Moulay Ahmed Iraqi, initiateur de la COP7 "Il est temps d’agir autrement"


Marrakech s’apprête à accueillir, pour la deuxième fois, la «Conférence des parties sur le changement climatique» (CP ou COP). Cet organe chargé de superviser la «Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique» se réunit annuellement depuis 1995. Jusqu’à présent, il a produit deux documents l’un intitulé en 1997 «Protocole
de Kyoto» et l’autre en 2015 «Accord de Paris». Le premier a dû être classé faute de signatures et de ratifications suffisantes en 2009 à Copenhague. Quant au second, il a préludé à l’établissement d’un nouveau protocole
de mise en examen des dispositions dudit accord. Entre-temps, le spectre du réchauffement climatique se précise de manière plus angoissante
que jamais. De ce fait, et parce que le Maroc accueille pour la deuxième fois ladite COP, nous avons interrogé le professeur Iraqi sur des questions guidées par notre devoir d’information sur la pertinence d’un
investissement dans une entreprise jusqu’à présent défaillante
et préjudiciable pour l’humanité à terme et pour les pays
économiquement faibles dans l’immédiat.
Pour rappel, le professeur Iraqi a été l’initiateur, en tant que
secrétaire d’Etat à l’Environnement du gouvernement d’alternance,
de l’organisation, en 2001, de la COP7 à Marrakech.

Propos recueillis par H.T
Mardi 12 Avril 2016

Libé : Que signifie l’organisation à Marrakech et en l’espace de 15 ans de deux sessions de la «Conférence des parties sur le changement climatique»?
Moulay Ahmed Iraqi  : C’est une preuve de l’engagement pacifique et civilisationnel du Maroc dans la recherche de solutions réalistes et réalisables à l’échelon planétaire mais aussi national à la menace naturelle des conditions de vie des plus vulnérables dans l’immédiat et de tous à moyen terme.
En quoi la COP représente-t-elle le cadre adéquat d’une telle mission ?
Telle qu’elle se présente, la COP a l’avantage de réunir des décideurs du monde entier pour traiter d’une vraie préoccupation commune. La logique qui prévaut est certes plus géostratégique et de plus en plus financière qu’économique ou politique, mais qui montre progressivement ses limites. C’est la raison pour laquelle il convient de l’assimiler non pas au cadre adéquat de la réalisation d’une mission civlisationnelle mais de la révélation de la problématique.
Quels sont les atouts de la COP ?
La COP est l’organe suprême chargé de la supervision de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC) adoptée en 1992 lors du «Sommet de la terre» et entrée en vigueur après avoir été signée par 170 pays sur 182 le 21 mars 1994. Vers la moitié de l’année 1999, 175 Etats avaient ratifié ou adhéré à ladite CCNUCC de sorte qu’on puisse qualifier la COP par son fondement institutionnel solide même s’il est fragilisé par des attitudes inhérentes aux intérêts des pays riches et notamment les USA (pour faire payer la facture des charges à assumer aux plus vulnérables).
… Mais quelles sont alors ses faiblesses ?
Les faiblesses les plus explicites de la COP sont communes avec d’autres instruments de la gouvernance actuelle du monde. Elles tiennent schématiquement à la bêtise humaine traditionnelle majorée par des engagements vertueux  et des promesses entretenues par la spirale ascendante des innovations techniques de la société de consommation. En attendant l’apocalypse du réchauffement climatique qui se précise, l’espoir d’un sursaut de lucidité tient paradoxalement à l’enfoncement dans la précarité sociale et environnementale des plus vulnérables. C’est à cette partie des populations d’ailleurs majoritaire qu’il appartient de réduire les faiblesses liées de la COP, il faut le redire encore une fois à la bêtise humaine de partout et de toujours. Cette bêtise peut être schématiquement dite en termes soit de tyrannie soit du leurre des reports réciproques des responsabilités.
