Nouvelle expérience plastique : Jbile revisite les vieilles pièces de monnaie marocaine


ABDELLAH CHEIKH
Lundi 14 Septembre 2009

L’Association nationale des plasticiens autodidactes a  organisé récemment au Théâtre municipal de Mohammedia une exposition collective regroupant 46 artistes venus de différentes villes du Maroc. Plusieurs palettes relevant de tendances plastiques aussi variées qu’expressives,  ont fait cohabiter  l’esprit de spontanéité et la passion innée qui animent les artistes exposants, en l’occurrence Mustapha Ghizlani,  Mohammed Fakir, El Yazid Jbile, Hassan  Lakhdar, etc. A cette manifestation culturelle, ont  participé des autodidactes  handicapés physiques, dont les performances rivalisent d’adresse et d’imagination avec les autres peintres. Dans son ensemble et outre ses intentions créatives,  cette exposition selon Abderrahman Benhamza, critique d’art,  cherche à se distinguer sous la houlette de l’Association qui l’organise, par la variété substantielle des styles présentés, avec l’espoir de se faire mieux voir et entendre dans le concert général des célébrations et festivals qui ont cours tout le long de l’année.
Tout le monde connaît  Jbile  et son obstination à saisir  les formes en relief. Il a peint tant de toiles afin que son art puisse conduire le regardant au cœur de son passé, au cœur de ces éléments constituant la véritable culture populaire et savante. Les énergies  de la toile- corps, les traces et les effets, les  intrigues et les mystères qui les alimentent. Jbile a choisi la plus moderne des techniques picturales,  l’approche matiériste à l’état brut.
L’artiste  interprète à sa manière  les vieilles pièces de monnaie marocaine, en exploitant un langage plastique brut et matiériste : relief, opacité, texture recherchée, lumière abondante, alchimie chromatique,   touches  tactiles, arrière-fond  pour mettre en avant le motif graphique de la monnaie, la mise en abîme de la rondeur  relative  à la forme circulaire, le rythme visuel   qui transcende la platitude de la toile dont le support nous fait penser à la peau voire  au parchemin, aspect doré  faisant allusion au passé glorifiant. Sur sa  nouvelle démarche  plastique, Abderrahman Benhamza précise : «  Jbile en est conscient et  qui, en choisissant ce thème, donne l’impression de « frapper la monnaie » lui aussi, ressuscitant au gré des dates des tranches de notre histoire passée (années vingt, années trente, quarante du siècle dernier notamment). Pièces dont il réinvente l’éclat argenté ou doré, veillant à leur garder leur aspect d’antan, et tout ce que le temps et l’usure y ont mis de patiné et de vert-de-grisé plastiques. Liées au patrimoine national, de telles pièces qui n’ont plus cours que chez les collectionneurs tant soit peu numismates, parlent à la mémoire un langage nostalgique de valeurs révolues, désormais irremplaçables. Mais, telles quelles aussi, elles pérennisent tout bien considéré le rayonnement dynastique des souverains alaouites.
Les intentions plastiques que Jbile a mises dans son travail ont ainsi quelque chose d’affectif, d’honorable. Le mobile artistique suscite ici un discours de mise en valeur tout à fait citoyen. Les pièces de Jbile sont une véritable apologie. Surtout que le thème traité, malgré son caractère officiel, est rarement visité par les créateurs. A cet effet, l’artiste travaille sur de grands formats, fidélisant une conception épigraphique et iconographique dont l’impact va droit au cœur. ». Et d’ajouter : « C’est d’autre part une approche documentaire  faite de manière appliquée. Cependant, Jbile ne s’est pas départi de sa technique matiériste tout imaginative, de peintre autodidacte. Il emploie toujours les couleurs qui sont les siennes, avec une tendance à la noirceur ou à la pâleur, une matière minérale dure mais légère; il traite la surface de la toile selon des procédés modernes : lissage, frottage, brûlures, etc.
Sa sensibilité aux détails géométriques et aux formes légendées assure un fini agréable à l’œil. D’ailleurs toutes ses œuvres ont toujours été aérées et sa démarche déborde aisément la connotation naïve qu’on a voulu lui attribuer au départ, pour verser dans une véritable quête du sens non exempte d’une inquiétude pittoresque. En optant pour un créneau profondément inscrit dans l’histoire, Jbile donne ainsi à son art un coup de nerf vigoureux, qui réservera sans doute bien des surprises. ».
Le travail de Jbile  ne s’élabore pas à partir d’une forme précise, mais à partir de signes graphiques. Il se laisse aller au gré de la propre logique de la peinture connotative et sa faculté imaginative. Lorsqu’il engage son travail, il n’a pas de procédés préétablis. Il se laisse surprendre par sa pratique et les surprises qu’il provoque. Le signe  en relief  est un format qu’il affectionne particulièrement. L’inspiration des signes  monétaires reflète une époque, un lieu historique et illustre si bien un devoir de mémoire collective. Il se fait miroir pour capter les reflets de notre ère.
Les  traces qui habitent  ses œuvres renvoient  tel un miroir aux  images  reconnaissables et mémorisables de l’artiste, passionné par la recherche à travers ses propres racines, qui révèle aussi un côté migrateur, empreint d’une mystérieuse alchimie de l’imaginaire, c’est comme un appel de mémoire. Il y a tant de recherche à travers des symboles, des signes où le  contraste  des couleurs reste dominant et soulignant  la portée symbolique des traces en question.
Les pinceaux de Jbile  rendent avec une égale extase, non seulement  les effets de la matière mixte   mais aussi la sérénité des couleurs dégradées où l’éclat et la richesse des lumières, témoignent d’une technique magistrale sur le formidable pouvoir des couleurs.
On sent aussi le métissage de ces œuvres aussi originales les unes que les autres, une rhétorique   qui délivre les clés pour une meilleure assimilation de certains tracés graphiques, illustrés des signes  monétaires, c’est l’accès à la pratique créative de l’artiste qui nous invite à contribuer à la diffusion d’un savoir technique  rare et si précieusement élaboré par un travail acharné et obstiné même dans l’inachèvement….C’est une sorte d’exposé historique et éloquent destiné à cerner la spécificité  de l’art monétaire, qui réunit aussi bien le graphisme, le référent historique que le  fond esthétique  qui  met en toile la matière la plus approfondie de toutes les œuvres de  Jbile  dont le langage iconique   évoque mystères, nostalgies et espoirs, aussi bien que les circonstances exceptionnelles qui ont forgé le destin de l'artiste.
Depuis 2001, jusqu’à sa dernière exposition individuelle cette année en mars dernier à Casa Del Arte, reprise en mai à Churchill Club à Casablanca, Jbile El Yazid a sensiblement évolué dans sa recherche plastique, surtout au niveau thématique.  Il  organisera très bientôt à Rabat   un évènement pictural plus marquant  de la rentrée: une exposition sous le thème « A  la mémoire des monnaies marocaines » qui révélera d'une manière plus crue de lumière et de couleurs  et matières  insolites ce que le langage conventionnel  ne dit pas... 


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