1960, a été rappelé au gouvernement après 40 ans.
Cependant, il faut souligner que la période écoulée entre l’alternance imposée par un coup de force en 1960 et l’alternance décidée par consensus en 1998 n’était guère une période d’attente du « tour de rôle », bien au contraire, ladite période a été animée par les luttes entreprises par notre parti (l’USFP) sur différents fronts et au cours desquelles nos militants  ont payé le prix fort.
Pendant cette même période, notre pays a vécu certaines évolutions émaillées de temps à autre de projets d’alternance qui visaient à associer notre parti au gouvernement. C’est ainsi qu’en 1965, après l’explosion populaire qu’a connue Casablanca, le Palais entreprend des consultations pour constituer un nouveau gouvernement avec notre participation. Notre leader Mehdi Ben Barka, qui résidait à l’extérieur par nécessité et militait dans des ONG internationales de soutien aux Mouvements de libération, a été approché par le Palais dans la perspective d’un retour au pays et d’une éventuelle participation au gouvernement. Ben Barka se préparait à ce retour qu’il envisageait après la conférence tricontinentale de La Havane, lorsque des mains criminelles l’ont kidnappé à Paris le 2 octobre 1965 pour le faire disparaître définitivement sans que nous sachions à ce jour les circonstances de sa mort ni le lieu de sa sépulture.
Le Maroc a connu en 1971 et 1972 deux tentatives de coups d’Etat militaires, avortés grâce à Dieu. Un an plus tard, l’Espagne annonça sa volonté d’accorder une pseudo-indépendance aux populations des provinces sahariennes marocaines qu’elle colonisait.
Devant cette grave menace contre notre intégrité territoriale, Hassan II a contacté notre camarade Abderrahim Bouabid et a consulté les autres partis politiques en vue d’affirmer l’Union nationale autour de la question saharienne d’une part, et de revenir au projet d’alternance d’autre part et ce dans la perspective d’inaugurer un véritable processus démocratique. Notre parti décide de tenter l’expérience encore une fois en participant aux élections locales (1976) et législatives (1977). Mais les manipulations habituelles ont fait avorter le projet. Depuis lors, les relations Palais-USFP allaient connaître des hauts et des bas mais sans aucune rupture. Lorsque Abderrahim Bouabid décède en janvier 1992, je lui ai succédé comme premier secrétaire. Le contact avec le Palais, si mince fut-il, était maintenu dans les mêmes conditions, jusqu’au jour où Sa Majesté Hassan II eut un vrai problème de santé. Il décida alors de reprendre le  processus qui conduirait à une alternance qui -dans son esprit- devait être conduite par le premier secrétaire  de l’USFP. Il n’était pas facile pour notre parti, dont nous avons décrit les relations avec le Palais, d’adhérer à l’idée d’alternance telle qu’elle a été présentée par Hassan II en 1997. Malgré cela nous avons pris le risque de l’accepter et d’assumer la responsabilité de sa réalisation.
Nous nous trouvions devant 2 options exclusivement : l’une dictée par l’intérêt national et l’autre privilégiant des considérations politiques partisanes. Nous devions donc choisir entre la participation au gouvernement au moment où l’on savait que l’état de santé de notre Roi était préoccupant et que le Maroc allait de ce fait affronter une échéance difficile ou bien d’attendre l’intronisation de notre nouveau souverain pour négocier avec lui les modalités de notre participation. Nous avons choisi d’assumer notre responsabilité nationale, nous avons  préféré privilégier l’intérêt du pays pour participer à une transition en douceur et finalement pour répondre à l’appel de notre Roi qui nous adjurait –nous tous les Marocains- de sauver le pays de la crise politique qui le menaçait, étant donné la situation économique sociale et politique qui prévalait.
Nous avons préféré l’option patriotique aux calculs partisans. Nous avons été encouragés par l’acceptation par le Roi des demandes que j’avais maintes fois répétées dans mes déclarations à la presse, à savoir la confiance du Roi, une majorité parlementaire confortable et l’appui populaire, demandes qui ont été confortées par la prestation ensemble d’un serment solennel.
