Poutine et l’Iran pourront-ils faire reculer le cours de l’histoire ?


Par Abdel Hamid El-Ahdab Avocat libanais
Lundi 12 Octobre 2015

Lorsque, il y a cinq ans, il avait envahi la rue en une manifestation monstre contre le régime, le peuple syrien avait surgi en force comme le fait violemment la pâte dentifrice que l'on sort, par pression, de son tube. Aucune force au monde, aucune pression ne peut réintroduire la pâte ainsi libérée dans le tube...
Quel que soit le nombre d'avions fournis par Poutine, quel que soit le nombre de soldats dépêchés par l'Iran, quelles que soient les armes chimiques employées par Assad et réputées marquer le dépassement de la ligne rouge tracée par Obama (et bien vite effacée), quel que soit le nombre d'avions tueurs, de mercenaires et d'armes de la honte employés par cette alliance ignominieuse... Le peuple syrien demeurera celui dont le Hajjaj Ben Youssef parlait en ces termes : « Ne vous méprenez pas sur leur patience. Ne sous-estimez pas leur force. Quand ils soutiennent un homme, ils ne le lâchent qu'une fois qu'ils ont orné sa tête d'une couronne, et quand ils s'attaquent à un homme, ils ne le lâchent qu'une fois qu'ils la lui ont coupée. Combattez à leurs côtés, ce sont les meilleurs soldats. »
Qui est ce Poutine venu de Syrie avec ses avions et avec le consentement tacite de l'Occident, dont notamment l'Amérique ? Et qu'est-il venu faire ?

Ivan, Pierre 
et Catherine

Trois grands personnages émaillent l'histoire de la Russie. Ils représentent trois modèles et trois politiques.
Le premier est Ivan le Terrible. Ce premier tsar de Russie, qui avait régné au XVIe siècle, avait réformé et modernisé le pays. Il est, bien sûr, connu pour avoir tué son fils, Ivan Ivanovitch, en le frappant de son propre sceptre, puis être demeuré près du corps de ce dernier toute la nuit en versant de grandes larmes suivies de fous rires et en buvant sans arrêt. Staline avait adopté ce modèle et avait marché sur ses pas, mais Poutine en est encore loin.
Le deuxième est Pierre le Grand. Il était le tsar éclairé qui succédait à Ivan le Terrible et à lui revient le mérite d'avoir construit la Russie moderne. Il s'était rebellé contre la société tribale arriérée et avait fait des voyages dans les capitales de la Renaissance européenne. Il en était revenu chargé de culture, de pensées philosophiques et de sciences. Moscou lui avait paru trop orientale. Il décida alors de transporter la capitale à un endroit où elle avait contact avec les marques de la Renaissance. Ce fut Petersbourg et ce fut le modèle que choisit Gorbatchev, mais ce dernier échoua dans son action. Poutine, fils du KGB, philosophe de cette institution, bien pétri de sa culture, est réellement la personne la plus éloignée de ce modèle.
Le troisième est la Grande Catherine, qui était douée d'une grande intelligence et entichée de culture. Amoureuse des lettres et fervente partisane des échanges épistolaires, qui jouaient alors le rôle dévolu aujourd'hui à la presse et à la télévision, elle avait correspondu avec des hommes d'exception dont le plus célèbre fut Voltaire. Elle l'avait invité à Petersbourg et lui avait fait dresser une statue devant laquelle elle avait clamé : « C'est l'homme auquel je dois tout ce que je suis devenue. »
Entre ce modèle de la Grande Catherine et Poutine existe, là aussi, un abîme. Ils appartiennent à deux mondes contraires.
Pour comprendre pourquoi Poutine est venu en Syrie et dans quel but, il faut comprendre l'histoire et la politique de la Russie et revenir à la genèse même du peuple russe, lequel a été fortement influencé par le régime du servage. Les paysans, véritables esclaves interdits de quitter leur terre, donnaient le seul bien qu'ils possédaient, leur travail, au prince ou au seigneur, et ce dernier leur donnait à manger. Le communisme est venu ensuite puis s'est écroulé en laissant un vide d'où a germé Poutine. Avatar de l'histoire russe, ce nouveau capitaine cherche un modèle et ne le trouve pas car le citoyen russe ordinaire veut que son gouvernant soit à moitié une bête sauvage et à moitié un dieu, ce qui explique pourquoi Gorbatchev a échoué en agissant avec logique et modération, et pourquoi Poutine, qui est au trois quarts un fauve et au quart un démiurge prétentieux, a réussi.
Poutine, qui a accouru avec ses avions et ses troupes, en comptant sur l'absence de réaction des Américains qui ont préféré fermé l'œil et le laisser tenter sa chance, crie tout haut « Sus à Daech », mais ne cherche en fait qu'à soutenir Assad et résoudre le problème de l'Ukraine pour avoir ensuite la posture de l'un des trois modèles cités et refaire de la Russie une grande puissance.
Mais l'on se demande avec quoi ? Le problème de la Russie est celui du sous-développement. Une délégation d'hommes d'affaires, d'intellectuels et de journalistes japonais l'avait visitée après la chute du communisme. Ils ont déclaré, à leur retour, qu'ils croyaient, avant leur aller, que la Russie avait un retard de vingt ans sur le Japon, et qu'ils ont découvert, à leur visite, qu'elle avait un retard ayant la mesure de l'éternité.
Poutine essaye de faire oublier ses fiascos économiques et la corruption généralisée par des victoires politiques et militaires illusoires, vouées à l'échec et ridicules, mais voilà que le citoyen russe ordinaire dit, lorsqu'il qu'il n'est pas soumis au contrôle des services de renseignements de Poutine, qu'il a besoin de faire examiner ses yeux et ses oreilles, parce qu'en Russie on entend des choses et on en voit d'autres, différentes; qu'on ne comprend donc plus rien !
Ajouter la Syrie 
à l'Ukraine

