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Refoulés de Suède et introuvables au Maroc : Mineurs supposés ou majeurs confirmés ?

Stokholm aurait fait peu de cas de la confidentialité de la procédure d’asile


Hassan Bentaleb
Jeudi 6 Juillet 2017

La Suède a-t-elle refoulé des mineurs marocains vers leur pays d’origine ? Oui, à en croire l’agence de presse suédoise qui a rapporté dernièrement  que 82 mineurs de nationalité marocaine demandeurs d’asile ont été refoulés vers le Royaume au cours de cette année contre 35 en 2016 et 8 en 2015.
Selon les services de migration suédois, les mineurs marocains représentent  3,9% des demandeurs d’asile classés par nationalité soit 29.213 dossiers déposés depuis 2011. En détail, sur les 1.128 demandes de protection internationale durant les sept dernières années,  66 ont été acceptées et 393 refusées. 24 personnes ont été renvoyées vers un autre pays de l’UE et 639 ont disparu dans la nature.
Mais s’agit-il vraiment d’enfants dits non accompagnés ?  Le quotidien suédois Svenska Dagbladet affirme le contraire. Selon lui, les enquêtes de police ont révélé que l’ensemble de ces mineurs ont fourni de fausses informations à propos de leur âge et de leur identité. Un document de la police des frontières adressé en mai dernier au ministère de la Justice suédois a indiqué  que sur un total de 77 dossiers de demande d’asile acceptés, 65 ont été déposés sous  de  fausses identités et que sur les 50 personnes qui ont déclaré être des mineurs, seuls deux l’étaient réellement. Cette découverte a été rendue possible grâce aux registres des empreintes digitales fournies par les autorités marocaines. En fait, les deux pays se sont engagés en janvier 2016 à créer un comité de travail chargé de faciliter l'identification des mineurs marocains sans papiers et leur retour au Maroc.
Abderrahman Bounaim, responsable pédagogique à l’Association Bayti pour l’enfance en situation difficile, doute que les personnes refoulées soient des mineurs. «La Suède est classée parmi les pays qui respectent  les dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant et je ne pense pas qu’elle puisse extrader des enfants vers leurs pays d’origine sans respecter les lois et procédures en vigueur », nous a-t-il indiqué.  En fait, notre source sait de quoi elle parle puisque l’ONG Bayti a été impliquée en 2014 dans un projet de retour de Suède des mineurs marocains non accompagnés. « Il y a eu un projet de coopération avec l’Office suédois de migration. Notre mission consistait à faire des enquêtes sur les familles des mineurs marocains résidant en Suède et  évaluer la situation de sa famille et sa capacité à l’accueillir. En d’autres termes, l’objectif de ces enquêtes consiste à savoir si les familles sont prêtes à accepter le retour de leurs rejetons ou pas,  si elles sont à  même de les accueillir et si ces enfants ont de l’avenir ou pas au Maroc. A la lumière de ces informations, nous élaborons des rapports et des recommandations », nous a-t-elle expliqué. Et de poursuivre : « Nous avons également contacté ces mineurs pour leur demander s’ils acceptent leur retour volontaire à la mère-patrie ou pas. Mais sur les deux années qu’a duré ce projet, aucun d’entre eux n’a voulu retourner au Maroc et leurs familles ont refusé de les accueillir. Et du coup, aucun enfant n’a été renvoyé vers le Maroc. Par ailleurs, il y a eu retour de France de certains mineurs suite à leur accord, à celui de leurs familles et à des promesses d’emploi ou de création de projet».
Peu de cas de retour ont été confirmés par l’antenne marocaine de l’Organisation internationale de migration (OIM-Maroc) qui nous a indiqué qu’elle a pu faciliter le retour et la réintégration au cours de l’année dernière de six mineurs marocains seulement revenus de Grèce. Les années précédentes ont elles aussi enregistré des retours au Maroc dont le nombre ne dépasse pas les doigts d’une seule  main. « L’OIM avait au préalable rendu des visites de Family Assessment afin d’évaluer le degré du risque lié à leur potentiel retour. Une fois que le meilleur intérêt de l’enfant est déterminé et validé par le ministère de tutelle du pays de destination et après avoir reçu l’accord formel des parents, l’OIM a pu travailler en étroite collaboration avec les parents afin d’assurer un engagement collectif dans la réintégration des mineurs », nous a déclaré une source de l’OIM. Et d’ajouter : « Les projets de l’OIM (TACT et MOTUSE) ont ainsi pu permettre aux mineurs de reprendre leurs études ou formation technique  et d’acquérir du matériel professionnel. Parallèlement, et afin d’assurer un suivi de proximité et de renforcer la durabilité de leurs initiatives, l’OIM a établi un partenariat avec l’Association Bayti vers qui ils peuvent revenir en cas de problème ».