La confiance Royale a été affirmée par Sa Majesté lors du discours inaugural de la session parlementaire d’octobre 1997 quand il a déclaré que le Maroc était sous la menace d’une «crise cardiaque» et qu’après l’installation du Parlement il désignera en toute âme et conscience le premier ministre.
L’opinion publique a compris dès ce moment qu’il s’agirait du premier secrétaire de l’USFP, ce parti qui est resté hors du gouvernement  luttant pour la démocratie pendant 40 ans et qui a acquis la crédibilité suffisante pour jouer le rôle nécessaire dans les moments difficiles. La 2ème demande a été également satisfaite après avoir procédé à de larges consultations avec les organisations politiques et syndicales, amies ou adverses, celles issues de la Troisième force incluses. Ces consultations ont abouti à la constitution d’une majorité confortable composée des députés du bloc démocratique, du centre et même du groupe islamique qui avait annoncé son soutien sans participation. Tout le monde avait compris qu’une telle majorité n’a pu se constituer sans le feu vert de qui de droit. Quant à la 3ème demande, l’appui populaire, l’on peut dire que c’était la première fois au Maroc que les citoyens ont commencé dès le 2ème mois de gouvernement à poser cette question : « Nous avons fondé de grands espoirs sur ce gouvernement, qu’est-ce qu’il a réalisé pour nous ? ».
La signification de cette question ne réside pas dans sa forme mais dans le seul fait qu’elle a été posée, car jamais depuis 40 ans une pareille question n’a été posée depuis les premiers gouvernements constitués par les membres du Mouvement national sous l’égide de Mohammed V.
Cela signifie que personne depuis 40 ans ne s’attendait à ce qu’un nouveau gouvernement apportât quelque chose de neuf : par contre le gouvernement d’alternance a focalisé l’attention de l’ensemble du peuple marocain depuis son installation. Personne ne peut nier qu’il bénéficiait de la satisfaction de toutes les composantes du peuple marocain : entrepreneurs, commerçants, masses populaires urbaines et rurales. Il y avait une profonde conscience que si ce gouvernement n’arrivait pas à réaliser son programme ce serait à cause d’obstacles autres qu’administratifs, c’est-à-dire parce qu’il ne disposait pas de tous les moyens qui lui permettraient d’agir.
A côté de ce soutien populaire spontané, le gouvernement a bénéficié d’une bienvenue internationale sans précédent. Pour la première fois, des Etats occidentaux intéressés par le Maroc, comme la France, l’Espagne, le Portugal, la Belgique, l’Italie, la Hollande, le Royaume Uni, la Grèce, les Etats-Unis, ont manifesté leur satisfaction devant le changement survenu au Maroc par la désignation d’un premier ministre issu de l’opposition. Des promesses d’aide et d’investissement ont révélé dans leur forme des encouragements à l’orientation prise par le Maroc.
Tout cela s’est passé lors de la constitution du gouvernement. Mais aujourd’hui, après qu’il ait achevé son mandat légal, alors que personne ne s’attendait à ce qu’il durât toute cette période qu’il a couronnée par l’organisation d’élections législatives, saluées à l’intérieur comme à l’extérieur du pays comme ayant été transparentes et honnêtes, que peut-on enregistrer comme résultats et perspectives ?
Au début de cette expérience, l’on se demandait ce qu’elle pourrait réaliser à court terme en matière de lutte contre le chômage et de réforme de l’enseignement, etc …C’est donc du domaine du rêve que de s’attendre à une amélioration radicale ou à une réforme globale, étant donné le poids de l’héritage d’une part et la succession des années de sécheresse d’autre part.