L'influence de toute grande puissance se mesure à trois facteurs, à savoir :
1. La force économique : la Russie est aujourd'hui dans une situation économique extrêmement grave, tant au niveau de la dette qui se chiffre à plusieurs centaines de milliards qu'au niveau de la production, de l'exportation et du chômage. Viennent s'ajouter les sanctions imposées par l'Occident à son économie déjà affaiblie par l'aventure ukrainienne qui a fait empirer les choses.
2. La force de la cohésion sociale : les services de renseignements ont pris aujourd'hui la place du Parti communiste et fonctionnent par la violence et la création de dissensions à la différence du Parti communiste qui recourait à l'arme idéologique pour imposer l'union.
3. La force d'adhésion à un même objectif national : les Russes sont tous unis autour de cet objectif qui est de rétablir l'empire en son état d'antan, mais il s'agit d'un rêve bien plus que d'une réalité.
4. Enfin intervient la force militaire et son pouvoir que Poutine utilise à présent contre le peuple syrien après s'en être servi contre le peuple ukrainien. L'Union soviétique l'avait utilisée en Afghanistan et avait tenté d'y recourir à Aden, à Mascate et en Égypte. Elle n'en avait récolté que défaites succédant à des défaites. La force militaire ne peut jouer un rôle en cas de faiblesse économique et de démantèlement social.
La Russie est bâtie aujourd'hui sur les services de renseignements et les agents de ces services qu'elle a recueillis puisés du KGB afin de les faire diriger ses affaires. Ce ne sont pas eux qui feront ou rétabliront l'État parce qu'ils ne correspondent à aucun des grands modèles historiques que sont Ivan, Pierre et Catherine. Le Parlement russe qui a voté à l'unanimité en faveur de l'intervention de l'aviation russe en Syrie ressemble fort à celui qui, du temps de Saddam Hussein, avait donné son accord, également à l'unanimité, pour l'invasion du Koweït.
La Russie se jette aujourd'hui dans le cratère de la religion. Il est, à ce sujet, étrange que l'Église orthodoxe participe à la campagne menée par Poutine en vue de protéger Assad contre son peuple. Elle retourne à une forme de nationalisme très proche du fanatisme. Poutine fuit vers l'avant et l'Occident l'encourage. Il a, à leurs yeux, écarté l'Iran, mais elle est encore présente. Il l'a peut-être poussée vers la sortie mais ne l'a pas supprimée.
La Russie ne fera que prolonger la guerre civile, intercommunautaire, régionale, internationale. Elle la prolongera beaucoup et la fera aboutir à une fusion entre le peuple syrien et Daech. Rappelons à ce sujet Staline qui avait rouvert les églises lors de l'attaque hitlérienne au cours de la Seconde Guerre mondiale.
En conclusion, la Russie est incapable de réchapper au trou dans lequel l'a jetée l'Amérique. Le régime de Poutine n'en sortira pas indemne tout comme le régime soviétique en Afghanistan. Il y aura encore des bains de sang, des morcèlements et des destructions, et Poutine quittera la région à l'exemple de l'Union soviétique qui a quitté l'Afghanistan. Il quittera ensuite la Russie elle-même... Il tente en Syrie ce que Brejnev a tenté en Afghanistan : l'ajouter à son autre dominion, Cuba. Le résultat a été que l'Afghanistan n'a pas seulement fait chuter Brejnev, mais tout le système. Poutine essaye d'ajouter la Syrie à l'Ukraine...
L'histoire se répète encore et encore !
 


Lu 1237 fois


1.Posté par Plékhanov le 13/10/2015 00:00
...Certainement pas et surtout pas dans un pays où le peuple ne retrouve sa cohésion et sa vraie identité que pour témoigner qu'une « chamelle facilement reconnaissable même par un enfant de très bas âge, est un chameau ».
Il s’agit bien de la Syrie,un pays où vendre la mèche n’est pas un vice ;mordre la main qui le nourrit,pas une ingratitude.c’est quand-même le peuple pour qui le respect de la légitimité et de la légalité n’est pas une vertu.
Par conséquent,comme Poutine,quand ce peuple nie l’évidence,son Niet est sans appel .Il s’agit donc de deux forces antagoniques qui parlent le même langage et sont condamnés à « s’entendre. »Pour un tel peuple,l’intervention de Poutine est une nécessité historique .
C’est ,disons une nécessité comme le fut celle de Hajjaj en Irak.Il y a des têtes rebelles à cueillir et l’ancien agent du KGB en a la vocation et les moyens…

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.









L M M J V S D
1 2 3 4 5 6 7
8 9 10 11 12 13 14
15 16 17 18 19 20 21
22 23 24 25 26 27 28
29 30          


Inscription à la newsletter



services