Paris, Beyrouth et Ankara ou la loi du mort-kilomètre


Mustapha Elouizi
Jeudi 19 Novembre 2015

Le monde des réseaux sociaux a levé le voile sur des réactions mitigées, suite aux attentats odieux de Paris. Beaucoup d’internautes accusent les solidaires et les médias marocains d’être sélectifs. Les attentats de Beyrouth survenus, vingt-quatre heures auparavant, n’ont pas suscité, à leurs yeux, les mêmes vagues de solidarité et de condamnation. Ils se demandent même si ce ne sont pas les résidus du colonialisme qui motivent cette sélection. Bien évidemment, la majeure partie de ces gens-là n’ont jamais entendu parler de la loi du Mort-kilomètre !
Que dit cette fameuse loi ? Et bien, elle stipule que pour intéresser le lectorat, il vaut mieux parler d’un seul mort à 1 km de chez soi, plutôt que du même mort à 100 km. L’information n’a ainsi d’importance qu’en fonction de sa proximité du lecteur, auditeur ou téléspectateur. Plus l’événement est loin de chez nous, moins il éveille des réactions de notre part. La proximité géographique étant déterminante dans le degré de sensibilité humaine. Mais, la proximité invoquée dans les différents manuels du journalisme s’étend aussi à la proximité affective.
Il est vrai que la gravité du terrorisme ne se mesure pas uniquement par le nombre des morts, ni par le lieu attaqué, mais surtout par la récurrence des attaques et l’existence des menaces potentielles. Dans le monde entier, Paris a fait certes oublier les 44 morts de Beyrouth et mis aux calendes grecques le double attentat à la bombe survenu à Ankara, en Turquie et sa centaine de morts.
Les raisons sont multiples, et non des moindres, le Liban et la Turquie étant situés dans la zone de turbulence régionale la plus chaude au monde. Les deux capitales n’ont pas de poids dans la confection des politiques internationales. Paris reste l’une des capitales internationales les plus en vue, sur le plan symbolique. La France est l’une des puissances internationales ayant pris part à tous les grands événements internationaux (Irak, Mali, Libye, Syrie…). Et enfin, les médias occidentaux n’ayant d’yeux que pour cette chère loi du Mort-kilomètre et celle de la proximité affective.
Ceci dit, pour les médias et internautes marocains : certes, Paris est plus proche de chez nous que Beyrouth et Ankara. Avec presque le double de la distance pour la capitale libanaise et beaucoup plus pour la capitale turque. Et le nombre de morts serait plus grand dans la capitale française. Mais, cela ne constitue pas la seule raison de l’intérêt grandiose consacré à ces actes terroristes ni à cette vague croissante de solidarité. La loi de proximité affective s’impose dans ce cas de figure.
Paris est, en effet, fort présente dans notre médiasphère, sous ses quatre dimensions : logosphère,  graphosphère, vidéosphère  et hypersphère. Historiquement, les relations avec la France remontent à des siècles déjà, y compris la parenthèse colonialiste directe. Paris reste, jusqu’à maintenant, le premier partenaire politique et économique de Rabat. Par ricochet, le volet culturel joue un rôle important à ce niveau, puisque, dominante, la langue française reste l’apanage des sphères économique, scientifique et politique.
Pas besoin de rappeler, dans ce contexte, que ces relations aussi enchevêtrées ont engendré un état des lieux des plus favorables à la proximité affective de tout événement politique ou social. L’Hexagone compte, en effet, près d’un million et demi de personnes d’origine marocaine, la deuxième communauté étrangère en France. Une grande partie d’entre eux disposent même de la double nationalité, soit une double allégeance patriotique, mais aussi une passerelle humaine entre deux cultures et deux patries. L’intérêt pour tout ce qui se passe à Paris ne peut dès lors nous surprendre. Sur la Toile, les MRE s’expriment clairement en tant que français, se sentant attaqués par ces actes odieux.  
La loi du Mort-kilomètre est dans ce sens bannie, par cette proximité affective patente. Qu’on le veuille ou non, le Maghreb et les Magrébins se trouvent au cœur de l’information en France. Les différents médias de la république passent des Maghrébins avec leurs enfants effrayés dans le Stade de France, des Maghrébins témoins des attentats abjects, des Maghrébins journalistes rapportant l’information, des Maghrébins en deuil venus se recueillir auprès des lieux  du drame. Ces médias mettent aussi la lumière sur la mort de deux Marocains, deux Algériens, deux Tunisiens … et beaucoup d’autres sont des blessés. Et enfin, l’assonance maghrébine des noms de certains terroristes. Rien de cela à Beyrouth, où l’on avait pris l’habitude, des années durant, de lire, entendre et voir des explosions et des attentats pareils perpétrés par des factions hostiles et des groupes armés de différentes tendances. Pareille information est désormais banale dans ce pays, ayant vécu la guerre civile jusqu’à la fin des années 80 du siècle précédent, et qui vit encore au rythme d’attentats ponctuels, de part et d’autre. La proximité fait l’info, la promiscuité la tue.


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