Cependant, ce gouvernement peut se flatter d’avoir réduit la dette extérieure de 19,2 (1998) à 14,1 milliards de dollars (2002), d’avoir maintenu la moyenne de l’inflation à 2%, réduit le taux national du chômage de 14,5 (1999) à 10,5% (2002), quant à la part du budget général de l’Etat allouée aux secteurs sociaux elle est passée de 41 à 48%, le taux d’électrification rurale de 27 à 50%, celui de la desserte des ruraux en eau potable de 32 à 50%, et le taux de scolarisation des 6-11 ans de 68 à 94%. L’année 2001 avait réalisé des performances économiques satisfaisantes : 6,5% de croissance, 5% du PIB comme excédent du compte courant de la Balance des paiements, maintien du déficit des finances publiques à 2,7% du PIB, réalisation d’u faible taux d’inflation de 0,6%.
L’année 2002 a consolidé et confirmé ces performances avec un taux de croissance de 4,5%, un excédent du compte courant de près de 3%. Les recettes et rentrées touristiques montrent un rétablissement progressif de la confiance dans la destination Maroc. Les avoirs extérieurs se sont établis  à 104,5 MM DH contre 99,3 (…) ce qui permet de couvrir 8,8 mois d’importation.
Sous la direction de ce gouvernement ont été constituées des commissions d’enquêtes parlementaires et autres qui ont dévoilé de grands scandales et malversations dans des établissements publics et bancaires, perpétrés avant la formation de ce gouvernement, que des procès jugeant des malfaiteurs sont en cours. Ajoutons à cela la liquidation des dossiers relatifs aux droits de l’Homme, l’indemnisation des victimes de disparitions forcées, de détentions arbitraires et d’autres répressions exercées contre elles dans les années « 70 » et « 80 » indemnisation qui a coûté à l’Etat plus de 80 millions de dollars, l’édiction d’un arsenal de lois et de décrets dans le domaine social, notamment les textes de la réforme de l’éducation et de la formation, de l’assurance maladie obligatoire, de la sauvegarde et de l’élargissement de la liberté d’expression de la presse, la réforme du code de procédure pénale, l’exécution d’un nombre impressionnant de jugements, la démonopolisation de l’audiovisuel et l’institution d’un haut conseil de l’audiovisuel.
Ceux qui connaissent réellement le Maroc et les préoccupations marocaines ne jugent pas cette expérience à travers ce qu’elle a pu réaliser au niveau des problèmes que nous venons d’évoquer.
L’exposé que nous avons fait sur le problème de l’alternance depuis l’indépendance du Maroc en 1956 jusqu’à nos jours montre clairement que le problème concerne en réalité le défi auquel sont confrontés la plupart des pays du Tiers-Monde, à savoir celui de la « transition démocratique ». Cette expérience signifie le transfert du pouvoir des mains de son détenteur aux mains d’une autre force dégagée par l’expression démocratique libre. Ce qui veut dire qu’il faut nécessairement distinguer dans la démocratie deux choses distinctes :
1- La signification littérale, c’est-à-dire « le gouvernement du peuple par le peuple ». Ce qui veut dire à notre époque le gouvernement du peuple par lui-même par l’intermédiaire de ceux qu’il délègue à cet effet à travers des élections libres et honnêtes. C’est ce que voulaient dire les acteurs politiques pendant les 5 années écoulées par l’expression « l’alternance démocratique » ;
2- Les libertés démocratiques comme la liberté d’expression, la liberté de constituer des associations ou des partis, le respect des droits de l’Homme, etc. Ce deuxième aspect de la démocratie existe aujourd’hui au Maroc d’une façon raisonnable. Il a toujours existé depuis l’indépendance à des degrés divers sauf pendant les périodes de répression. Le gouvernement d’alternance s’est attelé à élargir ces libertés, à les faire pratiquer, à en faire une réalité concrète. Reste le premier aspect qui constitue la substance de la démocratie. C’est l’alternance du pouvoir gouvernemental entre les forces secrétées par les élections libres et honnêtes.
