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Quand vient l'automne, elle vend des centaines de kilogrammes de poivrons rouges au marché de Zeleni Venac, l'un des principaux de Belgrade.
Pas de banquet chez les Slaves des Balkans sans ajvar (prononcer "ail-var"), parfois "marketé" à l'étranger comme le "caviar des Balkans". Il accompagne indifféremment les "cevapici" (sortes de boulettes de viande) et le fromage, ou s'étale sur du pain.
Sa longue préparation relève de la tradition familiale ou villageoise, au même titre en Serbie que la "Slava", cette fête annuelle que chaque famille organise. Avant de se mettre à l'ouvrage, les voisins se réunissent souvent pour siroter un verre de rakija, l'eau de vie balkanique.
Le poivron est noirci sur du feu de bois, pelé, émincé ou haché, de nouveau cuit sur un feu vif et assaisonné d'huile de tournesol. Certains y ajouteront du sel, du sucre ou du vinaigre (en Serbie), de l'aubergine (en Macédoine), de l'ail (en Bosnie). C'est là que débute la zizanie balkanique sur le "véritable ajvar", l'unique, l'authentique, avec ses débats que seuls les profanes jugeront picrocholins.
"Il y a deux catégories de gens. Ceux qui ont goûté l'ajvar et ceux qui ne sont encore jamais allés en Serbie", fanfaronnait en septembre l'office du tourisme de ce pays, où le fief de l'ajvar est la région de Leskovac (sud-est).
Le slogan fait s'étrangler Ivo Lukenda, 65 ans: "Nous considérons que notre produit est le meilleur", se rengorge ce producteur de Ljetovik, dans le centre de la Bosnie, en faisant griller ses poivrons, auquel il adjoindra de l'ail au final.
Les Macédoniens qui, eux, se targuent d'être les plus fins cuistots des Balkans, ne l'entendront pas non plus de cette oreille quand ils auront ajouté leur aubergine à la purée de poivrons.
Et un des principaux producteurs d'ajvar destiné à la grande distribution est la compagnie croate Podravka.
Tous finalement ne sont tombés d'accord que pour s'offusquer quand un homme d'affaires de Slovénie, l'ex-République yougoslave alpine, a tenté dans les années 1990 de faire de l'ajvar une marque "déposée".
Longtemps, l'ajvar n'a pas été affaire de commerce, juste une occasion de réunion familiale ou amicale.
"Il me semble que l'ajvar et les poivrons réunissent les gens", dit Stevica Markovic, 44 ans, dans son village proche de Leskovac, en remplissant avec son épouse Suncica les bocaux avant d'en mélanger énergiquement le contenu. Dans cette région pauvre, le condiment apparaît désormais comme une source de revenu complémentaire: de la cuisine de la famille Markovic sortent chaque année entre 2.500 et 3.000 bocaux qui seront vendus entre 2,5 et 4,5 euros chacun sur les marchés.
"La vérité, c'est que tout le raffut autour de l'ajvar a commencé avec la vogue du marketing gastronomique" dans les pays de l'ex-Yougoslavie, explique Tamara Ognjevic, spécialiste du patrimoine gastronomique et responsable du centre culturel Artis de Belgrade. Ce qui était du domaine privé "est devenu intéressant pour l'industrie de l'alimentation". A partir de ce moment-là, "tout le monde, les Macédoniens, les Bulgares, les Serbes, a soudain commencé à revendiquer" l'ajvar.
Selon cette spécialiste, l'ajvar est sans doute l'héritage de la présence ottomane dans la région, qui a duré un demi-millénaire.
Le nom, qui serait apparu au XIXème siècle dans un restaurant de Belgrade, semble l'accréditer. Il pourrait être une dérivation d'"Havyar", "caviar" en turc, suppose Tamara Ognjevic.