Echange d’informations
relatives aux empreintes
digitales entre la Suède et le Maroc
Pourtant,  que ces jeunes soient des mineurs ou majeurs, il y a un détail lourd de conséquences qui est passé inaperçu : l’échange d’informations relatives aux empreintes digitales entre la Suède et le pays d’origine des demandeurs d’asile ne constitue-t-il pas une violation des clauses de confidentialité édictées par la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ? « L’identification par les empreintes digitales des migrants irréguliers et  l’échange de  registres les concernant sont tout à fait légaux entre deux pays. Mais, cette procédure est formellement interdite dans le cas des demandeurs d’asile conformément aux dispositions de la Convention de Genève. Il est prohibé de chercher des informations sur ces derniers auprès des autorités du pays d’origine », nous a indiqué Said Mchak, chercheur en droit international sur la migration. Et de poursuivre : « Tout échange d’informations concernant les demandeurs d’asile est considéré comme une violation de ladite Convention et de la confidentialité de la procédure d’asile. En fait, l’un des principes primordiaux de cette procédure a trait au secret et à l’interdiction de divulguer des informations sur les demandeurs d’asile ». Ceci d’autant plus que les principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés stipulent que « l’évaluation de l’âge d’un enfant dont on doute doit faire partie d’une évaluation complète qui tient compte tant de l’apparence physique que de la maturité psychologique. Il est important de procéder à une telle évaluation dans une atmosphère sereine, propice aux enfants, attentive aux questions de genre, et dans le respect dû à la dignité humaine. La marge d’appréciation inhérente à toutes les méthodes d’évaluation de l’âge doit s’appliquer de manière à ce que, en cas d’incertitude, la personne soit considérée comme un enfant».
Said Mchak estime qu’en cas de fausses informations fournies par les demandeurs d’asile, le pays d’accueil a le droit de refuser d’octroyer le statut de réfugié et non de procéder à un refoulement automatique. « Le refoulement des personnes déboutées doit faire suite à une décision des autorités compétentes justifiant ce refus », nous a-t-elle expliqué. Et de préciser: « Dans le cas des mineurs non accompagnés, il y a le  principe de l’intérêt supérieur de l’enfant, une notion de droit international privé introduite en 1989 par la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, et qui oblige les pays, préalablement à tout refoulement, à veiller à ce que cet intérêt supérieur soit respecté dans le pays d’origine  de l’enfant et à veiller aussi à lui garantir de bonnes conditions de vie par la suite. La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leurs familles a exigé, pour sa part, que ce retour de l’enfant soit volontaire ».

Où sont les mineurs
de retour ?
Mais, au-delà de ces questions, d’autres interrogations se posent concernant le sort de ces soi-disant mineurs non accompagnés : où ont-ils été placés ? Chez leurs familles au Maroc ou dans des structures spécialisées dans l’accueil des mineurs ?  « Nombreuses sont les familles qui refusent de reprendre leurs enfants et les établissements dédiés à l’accueil de ces mineurs n’existent pas, exception faite de l’Association Bayti qui en abrite fort peu », nous a indiqué une source associative sous le sceau de l’anonymat. Et qu’en est-il du projet de construction des deux orphelinats financés par la Suède et l'Allemagne dans le dessein de renvoyer leurs mineurs marocains? Anders Ygeman, ministre suédois de l'Intérieur, a déclaré à la presse de son pays qu’il s'agit d'un projet pilote de 200 lits qui sera suivi par la construction d’autres centres qui pourraient dispenser des soins médicaux et psychiatriques ainsi que l'éducation et la formation. D’un coût de 20 millions d'euros, l'Allemagne et la Suède ont l'intention de les financer via le Fonds de migration de l'UE. « Avec cette initiative - qui bénéficie du plein appui du Maroc - nous espérons pouvoir renvoyer les personnes âgées de moins de 18 ans, ce qui nécessite la mise en place de structures dédiées. Nous estimons que nous pourrons ainsi disposer de 50 places pour les migrants refoulés de Suède », a révélé le ministre. Qu’en est-il de ce projet ? Personne ne sait.