Cet aspect des choses n’a jamais existé à quelque époque que ce soit. Il y avait un accord général au Maroc durant les cinq années écoulées sur le fait que l’alternance consensuelle avec ses réalisations et ses insuffisances, n’est qu’une étape transitoire qui devait se terminer avec les élections du 27 septembre 2002 pour passer à l’alternance démocratique.
La question donc qui se pose aujourd’hui est la suivante : Est-ce que la transition s’est réalisée ? La réponse qui s’impose, en prenant en considération tout ce que nous avions présenté sur l’expérience marocaine, est que la transition à « l’alternance démocratique » repose sur 3 conditions : 
1- L’organisation d’élections dans un climat de transparence et d’honnêteté, c’est ce qui s’est passé le 27 septembre dernier.
2- Appliquer la méthode démocratique dans la constitution du gouvernement et ce en confiant la charge de Premier ministre au parti qui a obtenu le plus grand nombre de sièges dans la nouvelle Chambre des députés ; 
3- Mettre en œuvre les articles de la constitution dans le sens de transférer la plus grande quantité de compétences exécutives au Premier ministre et au gouvernement qu’il préside. En premier lieu ne pas retenir le concept de « Ministres de souveraineté » qui n’est pas mentionné dans la constitution et par conséquent confier tous les portefeuilles ministériels sans exception aux partis habilités à participer aux élections. Ce qui ne porte en aucune manière atteinte au consensus entre le Premier ministre qui propose les noms des ministres à Sa Majesté le Roi, auquel revient la décision de les nommer en application des dispositions constitutionnelles.
La question qui se pose et qui concerne l’avenir est la suivante : Est-ce qu’il y a  eu application de ces conditions, celles de la transition à l’alternance démocratique ? Avant d’y répondre, il y a lieu d’observer ce qui suit : 
-Il n’y eut pas dans les milieux populaires d’enthousiasme suffisant pour ces élections. Peut-être que la moitié des Marocains en majorité parmi nos électeurs habituels ont exprimé par leur non participation au vote leur déception à l’égard de l’alternance consensuelle.
L’expérience des 5 dernières années leur a fait comprendre que le gouvernement ne disposait pas de l’autorité suffisante pour assurer ses responsabilités, et qu’il était enchaîné par des traditions séculaires.
-La procédure des élections a été adoptée dans le cadre du consensus avec toutes les parties. Ce qui en fait une procédure compliquée ne correspondant pas à l’orientation de l’opinion publique.
-On doit souligner que les résultats de ces élections ont subi le contrecoup des crises internes que connaissent tous les partis. Le nombre de ces derniers a atteint 26, quatre d’entre-deux seulement avaient une existence lors des premières élections de 1960 (locales) et de 1963 (législatives), les autres 22 partis sont tous sortis de la matrice des 4 anciens partis par fractionnement. L’administration n’a pas eu besoin de créer de nouveaux partis comme c’était le cas durant les 40 années passées.
-La majorité des sièges ont été gagnés par les 4 anciens partis : l’USFP, l’Istiqlal, le R.N.I et les deux branches du Mouvement populaire.
Ces élections ont enregistré le triomphe d’un parti islamique : le Parti de la justice et du développement avec un nombre de sièges remarquables. Certains organes de presse le qualifient de « parti islamique royal » parce que son président, Dr. El-Khatib, a toujours été, depuis l’indépendance, un des hommes du Palais. La raison pour laquelle ce parti a surpris par sa victoire vient de ce que ses résultats de 1997 avaient été revus à la baisse par l’administration. Ensuite lors des dernières élections, il a adopté une stratégie intelligente, en limitant ses candidatures à 56 circonscriptions au lieu de 91, en concernant ses efforts sur elles, en conseillant à ses partisans de voter Istiqlal ou Mouvement populaire là où le PJD n’est pas candidat et pour contrer l’USFP, qui a souffert aussi de la dispersion des voix provoquées par le groupe Amaoui, lequel n’a obtenu le plus grand nombre de voix et de sièges.
