Quel système éducatif pour quel projet de société ?


Par le Mouvement Anfass démocratique
Lundi 2 Février 2015

Quel système éducatif pour quel projet de société ?
La question de l’école publique a été au cœur du débat politico-sociétal du Maroc contemporain. D’abord, sous l’ère du protectorat, à travers une lutte pour «nationaliser» et «gendariser» l’école, ensuite, à l’aube de l’indépendance, sous forme de lutte entre pouvoir et opposition pour «recruter» l’élite, et enfin depuis environ 15 ans, où toutes les composantes de la société s’indignent de la «faillite» du système éducatif marocain.
Ce dernier constat, reconnu publiquement par l’Etat, a conduit à la nomination d’une commission dédiée – la COSEF (Commission spéciale éducation-formation) – et dont le travail a été couronné par la «Charte nationale de l’éducation et de la formation» en 1999. Cette «charte», qui a fait le consensus, ou presque, devait aboutir à une réforme globale du système éducatif. 15 ans après, le débat est relancé, le système éducatif étant encore plus «malade». Le débat est relancé avec pour principal point focal la langue de l’enseignement, le fond du sujet est loin d’être mis sur la table, et par ailleurs, les responsabilités d’un tel état catastrophique, plaçant le Maroc «cancre» de la région (Rapport Unesco 2008 sur l’éducation dans la région MENA), ne sont pas élucidées !
Le mouvement Anfass place la réforme de l’école publique comme thématique centrale du Maroc contemporain. L’école est le noyau du projet de société. Alors que nous célébrons le centenaire de l’école marocaine, sous sa forme moderne, nous constatons avec beaucoup de regret que cette institution, unique à l’échelle d’une nation, censée transmettre aux générations, en plus de l’apprentissage, les valeurs du vivre-en-commun, est défaillante spécialement dans cette mission !
L’école marocaine, eu égard à son statut central, devrait essentiellement se placer comme institution principale de transmission des valeurs du projet sociétal national, ascenseur social et maillon incontournable du développement culturel, social et économique du Maroc.
«L'école semble ne transmettre que peu les valeurs de droit, de citoyenneté, et de respect propices à la bonne intégration sociale des apprenants. En témoignent la multiplication des incivilités telles que les faits de violences et de dégradation des biens, ou encore la banalisation de la fraude aux examens». (Rapport du CSE, 2008).
L’Etat, tel que nous le concevons, doit assumer sa responsabilité de premier rang dans ce secteur.
L’école marocaine est en faillite. Elle fait perdurer les inégalités sociales et ne garantit nullement l’égalité des chances : aucune mixité sociale, absence de vision d’ascension sociale, inégalité dans l’accès à la culture et aux sciences, …
Si la responsabilité de l’Etat est incontestablement et grandement mise en cause dans la faillite du système éducatif, les autres acteurs (corps enseignant, syndicats, parents, …) ne sont pas en reste.
Aujourd’hui, chacun se soustrait du problème de la collectivité et essaie de se trouver une solution à l’échelle personnelle. La classe moyenne supérieure, les élites, les commis de l’Etat, … cherchent des chemins privilégiés de réussite pour leurs progénitures. Or qui d’autre à part l’élite d’un pays devrait s’indigner, agir et réfléchir au sort du système éducatif?
Pourquoi un document sur l’école marocaine?
L’école est au centre des préoccupations du Mouvement Anfass démocratique. Eu égard à son rôle important dans la construction de la société de citoyens que nous prônons, de son statut de service public central et de sa vocation à former les Marocains à même de développer le pays.
Le pacte de citoyenneté, thématique principale d’Anfass, qui a été exposé dans notre document «Réformer la fiscalité pour un pacte de la citoyenneté» et rappelé dans le document «Secteur de la santé : sortir des sentiers battus», sera encore une fois illustré dans ce document spécifique à l’éducation.
La société du savoir, l’ouverture culturelle et le progrès que nous souhaitons pour notre pays passe inéluctablement par une école de qualité.
