Regards croisés sur l’inspection pédagogique au Maroc et en France (suite et fin)


Par Rachid MANSOUM*
Samedi 2 Juillet 2011

Au Maroc, ce souci de dresser des passerelles inter-cycliques est également présent à travers les trois entrées de la Charte nationale de l’éducation et la formation à savoir l’approche par compétences, l’éducation au choix et l’éducation aux valeurs. L’idée est que toute activité quelle qu’elle soit,  dans n’importe quelle discipline et indépendamment des niveaux et des cycles, doit être envisagée selon ces trois entrées (un apprentissage qui se fait dans le respect de la dignité de l’être humain et qui vise à développer les compétences de vie).  En France, cette cohérence parait plus concrète au niveau de la gestion dynamique de la vie scolaire par toute la communauté (documentaliste, conseiller, chef d’établissement, enseignant, principal adjoint)  qui se penche sur le contrat d’objectif et qui joue sur l’articulation du temps scolaire et du temps extrascolaire et entre espace solaire et extrascolaire  (les centres socioculturels et les maisons des jeunes). Par ailleurs, Il est important de signaler le rôle primordial que joue le chef de l’établissement dans la gestion de la vie scolaire qui jouit, en France, d’un statut particulier.

La fonction de chef
d’établissement

En ce sens, il faut reconnaître que le système éducatif français, contrairement au système éducatif marocain, est très exigeant en ce qui concerne les conditions d’accès à la fonction de chef d’établissement. En France, c’est un leadership qui bénéficie d’un pouvoir charismatique et qui procède par une gestion éducative qualifiée d’«educational management» en contrepoids à une administration scolaire ou «school’s administration». Il a pour  responsabilité le maintien d’un climat favorable pour la réforme dans son collège, l’engagement des acteurs scolaires dans la gestion de son établissement  sur le plan financier, administratif et pédagogique. Une gestion qui bénéficie d’une  approche plurielle puisque ce conseil pédagogique qui a été mis en place en 2005 est constitué d’1/3 des représentants du personnel administratif, 1/3 des représentants des collectivités territoriales et d’1/3 d’élèves et des parents d’élèves. Il a pour mission la gestion financière, la mise en œuvre de l’autonomie de l’établissement, la rédaction du rapport annuel, la validation du contrat d’objectifs  et l’élaboration de la partie pédagogique du projet d’établissement.  Il a  également pour tâche de coordonner entre les enseignants car les enseignants jouissent d’une liberté pédagogique  qui doit s'exercer dans le cadre des programmes et des instructions du ministre de l'Education nationale avec l'aide du directeur d'école ou du chef d'établissement, avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d'inspection.
 
Evaluation d’une
 pratique enseignante

Selon l’Article L912-1-1 de la loi n°2005-380, Journal Officiel du 24 avril 2005,  chaque enseignant est libre dans ses choix pédagogiques et didactiques. Le professeur dispose d'une autonomie dans ses choix pédagogiques mais dans le cadre des orientations et des programmes définis par le ministre chargé de l'Education nationale, des orientations académiques et des objectifs du projet d'établissement. En effet, les nouveaux programmes ne semblent pas apporter des prescriptions relatives aux modalités didactiques. L’enseignant semble bénéficier d’une liberté pédagogique dans ses choix didactiques.
Néanmoins, notons que c’est une liberté qui demeure conditionnée puisque d’abord, elle doit se plier aux exigences des programmes scolaires en vigueur, à savoir le socle commun des connaissances et des compétences ; ensuite, cette liberté doit mener à un apprentissage efficace. Le système éducatif français part d’un principe : plus on diversifie les entrées, plus on a assez de chances pour être efficace.
 Au Maroc, on constate qu’il y a plus de rigueur didactique bien que  les orientations officielles et les préfaces des guides des professeurs insistent sur cette  marge de manœuvre laissée aux enseignants. Cette mise en exergue de la rigueur didactique semble influencer le regard que l’inspecteur porte sur les pratiques pédagogiques. Il oriente sa grille d’observations plus vers ce que fait le professeur au lieu de focaliser l’attention sur ce que font les apprenants qui sont aujourd’hui au centre de l’apprentissage.