La méthodologie démocratique voulait que Sa Majesté le Roi désigne le Premier ministre parmi ses membres. Bien que la lettre de la constitution lui donne la possibilité de désigner le Premier ministre (point final), il n’en demeure pas moins que selon l’esprit de la nouvelle constitution et étant donné la pratique inaugurée par l’alternance, la primature revenait au parti qui a obtenu le plus grand nombre de sièges (USFP50, Istiqlal 48, PJD 42, RNI 41). La Mouvance populaire a totalisé 45 sièges. Les autres partis ont obtenu entre 1 et moins de 20 sièges. Il est évident que selon les résultats, les électeurs ont voté pour la reconduction de la majorité gouvernementale avec son leadership en cautionnant le bilan du gouvernement sortant.
La période qui a suivi les élections du 27 septembre 2202 a été fertile en surprises et en changements dans les rapports entre les partis. Alors que  l’on s’attendait du passage de « l’alternance consensuelle » à « l’alternance démocratique », un communiqué du cabinet Royal du 9 octobre 2002 annonça que M. Driss Jettou, qui était ministre de l’Intérieur dans le gouvernement précédent, a été nommé par Sa Majesté e l’intérieur dans le gouvernement précédent, a été nommé par Sa Majesté le Roi, Premier ministre. C’est M. Jettou qui avait supervisé les élections du 27 septembre 2002 et dont la performance a été unanimement louée à l’intérieur comme à l’extérieur. Il ne s’était pas présenté à ces élections et il n’est inscrit dans aucun parti.
Notre parti se devait de prendre position devant cette décision. Le Bureau politique de l’USFP publia le lendemain un communiqué déclarant que la désignation du Premier ministre en dehors des partis ayant participé aux élections et du parti qui a obtenu le plus grand nombre de sièges n’est pas conforme à la méthodologie démocratique. Nous avons réuni par la suite le comité central de l’USFP pour décider de l’opportunité de notre participation au gouvernement. Bien que l’orientation générale des débats ait été contre la participation du fait que la nomination du nouveau Premier ministre constituait un retour aux méthodes antérieures à l’alternance consensuelle, laquelle devant déboucher sur une vraie alternance démocratique, le comité  central a donné, finalement, mandat au Bureau politique pour prendre les décision qui s’imposent.

En vérité, nous nous sommes trouvés, encore une fois, devant un choix difficile. Notre non participation signifierait condamner toute l’expérience à l’échec.
Nous devions nous interroger sur la possibilité de la transition démocratique par la voie du consensus, cette voie que nous voulions donner comme un exemple à suivre  par les pays du Tiers-Monde au moment où la démocratie est devenue une revendication mondiale.
Quant à notre participation et quels que soient le nombre et l’importance des portefeuilles obtenus, elle signifierait que nous cautionnons la méthode non démocratique dans la transition démocratique, en supposant qu’il y a une volonté politique réelle pour réaliser cette transition.
Après une longue réflexion, nous avons choisi la non participation pour juger ce qui est arrivé. Nous nous sommes dit que nous avions devant nous l’échéance des élections locales dans quelques mois. Leur préparation, leur déroulement et leur transparence constitueront des indicateurs sur l’orientation des choses.
Mais le plus important, c’est qu’après ces élections sera convoqué notre VIIème congrès national, soit près de deux ans après la constitution de l’actuel gouvernement. Il se serait écoulé une période suffisante pour évaluer le cours de choses dans notre pays. Nous aurons donc la possibilité d’évaluer l’expérience de l’alternance dans sa globalité.
Notre acceptation de conduire l’expérience de l’alternance a été un risque. Nous avons pris en considération l’intérêt national et non pas partisan.
Aujourd’hui que cette expérience s’est achevée sans qu’elle ait débouché sur ce que nous attendions d’elle, à savoir l’orientation vers la démocratie par les avancées historiques qui constitueraient une coupure avec les pratiques du passé, nous nous trouvons encore une fois devant un impératif national qui nous engage à patienter pendant deux ans, dans l’espoir devoir la possibilité de réalisation du rêve de la transition sereine et tranquille à la démocratie.