Mais encore…
Revenons à la COP. C’est comme il a été dit l’organe suprême de supervision de la CCNUCC qui est issue deux ans avant même son entrée en vigueur d’un sommet mondial qualifié de tournant historique. A en juger par la suite des évènements, c’est vrai parce que la bêtise humaine a acquis paradoxalement comme jamais auparavant plus de titres de noblesse et d’embellissement, trois rappels étant à ce propos précieux dans le but d’établissement de la relation de cause à effet, ceux-ci sont présentés dans un ordre chronologique inverse. Ils portent sur :
- Premièrement : la «stratégie adaptative de l’environnement au développement» de 1992 du Sommet de la Terre de Rio. Cette stratégie retenue à l’unanimité en même temps que la validation du principe de coopération mondiale pour la protection de l’environnement en contrepartie de la satisfaction transgénérationnelle et transfrontalière des besoins est tout simplement par son intitulé antinomique de la raison.
Car elle sous-entend comme le pensait R. Descartes que «l’homme est maître et possesseur de la nature». Mais même si ce grand philosophe a contribué à la promotion de la recherche scientifique et au progrès du savoir, il a été aussi l’un des instigateurs de la perversion du savoir-être. C’est ce qui est confirmé dans le deuxième rappel.
-Deuxièmement : La confirmation de la responsabilité de l’homme dans le réchauffement climatique est signée par le «Groupe intergouvernemental des experts international sur l’évolution du climat» (GIEC) formé en 1990. Si cela a eu le mérite de conduire à des engagements logiques, il a surtout révélé la réalité de l’appartenance de l’homme à la nature et en principe de la nécessité de s’adapter à son offre de vie. Or, c’est exactement l’inverse que l’intitulé de la stratégie du Sommet de la Terre indique (adaptation de la nature à la volonté humaine et à la technologie).
- Troisièmement : Les deux rappels précédents ne sont en fait que l’illustration de leur fondement sur deux conclusions du rapport «Notre avenir demain» publié en 1987 et connu sous le nom du rapport de Madame Harlem Brundtland. Dans ce rapport, on retrouve une définition mondiale consensuelle et surtout une recommandation concrète.
La définition porte sur le développement durable (DD) qui est assimilé au «développement permettant la satisfaction des besoins actuels sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs». Les termes sont clairement ceux :
- d’une part, d’un objectif vertueux, mais ni quantifiable ni par conséquent réalisable, ni mesurable, et d’un moyen, le développement. 
- et d’autre part, le développement qui accompagne naturellement le changement global de l’environnement (CGE) et qui relève dans la promotion des conditions de vie de tâches et de responsabilités précises. 
La recommandation se rapporte à la pollution des pauvres pour dire de la relance de la croissance et de l’activité commerciale le moyen de lutter contre cette pollution.
Mais lorsque ce troisième rappel est soumis à la réflexion de n’importe quelle personne consciente, elle répondrait vraisemblablement par un sourire moqueur, et ce pour une double raison. D’une part, la part des pauvres dans les émissions de gaz à effet de serre ne dépasse 1% du volume total, d’autre part, en fondant la lutte contre la pauvreté sur la relance économique et commerciale, cela ne ferait qu’augmenter le gaspillage et le pillage des ressources des pays pauvres, et partant la dégradation de l’environnement.
Comment expliquer en ces temps de sacralisation de la modernité et de la société du savoir ce qui ressemblait jadis à un délire structuré ?
Dans la mesure où le raisonnement s’appuie sur des acquis scientifiques indéniables mais en fonction d’une vue de l’esprit généreuse mais dangereuse, c’est en effet d’un délire structuré qu’il s’agit ! L’époque actuelle est à l’évidence l’époque d’une société de savoir truqué. Car c’est la savoir plus de consommation que de la production de valeurs ajoutées notamment dans les pays vulnérables. C’est totalement régressif mais conforme avec les désirs et les prétentions. 
C’est ce qui est illustré par la validation d’un concept jusqu’à présent d’autant plus attractif que son projet est fictif.
Mais comment un concept d’autant plus attractif que son projet est fictif peut-il se maintenir aussi longtemps (24 ans) ?
