Bayân et figures de style



Manuel Vidal : Provinces sahariennes et Iles Canaries appelées à devenir le Miami de l’Atlantique


Entretien réalisé par Ahmadou El-Katab
Mercredi 8 Novembre 2017

 Manuel Vidal, chercheur à l’Université de Las Palmas aux Iles Canaries et  spécialiste du dossier du Sahara, nous relate les dommages subis par les Iles Canaries suite aux attaques terroristes perpétrées en toute impunité par le Front Polisario  contre des citoyens espagnols.


Libé : Pourquoi avez-vous choisi d’étudier cet aspect, en particulier des forfaitures commises par le Polisario que furent les attaques qu’il a perpétrées en toute impunité dans les Iles Canaries?
Manuel Vidal : Après le départ de l’Espagne du Sahara, les Iles Canaries sont restées à découvert, et ce malgré le fait qu’elles pouvaient compter sur un pays ami comme le Maroc. La région du Sahara assignée à la Mauritanie par l’accord tripartite de Madrid en 1975 était un foyer pour l’insurrection du Polisario, qui  l’a amené ensuite à perpétrer des actes terroristes maritimes contre les navires espagnols. Malheureusement, cet aspect de l’historiographie a été négligé pendant longtemps. Je crois qu’il est nécessaire de le mettre en lumière pour dévoiler non  seulement le vrai visage du Polisario, entaché de meurtres et d’enlèvements, mais aussi pour éclairer l’opinion publique et les habitants des Iles Canaries qui ont été induits en erreur durant plusieurs années, sur les conséquences de tout soutien au Front Polisario.

Selon vous, comment la situation est-elle perçue en Espagne?
Les institutions officielles de l’Espagne suivent la politique de l’autruche et semblent se contenter d’enfouir la tête dans le sable pour oublier. Il y a un manque d’audace de la part de l’Espagne pour se parer d’une attitude plus active, après tant d’années d’improvisation et tenter de sortir du conflit avec le moins de dégâts possibles. Il est également vrai que, aujourd'hui, les relations avec le Maroc sont excellentes et que l’opinion publique semble se réveiller. Au moins, les citoyens sont conscients de l’erreur  qu’ils ont commise en soutenant le Polisario. Mais il ne faut pas oublier le harcèlement continu  pratiqué par des nostalgiques d’une certaine mouvance de  gauche, qui sont toujours présents  dans les médias, les universités et dans d’autres milieux,  et qui essaient de véhiculer le même discours d’il y a quarante ans.

A quoi imputez-vous  ce flou de l’Espagne sur la question du Sahara ?
Les sentiments et les stéréotypes ont tendance à avoir la vie longue comme on dit et ont tendance également à l’emporter sur la  raison et l’objectivité. Je pense que l’Espagne a inconsciemment alimenté, pendant des années, un sentiment de rivalité et d’incompréhension avec le Maroc. Cela est advenu juste au moment où l’Espagne allait abandonner sa colonie du Sahara. Cette animosité envers le Maroc a été  surtout notée parmi certains militaires qui ont vécu l’abandon du Sahara comme un déshonneur. Ces sentiments furent même transmis à la population sahraouie, à laquelle on a inculqué l’idée de voir le Maroc comme ennemi.

Comment voyez-vous le dénouement de cette situation ?
Je pense que les Iles Canaries ont la chance d’avoir en face d’elles un partenaire qui envisage un avenir commun, qui a pris le chemin de la démocratie et des droits de l’Homme et qui protège la zone située face à l’instabilité de la région sahélienne. En ce qui concerne le   Sahara, je crois que les choses vont beaucoup  mieux qu’il y a 40 ans, et j’espère que cette tendance positive se poursuivra grâce au développement social et économique de la région avec, en toile de fond, l’autonomie politique. Je crois que les provinces sahariennes seront une grande région dans un pays fort. C’est la leçon que nous devrons retenir de l’Histoire des grandes nations comme les Etats-Unis, créés par des hommes qui voulaient être libres et qui partageaient un objectif commun et non par des tribus dont chacune voulait imposer sa suprématie sur les autres.

Selon vous, comment les Iles Canaries pourraient-elles s’intégrer dans la région ?
Je pense qu’il n’y a aucune région au Maroc comme celle qui englobe les provinces du Sud qui ont le privilège d’avoir comme voisins les Iles Canaries qui sont une grande puissance dans les domaines touristique, portuaire et logistique dans la région. Les Iles Canaries ont à leur tour la chance d’avoir en face d’elles  une région émergente du Maroc, avec des ressources naturelles de toutes sortes, une dynamique de croissance importante et un  grand potentiel pour une vraie coopération.
Les Iles Canaries et les provinces du Sud, semblent aujourd'hui ne pas tirer profit de la situation qui se présente. Une collaboration mutuelle ne serait que bénéfique pour les deux parties, surtout en ce moment où  le Maroc est en train de déployer de grands efforts en faveur de l’Afrique. Les Îles Canaries et le Sud du Maroc peuvent être combinés pour devenir un autre Miami dans cette région de l’Atlantique.

Comment vous est  venue l’idée de travailler sur la côte du Sahara ?
Durant les années 1980, je travaillais comme journaliste. A un certain moment, j’ai commencé à me poser des questions sur cette relation légendaire entre les Canaries et la côte voisine, surtout entre les pêcheurs des Iles Canaries et les Imraguens,  qui s’activaient principalement sur les côtes mauritaniennes.  Dès lors, j’ai pu réaliser une enquête journalistique, consacrée à la symbiose entre les pêcheurs des deux côtes. Cette anquête m’a permis de remporter le Prix national du journalisme en Espagne en 1984. J’ai pu ensuite,  avoir l’occasion de m’approcher de certains épisodes moins agréables et qui concernent le terrorisme pratiqué par le Polisario contre ces mêmes pêcheurs.  J’ai interviewé de nombreuses victimes et j’étais même présent à Tindouf quand le Polisario avait remis les membres  de l’équipage du chalutier « El Junquito» qu’il avait enlevés aux autorités espagnoles. Là-bas, j’ai  rencontré plusieurs membre du Polisario de l’intérieur  qui avaient fui les camps de Tindouf après  l’intifada de 88. Ainsi, au fil du temps, je suis arrivé à monter plusieurs pièces du puzzle, même s’il m’en manque encore quelques-unes (sourires).  Ce type de recherche requiert beaucoup d’abnégation et de patience, et je suis certain que les lecteurs apprécieront ce genre d’efforts. Je pense qu’il est impératif dans ce genre de cas, de ne pas nous contenter d’une vision simpliste de l’Histoire ou de faits historiques conçus dans les officines de propagande.


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