La liberté pédagogique en France et la grille d’observation

En France, quand l‘inspecteur débarque en classe, il n’a pas à imposer un choix didactique ou une  innovation pédagogique à l’enseignant. Cette posture contraint l’inspecteur à évaluer la capacité des enseignants. Ainsi, ce qui parait caractériser la grille d’observation d’une séance d’enseignement  et au-delà de son aspect bidimensionnel qui croise compétences professionnelles et  compétences  de socle commun  c’est que  l’attention de l’inspecteur est focalisée non pas sur le professeur mais surtout  sur ce que font les élèves. C’est à partir des activités des élèves au cours de la séance (leurs apprentissages acquis, l’interaction des élèves, la structure de la communication, la prise en considération de leurs réponses, leur évaluation périodique, la différenciation de leurs parcours, leur traces écrites, le temps de la parole qui leur était accordé…) que l’inspecteur peut émettre un jugement sur la pratique de l’enseignant.
             Au Maroc,  on a tendance à  privilégier la troisième entrée pédagogique de la Charte de l’éducation et de la formation à savoir « l’approche par compétences » au détriment des autres entrées « l’éducation au choix et aux valeurs ». Nous pensons que la mise en œuvre de ces deux entrées peuvent recentrer  le regard de l’inspecteur et le réorienter plus vers l’axe pédagogique (relation élève/professeur) ; sans pour autant  négliger  l’axe didactique ( relation professeur/savoir).  En effet, la classe doit être un espace fertile pour que l’élève puisse acquérir les compétences requises dans le respect de ses choix et des valeurs  de la citoyenneté universelle (dignité,  respect de l’Autre, liberté du choix et de l’expression…). C’est la qualité de ce regard focalisé sur le climat d’apprentissage qui  pourra, en fait, unifier la pratique pédagogique et  qui permettra, en conséquence, d’évaluer la pratique de l’enseignant aussi bien en amont qu’en aval.
Apprécier l’efficacité d’une activité ne veut pas dire évaluer le degré d’atteinte de la compétence ciblée mais également s’interroger sur les deux autres repères qualitatifs à savoir l’éducation au choix et aux valeurs qui peuvent être pris  comme axes pour l’entretien pédagogique qui au Maroc, rappelons-le, mérite d’être revaloriser.

L’entretien pédagogique

En France, l’entretien pédagogique est un moment incontournable. Il   dure entre 45 minutes et 1 heure. Il  constitue un  moment privilégié pour faire évoluer la pratique des enseignants et pendant lequel  l’inspecteur évalue non pas le professeur mais l’effet de sa pratique sur ses élèves. Cette mise en écart entre la personne et sa pratique pousse l’enseignant à partager l’analyse et à projeter lui-même un regard réflexif sur ce qu’il fait.
L’inspecteur doit être vigilant de façon à ce qu’il puisse amener l’enseignant à prendre conscience de ses gestes pédagogiques, à apprécier le dialogue et les conseils prodigués et surtout l’amener à contractualiser les objectifs du progrès. Puisque le rapport qui doit refléter d’une manière fidèle les points abordés dans l’entretien,  s’achève avec deux ou trois propositions que l’enseignant doit prendre en considération pour améliorer sa pratique. Ces remarques feront l’objet d’un suivi et de la part de l’inspecteur et de la part du chef de l’établissement.
Doté d’une triple fonction pédagogique, administrative et psychologique, l’entretien, au Maroc, demeure un geste professionnel à revaloriser essentiellement pour sortir de cette logique dominée par le contrôle vers une autre qui met plus l’accent sur l’accompagnement et le principe de la contractualisation pédagogique.
 
La contractualisation
pédagogique

En France, ce  principe renoue toutes les articulations décisives du système. Il est le garant qui en assure l’efficacité.  Et quand on évoque le contrat c’est vrai qu’il est d’abord un contrat écrit  noir sur blanc mais surtout il est un  pouvoir moral.   Parce qu’il faut savoir que le système éducatif français est régi par « une morale administrative  et professionnelle» c’est-à-dire un ensemble d’obligations professionnelles.  Cette déontologie est inscrite dans des textes institutionnels depuis la Constitution de 1958 dans le statut général de la fonction publique mais également elle est ancrée dans la pratique. Elle stipule qu’on doit exercer intégralement la fonction, œuvrer pour l’honneur professionnel et agir, d’abord, en fonctionnaire de l’Etat de façon éthique et responsable.
Représentant du ministère et porteur de valeurs, l’inspecteur est appelé à respecter la hiérarchie administrative tout en sachant que  le respect de la hiérarchie n’est pas synonyme de soumission, car la liberté de parole et du conseil voire de la critique  constructive est garantie au moment opportun. En revanche, une fois la décision est prise par l’institution, l’inspecteur est soumis à l’obligation de la loyauté.  S’inscrire dans ce cadre noble qu’est l’éthique professionnelle signifie, en premier lieu, concevoir  un projet d’inspection qui émane d’un regard lucide du système éducatif. Un regard qui sait se déplacer aisément d’un point de vue national à un point de vue local en passant par le régional. Et en second lieu, c’est le mettre en œuvre en construisant de nouveaux protocoles et en développant des gestes professionnels  qui  respectent les règles de l’art.  

*Elève-inspecteur du cycle secondaire collégial,
spécialité langue fransuite et fin


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