La stratégie du Sommet de la Terre de Rio a été en fait déclinée en deux sous-stratégies. L’une pour les pauvres intitulée «Développement- environnement» et l’autre pour les riches dénommée «Environnement-développement». Les deux convergent en la motivation des uns à préserver les ressources en contrepartie d’une aide et des autres en contrepartie de la préservation des richesses naturelles. Mais si la motivation a fonctionné dans l’immédiat, la mobilisation a pris la suite en un mot le chemin d’une duperie mutuelle. Chacun s’attendant aux sacrifices de l’autre. C’est ce qui se solde par des négociations d’autant plus coûteuses et nombreuses qu’elles sont fondées non seulement sur un concept et une stratégie erronée mais aussi et surtout l’entretien d’un débat guidé par le virtuel de chacun.
Comment justifier l’investissement d’un pays pauvre et qui fait partie d’un ordre mondial qui lui est défavorable dans l’organisation pour la deuxième fois en quinze ans d’un évènement qui, selon les propos précédents, aggrave son cas, le Maroc en l’occurrence ?
Si le Maroc maintient sa stratégie de séductions de l’ordre mondial établi, il ne fera pas qu’à continuer à s’investir à fond perdu dans une démarche erronée. Même si dans l’immédiat il récoltera quelques miettes sous forme notamment de flatterie.
Si en revanche ce pays incarne, comme il en est parfaitement capable, une alternative civilisationnelle, il gagnera en prestige tout en se donnant les moyens de la promotion de son environnement naturel et social.
Mais comment s’y prendre à quelques mois de l’organisation de la COP22 dans l’élan des considérations déroutantes relevées dans les réponses précédentes ?
En s’inscrivant dans une démarche contraignante dans l’immédiat mais incontournable pour traiter de questions relatives à l’environnement naturel et social, le Maroc réalisera l’invraisemblable en apportant sa contribution à la sauvegarde des capacités futures à satisfaire leurs besoins. 
En quoi consiste alors la préparation en quelques mois de la COP22 par le Maroc ?
Sur le plan matériel, l’investissement financier prévu est suffisant. Sur le plan moral, tout, en revanche, doit changer. 
On retiendra à propos trois chantiers. 
Le premier porte sur l’éthique de l’environnement qui ne doit plus rester réactif (qui cherche des principes une fois des dégâts produits) mais proactif (c’est-à-dire anticipatif sur les torts que l’on continue à apporter à son espace de vie). Car c’est l’éthique d’un changement global permanent dont la seule constante est son caractère évolutif et adaptatif plus ou moins prévisible.
Le deuxième chantier se déduit des atouts du Maroc en tant que  carrefour géographique enrichi par la réalité d’une authentique expertise nationale souvent méconnue et non pas ignorée. C’est le chantier d’un observatoire régional de l’environnement en mesure dans le cadre de ladite coopération mondiale de fournir à l’Afrique et aux pays arabes au moins une information en temps réel objective et fiable sur la problématique à résoudre.
Le troisième chantier se déduit des leçons apportées par la non-application du Protocole de Kyoto en même temps que la poursuite du réchauffement climatique, il importe d’évoluer aujourd’hui de la négociation à la concertation sur un dossier où on ne peut plus se partager que le souci de notre survie et de celles des générations futures.
Quel est le mot clef de la réussite de la COP22 et dans cet élan de la fin de cet entretien qui doit se poursuivre dans le cadre d’un dialogue plus large ?
Le mot clef de la réussite de la COP22 se résume en le partage authentique de la lucidité et de réalisme exigés dans la réalisation responsable de la paix, de la sécurité et de la prospérité. Celle-ci, il faut le souligner, n’est durable que dans la mesure où elle est spatialement et socialement équitable. 
Quant au mot de la fin qui est en même temps le mot de début de l’espoir, il se résume en une phrase : le meilleur demeure possible sous réserve bien entendu d’un sursaut de lucidité et de sagesse. Le Maroc en a l’habitude. Quoi qu’il en soit, il faut agir autrement.
 


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