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Nouvelles appréciées de la littérature arabe : Hassouna Lmasbahi : Les envies de l’œil (2)


Traduit par Sahraoui Faquihi
Mercredi 27 Août 2014

Nouvelles appréciées de la littérature arabe : Hassouna Lmasbahi : Les envies de l’œil (2)
Il passa de nombreuses nuits à trembloter sous de lourdes couvertures. Après avoir repris sa température normale, et que les fantômes et les hallucinations disparurent, il raconta à sa mère ce que le fils du Kabloti lui dit. Sur le champ, la colère assombrit son visage  et sans prononcer un seul mot, elle s’empara d’un gourdin posé près du mur et quitta la maison, furieuse, proférant injures et menaces. En même temps un tapage éclata dans tout le village. Les chiens aboyèrent, les poules caquetèrent, quelques femmes lancèrent des jurons et des malédictions et des enfants pleurèrent. Enfin la mère revint à la maison les cheveux hirsutes et la bouche écumante de fureur. Après qu’elle eut déposé le gourdin, elle cria : « Il m’a échappé fils du chien !Si je l’avais attrapé, je l’aurais scalpé». Et puis elle ne tarda pas à déverser aussitôt après toute sa colère sur lui en criant :
-« Et toi espèce de gâté, pourquoi permets-tu au fils du Kablotti, cet enfant négligent et affamé, de te qualifier de singe devant tous les gamins du village ? »
   La nuit, son humeur s’adoucit quelque peu et son cœur exprima cette tendresse rare et agréable. Elle s’approcha de lui et lui dit en caressant ses cheveux et son visage : « Tu ne connaîs pas le secret de cette tache bleue dans ton œil gauche? »
--« Non ! »
-« C’est une envie.
-« Une envie ! »
-« Oui mon fils …Un jour,  alors que je te portais dans le ventre,  j’eus envie de manger un morceau de foie rôti …Ton père était absent …Les jours se sont écoulés sans que j’aie ce que je désirais. Et quand tu étais né, le morceau de foie rôti dont j’avais envie, apparaissait déjà sur ton œil».
La nuit se calma autour de lui et des étoiles brillèrent loin dans son imagination. Il aurait aimé aller aux  champs pour se promener dans cette obscurité froide jusqu’au matin, défiant les fantômes de ces Garabas renfrognés avec leurs mule grises, leurs danses malicieuses, leurs couteaux aussi longs qu’un bras, leurs dents saillantes comme celles des cochons.
  Le lendemain, il sortit, affichant son courage, décidé à traîner les fils du Kabloti dans la boue. Il les trouva là, près de l’olivier de Mansour, mobilisés et mélancoliques comme des hiboux avant que la tempête n’éclatât. Aussitôt qu’on le vit, on détourna le visage et on s’éloigna de lui : -« Il vaut mieux pour toi que tu reviennes au giron de ta maman. », lui dit le fils du Kabloti le dos tourné et  légèrement courbé, tout en l’admonestant.
Il revint vaincu à la maison, s’isola dans un coin et rumina tout au long de la journée sa solitude et sa souffrance.
   Puis arriva l’hiver lourd et atroce semblable à un ogre mythologique. Le monde devint sombre et les hautes montagnes voisines de son village furent couvertes de gros nuages opaques et le vent se mit à hurler dans les bois et au fond des vallées. Les chameaux, furieux,  délirèrent et partout on n’entendait que les voix des hommes poursuivant des armées d’étourneaux qui envahirent le ciel et les oliveraies. Leur vache noire mit bas un veau rouge et beau et son père enveloppé dans son burnous cendré lança au milieu de la nuit ces chants qui le remplissaient d’un chagrin doux et le berçaient jusqu’à ce qu’un sommeil profond s’emparât de lui. Mais avec le temps, il sentit que sa solitude devint profonde et longue et qu’elle était dorénavant sans surprise ni plaisir. Il revint alors un jour voir ses amis, la respiration coupée et les pieds touchant à peine le sol. Ils ne détournèrent point le visage,  ni ne le grondèrent comme ils le firent la fois précédente. Il s’enfonça au milieu d’eux dans l’un de ces coins secrets où ils se cachaient pour être à l’abri du vent et des regards des parents. Les pieds écartés devant le feu qu’on avait allumé,  le fils du Kabloti  racontait son conte mystérieux. Pendant ce temps, il cillait des yeux, et ses petites mains gesticulaient dans l’espace comme si elles cherchaient à ajouter à l’histoire d’autres sens. Les autres l’écoutaient avec une grande attention comme les habitants du village suivaient le discours de l’imam le jour du vendredi. 
-« Ecoutez les gars …Savez-vous d’où  viennent les Garabas ? Ils viennent d’un pays où la pluie ne cesse de tomber et les tempêtes de souffler ; un pays sombre comme eux qui souffre d’un hiver continu. Et savez-vous où ils habitent ? Ils habitent dans des trous et des caves comme les loups, les lions et les serpents. Personne n’est capable de se comparer à eux dans la magie et les incantations. J’ai entendu que certains parmi eux sont capables grâce à cela  de transformer un homme ou une femme au cas où on désirerait se venger de lui ou d’elle en chien égaré qui aboie, en chat qui miaule de faim ou en singe qui amuse les gens dans les marchés publics. Des gens de ce genre passent leur temps à parcourir des kilomètres à la recherche des trésors cachés. Quand ils tombent sur quelqu’un dont l’œil en porte l’indice,  on l’ensorcèle. et en un clin d’œil il devient distrait et abasourdi, démuni de raison. A ce moment-là, on lui ordonne de les suivre. Il s’exécute docilement et marche  derrière leurs mulets cendrés  et lents totalement absent d’esprit. Quand on l’emmène loin des siens,  et qu’ils arrivent au sommet de ces hautes montagnes,  ils allument un grand feu autour duquel ils se mettent à tourner en jouant aux tambours et en chantant des cantiques. Ils continuent ainsi jusqu‘à ce qu’ils atteignent cet état où ils se sentent aussi légers qu’une plume et qu’ils soient capables de résoudre des énigmes et de dévoiler les secrets. A ce moment-là, ils entourent leur victime et l’égorgent  comme un mouton. Et à l’instant même où le sang de la victime jaillit, le secret du trésor caché se dévoile».
Référence : 
Ombres tunisiennes de  
Abderrahmane Majid  Arrabii
(A suivre) 


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