Résurrection de Pol Pot au pied du Golan ?


Par Abdelyazid Sadat *
Lundi 26 Septembre 2011

Résurrection de Pol Pot au pied du Golan ?
Entre la sentence d’«une nation arabe unique chargée d’un message éternel» de  Michel Aflak, fondateur du Baas et théoricien d’un panarabisme original à partir d’apprentissage philosophique à la Sorbonne, aux côtés des étudiants arabes à Paris durant la Belle époque et la prophétie prêtée à Khomeiny, « un Etat musulman chiite de la Caspienne à la Méditerranée », il y a cette vérité pas du tout abstraite d’un pays qui se dresse presque comme un Etat tabou au regard de l’Occident.
Ni la CIA et la NSA, ni le Mi six, ni la DGSE, ni enfin tous les services de renseignements du monde industriel, n’ignorent la terrible imbrication de liens stratégiques tournant autour de Damas.
Pour passer de la mer du meilleur caviar de la planète à celle de la plus délicieuse sole, il y a Israël qui craint moins l’Islam, aussi radical soit-il, que le parti syrien au pouvoir manageant le Hezbollah du Liban et le Hamas de la Palestine. Le cousin idéologique passé désormais à trépas et la majorité chiite d’Irak ne lorgne plus du côté des frontières avec le voisin persan pour quelque jonction périlleuse qui soit, il reste l’indéfectible soutien de la Russie et le ravitaillement argentier de l’Iran entretenant de sérieuses relations de coopération pétrolière avec Moscou – la création d’une banque commune pour le financement de projets hydrocarbures, électriques et nucléaires civiles serait en voie de finalisation. De même qu’un itinéraire pour des acheminements de produits noirs à partir des sites de production iraniens est en train de se peaufiner à Pékin.      
Depuis mars dernier, le régime de Bachar al-Assad massacre, emprisonne et torture sans aucune réaction musclée de la part des donneurs de leçon de démocratie et de libertés individuelles qui ne semblent pas trouver de réponse digne, par exemple, à cette famille d’un illustre militant des droits de l’Homme qui reçoit la dépouille de son cher, âgé de soixante-quinze ans ; une semaine après sa disparition, apparaissent des signes évidents de sévices sur son coprs.
Mais aux premiers balbutiements de l’agitation à Benghazi, des bateaux de guerre de l’Otan étaient au large du Golfe de Syrte et à peine au concoctage d’une commission de transition inconnue au bataillon politique et médiatique que commencèrent les frappes sur la Libye. Suivies, à la manière du coup de poker yankee sur les figures des anciens dirigeants de Bagdad juste après l’occupation de l’Irak, d’une prime « mort ou vif » pour capturer Kadhafi : un million deux cent mille euros.    
L’on remarquera la somme bizarre – pourquoi pas un chiffre rond et pourquoi pas en dollars quand on ne se demande pas déjà d’où détient cette somme, le Conseil de transition qui en principe n’a pas encore le droit de puiser dans le denier libyen.
Au lieu et place des porte-avions de l’Otan qui doivent, de tradition automatique en zone délicate du monde, se trouver proches des rives de la Syrie, ce sont les navires de guerre de celle-ci qui y voguent royalement se permettant même le luxe de bombarder dans les cités et tuer par dizaines. Surtout quand il est difficile d’ignorer, nonobstant le contrôle du Hezbollah et l’ascendant incontournable sur les mouvements du Hamas, le rôle joué par le régime de Damas dans l’assassinat de Rafik Hariri et l’organisation des couloirs de passages des combattants anti-américains et de leurs matériels. Les investigations de la CIA ont abouti depuis quelques années déjà à la conclusion que la majorité des personnes impliquées dans des attentats perpétrés en Irak au lendemain de l’occupation venaient par la Syrie. Qui s’est, on se rappelle, opposée catégoriquement à l’invasion de l’Irak contrairement à sa position alors carrément favorable durant la première Guerre du Golfe.    