L’année 2014 était importante pour le Maroc, vu le changement démographique qu’il a connu. C’est une année d’inflexion démographique, qui pourrait être une aubaine pour le pays. Il faut en être conscient et saisir cette occasion unique pour la nation, notamment à travers l’éducation - enseignement!
Dans quelques années, il y aura d’autres problèmes. Le cas des Caisses de retraite, par manque d’anticipation de réformes ou par absence de courage politique, en est la preuve tangible des changements à venir.
Dans ce document préliminaire, nous essayerons de proposer des points qualitatifs pour l’amélioration du système éducatif. Les statistiques, disponibles au ministère, au HCP, … ne sont données qu’à titre d’illustration. L’essentiel, c’est d’avoir l’ambition et la vision de mettre l’école au centre du projet de la société de citoyens et de la société du savoir !
Historique politique
Tout au long de la période du protectorat, l’école a été au centre de la lutte pour l’indépendance. Partout, les nationalistes ont construit des écoles pour former les élites du Maroc indépendant. A l’aube de l’indépendance, l’école est restée au centre de la lutte démocratique. Du 23 mars 1965, aux récentes marches du 20 février 2011, de la suppression de la sociologie, de l’annexion de la «pensée islamique» à la philo, de l’arabisation à la «vigilisation» des universités, … l’éducation a été le terrain de bataille purement idéologique et politique.
Nous présentons ci-dessous quelques statistiques représentatives :
Points positifs
-  Le taux de scolarisation au primaire a atteint 94% en 2007, ce qui nous rapproche de la généralisation. Le taux de scolarisation des filles a atteint 88% en 2007 contre 62% en 2000.
-  Le taux d'analphabétisme de la population âgée de plus de 10 ans au Maroc est passé de 43% en 2004 à 28%.
-  Le taux d'alphabétisation des jeunes entre 15 et 24 ans au Maroc en 2012 est de 84,6%, contre 58% en 1994.
Constats alarmants 
-  Paradoxalement, le Maroc dépense énormément en éducation : En 2005, on dépensait pour chaque élève 23% du PIB par habitant, contre 13.3% en moyenne des pays arabes, 12% en Turquie, 18% en Finlande et en Corée du Sud (la comparaison avec ces 3 derniers pays est intéressante : il y a 50 ans, nous avions presque les mêmes indicateurs en matière d’enseignement ).
-  Alors qu’on aspire, à travers l’école, à construire la société du savoir, le taux brut de scolarisation dans l’enseignement supérieur a été de 11% au Maroc en 2008, contre 48% au Liban !
-  Le taux de déperdition scolaire est énormément élevé au Maroc : sur 100 élèves accédant à la première année du primaire, seuls 13 obtiennent le baccalauréat ! Le taux de redoublement est très élevé : 13% au primaire (17% pour la 1ère année du primaire), 17% au secondaire. Le taux d’abandon : 5,7% au primaire, 14% au collège/lycée! Le redoublement coûterait 3,8 MDH, et l’abandon 2,5MDH.
-  Le taux de chômage chez les jeunes diplômés (moins de 30 ans) dépasse 20%.
Recommandations
Conscient de la complexité de la tâche, le mouvement Anfass participe à ce débat de société, conformément à ses missions. L’école doit être le chantier principal de la prochaine décennie. Toute la gouvernance doit être liée et qualifiée sur la base des indicateurs du système éducatif!
Partant de ce qui précède, du socle de valeurs fondatrices du mouvement énoncés dans sa déclaration politique, Anfass recommande :
Axe 1 – L’école au centre de la société de citoyens 
L’Etat doit placer l’Ecole marocaine au centre du projet de société, basé sur les valeurs du progrès, du respect des droits fondamentaux, de la culture de la différence. Nous estimons que la mission principale de l’école jusqu’à l’âge de 15 ans, outre l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, du calcul, est de former un citoyen fier de son pays, épris des valeurs universelles. En un mot, apprendre le vivre-en-commun.
- Valeurs : les écoliers recevront via l’école le socle de valeurs de citoyenneté, de civisme et de tolérance.
- Langue : tout doit être mis en place pour que les écoliers maitrisent les langues officielles, les dialectes régionaux et les langues étrangères vivantes.