La pression espagnole
Mais, il n’y a pas que la Suède et l’Allemagne qui font pression sur le Royaume pour le renvoi des mineurs marocains non accompagnés. L’Espagne tente tant bien que mal de convaincre le Maroc d’accueillir ces enfants. « L’Espagne continue à exercer une pression énorme sur le Maroc notamment après les problèmes causés par les mineurs à Mellilia et de Sebta, lesquels présides occupés exercent, à leur tour, beaucoup de pression sur le pouvoir central espagnol afin qu’il entame des négociations avec le Maroc. Les déclarations récentes de Saâd Eddine El Othmani sur ce sujet est un indice qui atteste de l’existence de pareilles pressions sur le Maroc», nous a précisé Ahmed Khalifa, chercheur en migration et membre de l’Association Mains solidaires. Et de poursuivre : « Il y a eu la tentative de certaines régions espagnoles, notamment Madrid, de construire des centres au Maroc afin de renvoyer ces enfants. Une manière de jouer avec la loi puisqu’il s’agit d’un refoulement qui ne dit pas son nom mais ce projet a échoué».
Notre source estime aussi que cette question de renvoi des mineurs par l’Espagne est devenue complexe depuis 2003 vu que le nombre de ces mineurs a augmenté.  « Depuis cette date, il y a eu signature d’un mémorandum entre le Maroc et l’Espagne pour encadrer le refoulement des mineurs mais cet accord a échoué car les opérations d’identification des enfants et les contacts avec les familles demandent beaucoup de temps aux autorités marocaines qui n’ont pas fourni suffisamment d’efforts pour faire réussir cet accord. En fait, le Maroc l’a signé en vue d’apaiser des relations diplomatiques tendues», nous a-t-il précisé. Et d’ajouter : « Aujourd’hui, on assiste, de nouveau, à une hausse du nombre de ces mineurs contre une baisse enregistrée au cours des trois dernières années. Ceci d’autant plus que nombreux sont les mineurs ayant atteint la majorité et qui se retrouvent  sans domicile fixe. Ce problème est devenu un sujet de débat politique dans les deux présides occupés, faute d’arsenal juridique à même de permettre de résoudre ce problème. La secrétaire d’Etat chargée de la Migration a évalué à 500 le nombre de mineurs dans la ville de Mellilia dont 300 sont expulsables. Mais, juridiquement, ce ne sera pas le cas sauf s’il y a complicité de la part du Maroc ».
 En effet, les mineurs ne sont expulsables que si plusieurs dispositions juridiques sont réunies. « Il faut qu’il y ait existence d’une famille ou d’une institution désireuses de les accueillir. En d’autres termes, ces enfants doivent être livrés à leurs familles, lesquelles doivent avoir les moyens de les prendre en charge,  ou être placés dans des centres de protection de l’enfance. Et pareilles conditions sont difficiles à réunir  puisque plusieurs familles refusent de reprendre leurs enfants, estimant qu’ils pourraient avoir un avenir meilleur en Europe. Et les centres de protection de l’enfance ne sont pas aptes à accueillir des mineurs qui ont vécu à l’étranger », nous affirmé Ahmed Khalifa. Et de conclure : « Chaque enfant non accompagné est soumis à la tutelle de l’administration espagnole selon l’article 172 du Code civil espagnol. L’administration est obligée de le protéger conformément à l’article 2 de la Convention internationale des droits de l’enfant et, du coup, il doit jouir, au niveau formel, des mêmes droits qu’un enfant espagnol abandonné. Pourtant, dans la réalité, ces enfants sont traités comme des personnes étrangères majeures et non pas comme des mineurs et ils sont privés de plusieurs droits dont celui de bénéficier d’une carte de résidence ».  


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