Mais en parallèle G. Walker Bush avait reconnu que le régime de Damas avait  été coopératif dans le combat contre le terrorisme. Les services syriens n’ont-ils pas arrêté dans des écoles coraniques de jeunes islamistes français servant de relais pour le passage en Irak, dans la période de l’assassinat de Hariri, avant de les mettre en détention en les torturant ? Pour essayer de dire combien le régime de la faction au pouvoir depuis pratiquement un siècle, depuis le condominium franco-britannique à nos jours, est versatile au point où elle donne l’impression  de se sentir à l’aise dans des situations nourries de paradoxes et de contradictions.
Dans une économie asphyxiée par une écrasante dette (plus de trente-cinq milliards de dollars) et par une colossale part budgétaire allouée à l’armée, le régime du dernier rempart du  panarabisme parvient pourtant à débloquer quelque treize milliards de dollars pour des réformes  à l’emporte-pièce comptant sur un partenariat avec l’Union européenne pour sortir de la crise, en vérité causée par le modèle socioéconomique lui-même,  outrageusement corrompu, sans perspective de développement claire, sans système bancaire ni limpidité dans le financement public, ne se sauvant les meubles que grâce à la tradition agraire et manufacturière.
Mais en même temps, le clan dirigeant crée des installations industrielles fort douteuses dans le site de Daïr Alzour que n’hésitera pas à bombarder l’aviation israélienne en 2007.  Pendant plus de trois années, le régime de Bachar al-Assad interdit aux inspecteurs de l’Aiea d’entrer sur son territoire jusqu’à dernièrement où il fait parvenir une lettre officielle invitant cette institution  à une rencontre prévue en octobre prochain à Damas.
Histoire de rappeler, en filigrane, à l’opinion mondiale que le bain de sang dans les villes syriennes, les arrestations massives, la torture à fleur de peau, dans une ambiance globale de misère et d’ulcération morale, est un détail au moins offrant médiatique qu’une sage position d’intérêt stratégique. L’héritier du fer de lance du Front de la fermeté, le « héros », qui a réglé leur compte aux Frères musulmans en massacrant, entre autres, la moitié d’une grande ville, Hama en l’occurrence – en février 82, une boucherie de plus  de 50.000 morts dont Jaques Chirac, seul chef d’Etat d’Occident, assistera à ses obsèques avant d’inviter quelques mois après son rejeton avec son épouse à l’Elysée – cette reformulation de la dictature baasiste, auréolée des parapluies russe et chinois et du porte-monnaie persan, ne peut pas se départir de cette vision du monde qui le conforte dans sa tyrannie et de celle de ses 400.000 soldats et le met dans la position, mitoyenne avec Israël, de nécessité indispensable dans la  région.   
Mais l’Europe qui est en train d’empocher la Libye, combien d’hectolitres de sang, il se devra donc  de gicler encore en Syrie, combien de rivières de larmes encore à ruisseler sur des corps d’hommes et de femmes torturés et violés, pour qu’il y ait vite et sans condition une action concertée à l’intention de vingt millions d’habitants convaincus aujourd’hui que le monde les oublie ? De la manière dont furent omis les Cambodgiens sous le règne de Pol Pot, il n’y a pas tellement longtemps si l’on translate le temps chronologique dans la durée inextinguible à la souffrance dans l'oppression.

 * Libre penseur algérien


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1.Posté par Ain le 26/09/2011 17:43
Bonne et lucide analyse qui nous invite à ouvrir grands les yeux pour comprendre les vrais enjeux de la situation en Syrie. Merci pour cette analyse de la situation actuelle et particulièrement grand merci pour ce rappel historique combien nécessaire pour suivre la suite logique des événements.
Bien triste pour le peuple syrien de subir mais il faut bien agir pour mettre fin à la tyrannie. Quel honneur et fierté de voir aboutir la lutte du peuple syrien sans assistance de ce monde qui prétend défendre la paix, la démocratie et les droits de l'homme dans le monde.

Halim A

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