Espérons  de ne pas perdre dans le proche avenir la faculté de rêver.
Je vous remercie de votre aimable attention ».
Appel aux personnes concernées

Je ne peux me permettre de publier ces bribes de mon parcours de combattant, sans rendre hommage à un homme dont le rôle est déterminant dans la lutte contre le colonialisme au Maghreb, il s’agit de Hafidh Ibrahim. Ce grand militant tunisien a tant donné de son temps, de son argent et de son énergie pour venir en aide aux Mouvements de libération dans au Maroc et en Algérie.
Résident en Espagne depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, Hafidh Ibrahim s’est spécialisé dans la production des médicaments. Son domicile à Madrid était devenu le lieu de rencontre des dirigeants marocains, algériens et tunisiens. Il a été un des principaux fournisseurs d’armes qu’il payait de son propre argent.
L’homme a découvert sa vocation de combattant un soir dans une salle de cinéma sous l’effet de la rubrique «Partie Journal » présentée avant la projection du film. La scène du martyr d’Allal Ben Abdellah dans le Méchouar de Rabat alors qu’il s’apprêtait à poignarder le sultan fantoche Mohammed Ben Arafa, avait soulevé en lui l’émoi et la révolte.
Il a pris la décision d’agir et a aussitôt pris contact avec les nationalistes marocains. Après m’être assuré de sa sincérité et disposition, j’ai chargé un militant de son état chauffeur de taxi en Espagne d’être notre homme de liaison et de transporter les armes procurées par Hafidh Ibrahim au Nord du Maroc.
Allant encore plus loin, ce militant hors pair nous a fourni, à nous les Marocains autant qu’aux Algériens, des quantités énormes de matières chimiques qu’il se procurait pour son propre business et la détournait en notre faveur. Ces produits nous servaient pour fabriquer des explosifs.
En octobre 1956, il m’a accompagné à Rabat et a participé à l’audience accordée par le Roi Mohammed V au palais Royal de Rabat à Ben Bella et ses compagnons la veille du détournement de l’avion qui transportait ces derniers vers Tunis.
Il est décédé à Madrid le 11 juillet 2010 et a insisté dans son testament à ne pas être enterré en Tunisie tant que le « général » Ben Ali y est à la tête de l’Etat. Sa mort est survenue six mois avant l’avènement de la révolution du Jasmin au début de l’année 2011. J’étais le seul du Maghreb, hélas, à assister à ses funérailles aux côtés de sa petite famille et ses amis. Ben Bella nous a rejoints deux jours plus tard.
Il me tient à cœur de dire que nous serons de vrais ingrats si dans les trois pays du Maghreb, les autorités publiques ne donnent pas chacun le nom de Hafidh Ibrahim à au moins un boulevard dans une ville du pays en signe de reconnaissance à ce qu’il a accompli en faveur des indépendances. J’en profite pour appeler les autorités de mon pays à rendre hommage aux symboles de la lutte, en donnant à quelques boulevards les noms de héros de l’indépendance. Je cite en l’occurrence le nom du Docteur Abdellatif Benjelloun, ce tangérois, l’un des premiers médecins de notre pays, dirigeant de l’Armée de libération et membre actif de la résistance. On lui doit le mérite de donner au 20 août de chaque année l’appellation « Révolution du Roi et du peuple ». Un autre nom mérite d’être inscrit dans le marbre, celui du Fquih Basri, grande figure de la résistance et de l’Armée de libération. Encore un et pas des moindres. Saïd Bounailate qui a tant donné à ce pays. Citons encore Mohammed Bahi, un homme venu du sud, de la Mauritanie et tombé amoureux du Maroc. Les générations actuelles lui doivent beaucoup, ses articles « Lettres de Paris » sont une source d’inspiration inépuisable.


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