- Enseignants : Le corps des enseignants doit être moteur de toute réforme et doit être le modèle pour les valeurs prodiguées. Le métier d’enseignant doit être revalorisé moralement d’abord, financièrement ensuite.
- Parents et tuteurs : ils doivent assumer la responsabilité qui est la leur dans la transmission de valeurs, dans la vie de l’école de leurs enfants et dans l’encadrement de leur progéniture.
- Société civile : l’Ecole doit s’ouvrir sur son environnement, notamment sur la société civile. L’Etat doit permettre aux ONG d’accéder aux infrastructures des écoles pour leurs activités en contrepartie de l’animation de la vie estudiantine, de l’encadrement des élèves et du rayonnement de l’école.
- Histoire contemporaine et processus de réconciliation : le Maroc a connu ces 100 dernières années une riche histoire. Du processus de libération nationale à celui de la «vérité et réconciliation» ou de la «transition démocratique». Cette histoire contemporaine doit être enseignée aux nouvelles générations comme fondement de l’Etat-nation.
Axe 2 – L’école de l’égalité des chances:
Aujourd’hui, l’école n’est pas la même pour tous. L’élite continue d’envoyer sa progéniture dans des établissements dont les codes, les valeurs, … diffèrent de ceux de la majorité. L’école doit obligatoirement comprendre des modules communs à tous, surtout en matière de valeurs. En outre, les élèves de tous bords doivent avoir accès aux mêmes infrastructures (culturelles, sportives, … ). C’est ainsi que la mixité sera réalisée et que l’ascension sociale via l’école ressuscitera.
- Infrastructures : permettre aux élèves et aux étudiants l’accès aux infrastructures sportives, culturelles, … d’autres établissements scolaires partout, à travers des cartes d’élève/étudiant, assorties d’assurance. Cette carte serait aussi le support d’accès à des réductions (restauration, trains, cars, … ) concédées par les privés qui souhaitent bénéficier de ce grand marché des étudiants, ou subventionné par l’Etat.
- Programme : pour tous les niveaux, des modules pour tous doivent être obligatoires, notamment dans les disciplines de l’histoire, de l’art et de la culture.
- Langue : réduire le cap entre les niveaux de maîtrise des langues étrangères entre les apprenants. Impliquer la société civile, les parents, … pour des cours de soutien.
- Fiscalité : conformément à nos recommandations du document «Réformer la fiscalité pour un pacte de la citoyenneté», prévoir des déductions fiscales pour les ménages qui investissent dans l’éducation de leurs enfants, ainsi que dans les activités parascolaires. Plus généralement, lier tous les avantages sociaux (aides directes, compensations, déductions fiscales, …) à l’éducation des enfants.
Axe 3 – L’école du savoir 
Le Maroc a connu en 2014 des changements démographiques. C’est une opportunité historique qui n’a pas d’égale. Toutes les nations ayant connu un essor socioéconomique en ont profité. Le Maroc a d’énormes potentialités et doit accompagner ses jeunes vers la société du savoir, en favorisant la recherche scientifique, la création culturelle et artistique, …
- R&D : ménager des incitations pour les entreprises qui investissent dans la recherche et le développement. En parallèle, l’Etat doit définir les grandes orientations (par région) des domaines prioritaires.
- Intégration technologique : en contrepartie des marchés octroyés à des entreprises étrangères, exiger une part d’intégration industrielle, impliquant les centres universitaires dans la capitalisation technologique.
- Création : définir une politique culturelle globale dont l’épicentre est l’école/l’université. Cette politique doit intégrer des objectifs mesurables et ambitieux dans les centres éducatifs : nombre de publications, nombre de pièces de théâtre, ….
- Les nouvelles technologies : l’école de demain sera certainement technologique. Le Maroc doit anticiper cette donne. Des établissements pilotes avec les technologies nouvelles (visio-conférence, tableaux numériques, tablettes …) doivent voir le jour. En parallèle, il faut intégrer plus massivement l’utilisation de l’informatique, de l’Internet, … au sein des établissements scolaires.
