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Droit des générations futures




Pourquoi la grande muette devrait-elle continuer à se taire ? Le silence imposé aux militaires, arme de destruction massive de l’armée


Par Emile Mayer , Officier supérieur français
Lundi 25 Avril 2011

Pourquoi la grande muette devrait-elle continuer à se taire ? Le silence imposé aux militaires, arme de destruction massive de l’armée
Alors que
certains
analystes s’inquiètent d’un possible enlisement de l’armée française dans différents
terrains extérieurs, les voix les mieux informées manquent dans le débat : celles des militaires. Pourquoi ce silence ?
Les militaires ne peuvent s’exprimer sur l’état réel des opérations, ni faire part de leur opinion quant à la stratégie choisie par la France. Ils seraient
immédiatement sanctionnés s’ils se permettaient quelque commentaire allant à l’encontre de la ligne officielle
décidée par l’Elysée.
Pourquoi imposer ce silence aux
militaires?
Aucune raison, autre qu’une
tradition dépassée ou une frilosité
politique, ne semble justifier une
application aussi stricte de ce principe. Le groupe Orion (l’observatoire
de la défense
de la Fondation Jean-Jaurès)
a organisé
un colloque en mars dernier sur la liberté d’expression des militaires.
De l’avis de tous
les invités
présents, la liberté d’expression des militaires est plus qu’un droit : c’est une nécessité
pour l’institution militaire elle-même.
Le général de Gaulle n’hésitait pas, avec humour, à stigmatiser les faibles productions intellectuelles des militaires : « il est vrai que, parfois, les militaires s’exagérant l’impuissance relative de l’intelligence négligent de s’en servir ».
Aujourd’hui, le véritable problème semble se situer dans l’interdiction d’utiliser librement ces facultés intellectuelles. Nous sommes revenus à l’esprit de Mac Mahon qui affirmait, après la défaite de 1870, « j’efface du tableau d’avancement tout officier dont j’ai lu le nom sur la couverture d’un livre ».
Ces dernières années, plusieurs affaires ont porté l’attention sur la liberté d’expression des militaires: l’enquête administrative et policière menée sur le groupe «Surcouf», auteur d’une tribune critique sur le livre blanc sur la défense de 2008, la procédure disciplinaire intentée contre le général Vincent Desportes pour une analyse divergente de la situation stratégique en Afghanistan, la radiation des cadres du chef d’escadron Jean-Hugues Matelly, pour un article opposé au rapprochement fusionnel de la gendarmerie avec la police. Les discours et les publications sont malmenés, la liberté de pensée menacée : il ne s’agit plus que de ne voir qu’une seule tête, sinon un seul esprit… formaté.
Et pourtant, tous les discours affirment souhaiter le contraire : des colloques professionnels aux analyses juridiques, des rapports officiels aux exposés des motifs des lois portées par les gouvernants eux-mêmes, chacun s’accorde à reconnaître l’utilité voire la nécessité d’une plus grande liberté d’expression des militaires… Mais ces paroles sont sans prise sur les faits. A tel point que l’on se demande pourquoi il serait si dangereux de laisser à des militaires des moyens d’expression possédant un peu de force, alors qu’on leur confie sans sourciller toute la force des armes physiques. C’est peut-être, justement, en raison du poids de l’information et du débat d’idées dans les démocraties modernes que le pouvoir, en France, rechigne à libéraliser le seul domaine où la communication politique peut se déployer sans contradiction interne. Cette absence de contradiction dans le domaine militaire interroge sur la nature de l’exercice du pouvoir dans un régime démocratique et sur l’irrigation dans le débat public et citoyen des questions militaires.
