Raoudha Laâbidi : Les Marocains doivent impliquer tous leurs ministères concernés en vue d’alléger les procédures et les temps d’attente


Propos recueillis par Hassan Bentaleb
Vendredi 28 Juillet 2017

Après l’adoption en 2016 de la loi organique N°61-2016 de prévention et de lutte contre la traite des personnes, la Tunisie a mis en place en février 2017, l’Instance nationale de lutte contre la traite des personnes, sous tutelle du ministère de la Justice, en tant qu’étape-clé pour l’instauration de politiques publiques visant à lutter efficacement contre ce phénomène et à criminaliser toute forme de traite, quels que soient sa nature et le profil des victimes. Le législateur tunisien a donné de larges prérogatives à travers cette loi à cette Instance dont l’élaboration d’une stratégie nationale de prévention, la réception des signalements sur des numéros verts, la collecte des données et la formation. 
Retour sur cette expérience avec Raoudha Laâbidi, présidente de l’Instance nationale de lutte contre la traite des êtres humains.

Libération : Qu’en est-il de la question de la traite humaine en Tunisie ? 
Raoudha Laâbidi : La traite des êtres humains demeure aujourd’hui  le troisième plus important commerce illégal au monde après le trafic des armes et le narcotrafic. Il s’agit d’un phénomène qui touche l’ensemble du globe et aucun pays n’est épargné. Nous sommes tous concernés. Notamment des pays comme le Maroc et la Tunisie qui sont des pays émetteurs, de destination et de transit des migrants. En Tunisie, exception faite du trafic d’organes, nous avons presque toutes les formes de la traite humaine (proxénétisme, réduction en esclavage, servitude domestique, soumission à du travail ou à des services forcés, mendicité forcée, contrainte à commettre des délits). C’est un phénomène qui touche les hommes comme les femmes et les enfants. Et il est amplifié par une conjoncture économique morose et la migration. Des situations de fragilité qui ouvrent la voie à ce genre de crimes. Et c’est pourquoi il faut frapper fort. Dans mon pays, les sanctions peuvent aller jusqu’à 20 ans de prison. 
Mais je tiens à préciser que nous ne pouvons pas parler d’un vrai phénomène que ce soit au Maroc ou en Tunisie. Il y a des cas d’esclavagisme, d’exploitation sexuelle, économique et autres mais ils restent limités.  Dès la mise en place de l’Instance, nous avons détecté une trentaine de cas. Mais cela n’empêche pas qu’on doit être très prudents et très vigilants puisqu’il y  a des réseaux de trafiquants transnationaux qui recrutent, transportent et transfèrent  des personnes afin de les exploiter. 
Comment peut-on évaluer le travail de l’Instance tunisienne de lutte contre la traite des êtres humains ?
L’Instance a été fraîchement installée. Elle a pris ses fonctions en février 2017 et, du coup, il est encore tôt pour en évaluer le travail. Il n’en demeure pas moins que l’Instance a pris en charge plusieurs victimes, qu’elle a participé à la refonte de plusieurs textes de loi afin de les mettre en conformité avec la loi relative à la prévention et la lutte contre la traite (Code du travail, Code de protection d’enfant…). Nous avons travaillé également sur le système de référencement  qui s’est avéré être la tâche la plus difficile. Nous avons aussi élaboré notre plan de travail et nous avons organisé des formations à tous les niveaux et au profit de tous les intervenants. Mais ce n’est jamais assez. 
Pouvez-vous nous donner une idée sur la composition de cette Instance ? 
La composition  de notre structure est parfaite. Nous avons réussi à réunir l’ensemble  des représentants des ministères concernés par la traite humaine. Et, du coup, notre Instance a joui d’un pouvoir décisionnel important et ses décisions sont prises sans droit de regard de la part des ministères concernés et elles sont prises dans des laps de temps très réduits. Ceci d’autant plus, que ces décisions engagent tous les ministères. Et sincèrement, depuis l’installation de l’Instance, il n’y a eu aucun rejet de nos décisions. 
Qu’en est-il de la question du financement ?
Jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons pas eu de problèmes financiers. Notre seul souci est de trouver un siège social. En fait, le volet formation est souvent pris en charge par les organismes internationaux (Conseil de l’Europe, OIM…). C’est le cas également pour la prise en charge des personnes victimes de la traite humaine qui sont traitées via les services des ministères concernés (Santé, Affaires sociales, Intérieur…). Nous n’avons besoin de fonds que pour gérer la question du  fonctionnement quotidien de l’Instance. 
Quel conseil pourriez-vous donner aux Marocains qui comptent mettre en place une Commission chargée de la coordination ?
Les textes de loi  relatifs à la lutte contre la traite des êtres humains sont presque identiques dans les deux  pays et c’est compréhensible puisque les deux textes se sont basés ou se sont inspirés des mêmes sources, à savoir les  conventions et accords internationaux (Convention des Nations unies de 2000 contre la criminalité transnationale organisée, dite ”Convention de Palerme” et son protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants). Mais, j’espère que les responsables marocains discuteront profondément de cette question et qu’ils feront le choix d’impliquer tous les ministères concernés en vue de les engager et d’alléger les procédures et les temps d’attente.  






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