Ramadanienne de Mohamed Bakrim : Cinéma marocain : Essai de synthèse (II)


Mohamed Bakrim
Samedi 12 Septembre 2009

Ramadanienne de Mohamed Bakrim : Cinéma marocain : Essai de synthèse (II)
Comment on est arrivé à cette situation ? Qu’est-ce qui pourrait expliquer ce dynamisme ? Je formule une explication basée sur la conjugaison de trois facteurs : L’existence d’une tradition cinéphilique qui fait que le cinéma au Maroc est chez lui. Une tradition qui a connu son âge d’or dans les années 70 avec notamment le mouvement des ciné-clubs qui ont porté la culture cinématographique très loin dans le pays profond ; mouvement qui a produit ses figures emblématiques dans les domaines de l’animation et de la critique cinématographique. L’existence d’une génération de cinéastes pionniers qui ont résisté à la traversée du désert et qui ont permis que le cinéma reste un horizon professionnel possible. Ce sont eux qui ont assuré au cinéma son ancrage dans notre paysage culturel. Dès le début des années 60, en effet, des jeunes sont allés étudier le cinéma à Paris, à Lodz, à Moscou…ils sont rentrés défendre un cinéma en symbiose avec les attentes du pays ; ils ont assuré le démarrage des premiers films institutionnels ; ont produit leurs premières œuvres de fiction souvent dans des conditions difficiles mais qui ont donné lieu à des films devenus des références aujourd’hui pour la nouvelle génération. L’existence d’une réelle volonté publique d’aider le cinéma ; volonté illustrée par le Fonds d’aide à la production cinématographique devenue depuis 2004 l’avance sur recettes et dont l’enveloppe atteint aujourd’hui les 50 millions de dirhams (5 millions d’euros) ; on parle de 70 millions de dhs pour la nouvelle année et à l’horizon proche, la barre symbolique des cent millions de dirhams sera franchie ! Le Maroc continue en outre à être une destination privilégiée pour les productions internationales; en 2008, un milliard de dirhams (10 millions d'euros) ont été investis dans l'économie marocaine par cet apport. Ouarzazate est le fleuron de cette dimension internationale; elle offre des atouts naturels, humains et professionnels qui permettent à notre pays malgré une concurrence de plus en plus rude, d'accueillir des productions prestigieuses. L’ensemble de ses éléments constitue aujourd’hui un écosystème qui rend l’émergence d’une véritable industrie du cinéma une option non seulement légitime mais crédible. L’engouement constaté des jeunes pour les métiers du cinéma constitue une garantie d’avenir. On assiste en effet à une très forte demande émanant de jeunes voulant embrasser la carrière de cinéma. Ce qui fait de la question de la formation l’un des premiers points à l’ordre du jour pour les années à venir. Un signe heureux dans ce sens, un court métrage réalisé par un étudiant de l'école de cinéma de Marrakech (ESAV-M) a été primé à San Sébastian lors de l'édition 2008 dans la section films d'école, par un jury présidé par le cinéaste Amos Gitai…le même film a été retenu en compétition officielle internationale du festival de Clermont Ferrand. Cet engouement, cet intérêt public et culturel pour le cinéma s’explique fondamentalement par la nouvelle place acquise par le cinéma dans la production artistique. On peut affirmer sans risque d’erreur que le cinéma constitue aujourd’hui la première forme d’expression de l’imaginaire collectif de la société marocaine. Le public commence à se familiariser avec les productions cinématographiques locales retrouvant des codes et des figures récurrentes le fidélisant sur la base d’un contrat de communication narratif et esthétique explicite. Le cinéma marocain n’est plus un concept. Il n’est plus une abstraction. C’est désormais un vecteur d’expression avec des représentations sur la société marocaine accompagnées de surcroît de la découverte du plaisir du récit. A l’instar des cinémas installés, il fonde son succès sur la base de la constitution de certains stéréotypes assurant au public des éléments de reconnaissance et des « retrouvailles » avec son image autour de thèmes, de lieux ou tout simplement de figures de reconnaissances tangibles. C’est ainsi qu’un cinéma populaire n’hésite pas à puiser sa thématique dans l’actualité immédiate dessinant de grands axes de signification sur lesquels s’établit un consensus social : le statut de la femme, l’émigration clandestine… par exemple. Il y a toute une tendance du cinéma marocain porté par ce que l’on qualifierait le scénario de proximité où les ingrédients de la vie quotidienne forment la base du ressort dramatique (les films de Mohamed Smaïl, Hassan Benjelloun, Saad Chraïbi, Hakim Noury…). C’est un courant social qui n’hésite pas à aborder de front certains sujets qui font débat. Le film Ali Zaoua de Nabil Ayouch avait frappé les esprits par l'originalité du regard porté sur une réalité, banalisée par les clichés médiatiques. Ce film était l'expression de l'irruption de la société civile comme composante du débat public. Le film ayant convaincu par la force de sa thématique et a séduit par sa démarche esthétique originale. Comme ce fut le cas aussi avec les films qui ont abordé les années de la répression politique dans les années 70.


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