Un devoir de réserve détourné par l’extension démesurée
de la communication politique
Le discours public reste, dans un régime démocratique, l’arme absolue de lutte pour le pouvoir politique. La rhétorique s’est peu à peu étendue à une machinerie complexe, tendant vers l’optimisation d’une stratégie de communication destinée à assurer une large part d’audience médiatique en fonction de cibles dont la perméabilité aura été étudiée préalablement par des sondages d’opinions. Or cette communication politique gouvernementale, malgré toute sa technicité, sa sophistication, ses solutions innovantes telles le storytelling, semble paradoxalement moins bien supporter la contradiction. Telle ou telle «belle histoire» ou succes story encourt le risque de sonner faux à l’oreille du public, si les acteurs de la mise en scène sortent du texte pré-écrit et lancent quelques tirades d’autant plus disharmonieuses qu’elles pourraient paraître fondées, censées, si ce n’est tout simplement vraies. Car, sur le fondement du devoir de réserve, ni la raison ni la vérité ne sont les étalons de l’admissibilité d’un point de vue critique.
Ces contraintes sur la liberté d’expression des militaires ne pèsent pas que sur les sujets de politique politicienne. En réalité, et c’était déjà un non-sens dans le statut général des militaires de 1972, la catégorie des «questions politiques» a, dès l’origine, débordé des questions des partis politiques, pour englober, en toute cohérence étymologique, tout ce qui concerne la vie de la cité. Tout ce qui se dit ou s’écrit sur la cité a un potentiel politique d’autant plus important que sa diffusion et sa médiatisation s’en trouvent aujourd’hui aisément extensible à l’échelle de réseaux sociaux devenus sans limite.
L’importance politique de tout discours public devient ainsi telle que les institutions et les organismes administratifs en viennent naturellement à développer une communication parfaitement alignée sur celle du camp politique qui exerce le pouvoir : évidemment les décisions prises par la majorité aux commandes sont bonnes, évidemment les résultats sont positifs et les mauvaises nouvelles peuvent toujours être «racontées» autrement… Le devoir de réserve s’en trouve à la fois matériellement exacerbé et moralement vidé de sa substance. Car ce devoir de réserve était censé préserver la neutralité du service public et des armées, et leur loyauté. Mais de cette exigence de neutralité au sens d’absence d’allégeance à tel ou tel camp politique, et de loyauté à l’égard des institutions de la République en tant qu’idéal-type, nous sommes passés à l’exact inverse : la soumission obligée à la ligne du parti au pouvoir, le chef des armées étant, qui plus est, le leader de ce camp politique.
Le devoir de réserve des fonctionnaires et militaires perd ainsi sa raison d’être, et les prises de parole sont sanctionnées positivement ou négativement en fonction de leur degré de connivence aux objectifs politiques du moment. Ici un chef d’escadron de gendarmerie sera radié des cadres pour avoir exprimé son désaccord avec un projet de loi soutenu par tel parti, là un commandant de police sera élu conseiller régional sur la liste du même parti puis nommé sous-préfet pour régler a posteriori les questions d’incompatibilité initiales entre sa fonction et son engagement militant. L’idéal de neutralité et d’impartialité céderait progressivement la place à un spoil system – pourtant largement abandonné aux Etats-Unis – entraînant un renouvellement des cadres au gré des alternances électorales et en fonction de leur couleur politique.
On s’éloigne ainsi de la tradition française dans laquelle les institutions étatiques, régaliennes au premier chef, et l’administration en général avaient également une voix propre et neutre dans l’espace public. Si cette voix n’est plus portée par les directions administratives, l’expression des organisations publiques, voire l’expression de l’intérêt général tend à être revendiqué par d’autres. Ainsi, les organisations professionnelles et les syndicats de fonctionnaires, dont ce n’est pourtant pas la fonction première, revendiquent la défense de la justice, de la police au service des citoyens. Cette posture, nécessairement biaisée par l’intégration de préoccupations corporatistes – naturelles dans de telles organisations – assure malgré tout, combinée avec les analyses de tel ou tel magistrat ou policier bloggeur ou écrivain, la pluralité du débat professionnel.