Axe 4 – La création 
de richesse
L’école marocaine doit contribuer grandement à l’essor économique du pays. Pour cela, il faut optimiser l’apport des citoyens et élever le niveau de la valeur ajoutée locale :
- L’employabilité : opposer au constat de l’inadéquation des cursus des jeunes diplômés avec le marché de l’emploi la réussite des modèles de réinsertion que plusieurs établissement pratiquent depuis des années. L’Etat doit, dans ce sens, mettre à disposition toutes les informations possibles pour l’orientation dès le bas âge. La formation professionnelle est l’une des pistes à renforcer.
- Les passerelles : gérer des passerelles entre toutes les filières. Tout élève, à n’importe quel niveau, a le droit de changer d’orientation, notamment pour des raisons d’employabilité.
- Le recyclage : permettre à tous les citoyens de pouvoir revenir aux rangs des écoles/universités pour parfaire ou approfondir leurs études. Instaurer des incitations (bourses, exonérations fiscales…) aux citoyens exerçant une profession qui investissent dans la formation continue.
Actions à mener en urgence pour rétablir la confiance dans le système éducatif
En parallèle à nos recommandations, présentées au débat sur l’éducation/enseignement, nous demandons que certaines mesures soient appliquées d’urgence afin de rétablir la confiance dans le système éducatif marocain :
-  Traduire l’engagement des autorités publiques à réformer le système éducatif (discours Royaux, déclaration gouvernementale, … ) en des actions concrètes à décliner par département ministériel et par région.
-  Associer la société civile, les syndicats, … dans le processus d’installation du Conseil supérieur de l’enseignement. Ce conseil devrait être chargé, en plus des missions de recommandations générales, de missions :
Classification et labellisation des établissements (publics et privés).
- Monitorer la mixité sociale : imposer un système de bourse dans les établissements privés pour les étudiants / élèves méritants.
- Instaurer une charte de citoyenneté, où tous (citoyens, entreprises, ONG, syndicats, enseignants, …) s’engagent à participer à l’effort de réforme du système éducatif.
- Instaurer des incitations fiscales aux ménages qui investissent dans l’enseignement de leurs enfants dans des établissements labellisés (sur la base de : programmes, infrastructures, octroi de bourses, mixité sociale, … ).
- Octroyer des aides directes aux ménages nécessiteux en contrepartie de la scolarisation de leurs enfants et en fonction des résultats qu’ils obtiennent, en remplacement, total ou partiel, du système actuel de compensation.
- Lancer une campagne médiatique afin d’inciter les citoyens et les groupes à signer la charte de citoyenneté (voir point 2) pour faire adhérer les citoyens et les acteurs à la stratégie de rendre l’école au centre du projet de société.



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1.Posté par AZERGUI le 03/02/2015 08:11
Excellent article qui met à nu les infirmités du système scolaire et éducatif marocain en particulier :
L'enseignement des langues : arabisation à outrance dont le seul but est le linguicide amazigh
L'enseignement de la langue amazighe (langue officielle ) est comattu par les manitous du MEN
L'enseignement du français est une catastrophe (presque tous les bacheliers issus de L'Ecole Publique sont incapables de lire en frnçais et encore moins en anglais)
L'enseignement des sciences physiques et SVT est antipédagogique et abêtissant ( les bacheliers scientifiques de l'Ecole publique n'ont jamais fait aucune expérience même avec une boussole, un voltmètre, aucune expérience de chimie, n'ont jamais touché une loupe ou microsocope, n'ont jamais vu un fossile, une roche) les sciences expérimantales se font au tableau noir avec de la craie .
Les enseignants sont débordés par les classes débordées Ils ne font que transmettre texto les contenus des manuels élaborés par leurs "inspecteurs"
Bravo pour le terme de mixité sociale L'enseignement public au rabais est pour les démunis L'enseignement privé de qualité est pour les riches Les grandes Ecoles pour les fils et filles des riches et de parents enseignants
Je ne suis pas d'accord avec vous quant à cette responsabilisation maladive de la "France coloniale" ( elle est restée en tout moins de 40 ans au Maroc qu'elle a mis sur la voie de la modernisation Elle a fait plus de bien que du mal )

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