In fine seule l’institution militaire reste totalement exclue de toute participation au débat public, hormis sa quote-part obligée à une communication officielle devenue partisane : les réformes du moment sont excellentes, elles améliorent la performance des armées et elles se déroulent avec succès ! En douterait-on ? L’argument gouvernemental est imparable: aucun militaire ne les critique!
Des institutions militaires dont
la mise à l’écart de la vie
de la cité compromet le lien
avec la nation
La limitation ainsi structurelle de toute critique, de tout contre-argumentaire, de tout terreau pour une antithèse produit, au-delà de la restriction des libertés civiles pour un certain nombre de citoyens – les militaires – divers dommages collatéraux pour les armées et pour la société qu’elles servent. Et, en particulier, elle renforce le désintérêt du public pour les sujets militaires, ce fameux lien « armée nation », dont on se demande sans cesse comment le renforcer, si ce n’est le renouer.
Dans nos démocraties de l’information de masse, le débat sur la marche des affaires de la cité est transposé dans l’arène médiatique : les avis, les opinions, les représentations se forment au gré de la confrontation des idées et des images, garantie par le pluralisme des médias et plus encore par celui des points de vue. On peut le déplorer, il n’en reste pas moins que ce sont les critiques et les polémiques qui attirent la médiatisation et avec elle l’attention publique et, en fin de compte, l’inscription de tel ou tel sujet sur l’agenda politique.
En l’absence de stimuli de cette nature, l’institution militaire se retrouve tout simplement hors du champ des préoccupations ou des intérêts du citoyen, y compris quand l’actualité objective – intervention en Afghanistan ou en Lybie par exemple – pourrait et devrait l’amener au centre de l’attention publique. Les images sont sur tous les écrans, les commentaires sur toutes les radios, dans tous les journaux mais, en l’absence de tout développement d’un esprit critique citoyen sur les questions de défense, qui voit vraiment dans ces interventions militaires l’engagement de l’armée de la République, la force armée de tous les citoyens, le combat des enfants de la cité ?
Les révolutions arabes viennent de rappeler aux héritiers de la Révolution française et des soldats de l’an II, l’intérêt national que peut revêtir le lien entre armée et citoyens. Bien que sous les ordres de dirigeants autocrates, des armées (Tunisie, Egypte) dont les liens avec la population étaient forts, basés entre autres sur la conscription, ont évité un bain de sang, là où d’autres armées (Lybie) ont eu un rôle bien différent. Cela ne préjuge évidemment pas d’une éventuelle aspiration démocratique de telle ou telle armée. Mais cela met en exergue l’efficacité très concrète du lien armée-nation dans une perspective républicaine.
En France, si le lien physique entre population et armées a été rompu par la suspension de la conscription, il est d’autant plus essentiel de donner vie à un lien intellectuel solide. Que savent nos concitoyens de leurs armées, au-delà des images du défilé du 14 juillet et de quelques reportages bien cadrés par les services de communication du ministère de la Défense ? A l’inverse, que pensent les hommes du rang de nos régiments, souvent issus des catégories socioprofessionnelles les plus défavorisées, sans diplôme, recrutés pour des contrats à durée déterminés et destinés à ne pas être renouvelés, de l’attention que leur porte la nation ?
L’information, l’attention des citoyens ne saurait être définitivement acquise par quelques sessions éducatives ou quelques journées pédagogiques les initiant aux sujets de défense. C’est un exercice à renouveler tous les jours au gré des débats d’actualité : c’est là que se forge, sous le poids des faits et des arguments, sous les coups critiques des uns et des autres, la meilleure arme des citoyens : une conviction personnelle éclairée.
En stérilisant tout espoir de débat public, par la promotion, au mieux de la « libre censure » des militaires, au pire de leur soumission intellectuelle courtisane – et versatile – au dogme politique en vogue, les restrictions de la liberté d’expression individuelle et collective des militaires sont les meilleures ennemies de l’armée de la République.


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