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Livre: Théocratie populiste

L’alternance, une transition démocratique?


Mustapha Hogga
Vendredi 22 Août 2014

Livre: Théocratie populiste
Cette bureaucratie makhzénienne n’a aucun rapport avec les Banu Hāshim ou Quraysh. Elle n’est pas davantage réformatrice; elle a ses intérêts propres  qui sont rarement ceux du Maroc. Elle empêche les élites qui veulent travailler pour le pays de se manifester, de parler, de penser, d’agir. 
Pour le Makhzen, le Maroc n’a pas besoin de ses intellectuels mais de leur silence. Ne pas voir cette structure tentaculaire qui enserre la monarchie dans un carcan conservateur et l’empêche de faire agir sa légitimité pour une meilleure distribution des richesses, c’est faire preuve de cécité. Questions qui n’ont rien d’académique : est-ce que le Makhzen ne fait que constituer le pouvoir du Roi ou celui-ci n’est-il pas utilisé par le Makhzen pour gouverner? Qui l’emporte finalement l’homme ou la structure? Questions bien pertinentes, vu la culture machiavélienne qui imprègne le Makhzen. Ce qui permet de dire du Makhzen qu’il use de machiavélisme, c’est le fait que cette doctrine ne se manifeste, comme système de gouvernement des citoyens, que dans les autocraties. 
Or, le Makhzen ne peut intervenir que dans un sens autocratique. A défaut d’être constitués, les pouvoirs sont laissés à l’abandon, susceptibles d’être utilisés, en leur confusion redoutable, par toute personne influente du Makhzen et selon des intérêts qui n’ont aucune légitimité. La distinction technique ou administrative et non politique des trois pouvoirs rend le Makhzen inquiétant : si un pouvoir était arrêté par un autre, il y aurait des garanties mais le fait est que rien ne vient s’interposer entre les pouvoirs, de sorte qu’un magistrat peut s’entendre avec un officier de police et un député du peuple pour écraser un citoyen, parce que ces personnes ont l’habitude de coopérer selon leurs intérêts et non se limiter selon la protection des droits de l’individu. 
Dans un système de non-séparation des pouvoirs, le juge cumule les trois pouvoirs, le policier cumule les trois pouvoirs, et ainsi de suite, le député, les fonctionnaires, etc. Prolongement du Souverain, le Makhzen n’est responsable que devant lui. On n’a pas renforcé la sécurité de l’Etat et du citoyen par une responsabilité du Makhzen devant le Parlement. Mais cette disposition ne peut avoir d’effet que si le Parlement échappe à l’influence du Makhzen, ce qui est loin d’être le cas. En amont, le lien entre le Makhzen et tous les partis est infiniment plus fort que celui qui les lie à leurs électeurs. 
Quant à leur structure organisationnelle, elle n’échappe pas à cette réalité. Pour Locke, l’Etat ne doit pas influencer les citoyens, le Makhzen, lui, organise la vie politique comme il l’entend. Or, l’Etat doit s’abstenir de toute influence sur les partis politiques y compris au moyen de la création de nouvelles forces partisanes : son rôle n’est pas de produire des partis. Effet de la monarchie, le Makhzen a cependant une autonomie indiscutable. On peut dès lors distinguer Makhzen et monarchie et ne pas postuler leur solidarité comme allant de soi. Makhzen et monarchie ne sont pas synonymes; ils doivent être découplés dans toute approche du régime marocain. Même dans le cas du règne de Hassan II, on ne peut supposer une identité absolue entre monarchie et Makhzen, puisque celui-ci se révéla autonome à maintes reprises. 
Et lorsqu’il y avait parfaite identité de vues, les conséquences sur les deux partenaires n’étaient pas les mêmes. Lorsque le Souverain s’en remettait aveuglément au Makhzen et s’alignait sur ses positions apparemment subtiles, mais en fait tout simplement immobilistes, il en résultait des turbulences bien embarrassantes pour le Monarque mais qui renforçaient le pouvoir du Makhzen. Ceux qui considèrent qu’il y a une parfaite identité entre le Roi et le Makhzen ne se trompent pas beaucoup ; ils pensent à la relation étroite qui existe entre les deux, mais ils ne sont pas dans le vrai pour autant. 
En fait, le Makhzen a une représentation des attentes du Souverain et veut les satisfaire : de même que le Makhzen a une idée de ce que doit faire le Roi. Celui-ci a une certaine latitude qu’il lui appartient de gérer. On sait que le Makhzen n’est disposé à obéir et à coopérer que si la ligne politique du Roi demeure en harmonie avec un pouvoir fort : le Monarque ne peut s’éloigner des valeurs et des pratiques du Makhzen ; il doit veiller au maintien d’une couche limite confortable avec lui et les classes sociales qu’il représente et qui le soutiennent. 
O. Seghrouchni perçoit le Makhzen comme devant être un modèle de gouvernement parmi d’autres, la monarchie devant permettre d’autres modèles : « La difficulté que nous vivons aujourd’hui vient, en partie, du fait qu’il y a une confusion entre la monarchie et le Makhzen (…) pourtant, les deux entités doivent être différenciées. La monarchie doit jouer le rôle d’une structure d’accueil qui assure la continuité de l’Etat et qui se porte garante du respect des bonnes règles de concurrence entre différents modèles. Le Makhzen étant un modèle parmi d’autres. La monarchie doit se détacher du Makhzen pour être en mesure d’accueillir d’autres modèles que celui-ci. 
Les Marocains, dans le cadre d’élections régulières, se devront alors de retenir un modèle parmi d’autres. (…) Etre une monarchie exécutive doit signifier être en mesure de garantir à la fois l’indépendance de la justice et celle de la presse. Ces deux corps sont ses alliés pour être en mesure de se distinguer du Makhzen. Elle doit les aider à sortir de l’emprise de celui-ci». Ceux qui maintiennent les rouages du Makhzen ont tout intérêt à ce que la distribution des richesses se fasse par une seule personne, sans que ni la loi, ni le Parlement n’y président. La concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’une seule personne est aussi une aubaine pour les ambitieux : il suffit de la persuader qu’elle a tout à craindre du peuple pour lui faire couvrir tous les excès et tolérer tous les enrichissements frauduleux possibles. Le pouvoir ne peut être exercé sans responsabilité. Si la Constitution déclare le Souverain irresponsable, c’est sans doute parce qu’il représente la nation. La plupart diraient que c’est en raison de sa filiation prophétique, mais nul n’accepterait une justification par la concentration des trois pouvoirs et donc celle-ci doit, à défaut d’être scindée formellement, demeurer très théorique; des fonctionnaires, des députés, des ministres qui transgressent la loi ne peuvent se prévaloir d’aucune sacralité et doivent répondre de leurs actes. 
Certes, la parole du Roi et ses décisions ont valeur de loi, et il semble logique que la source de la loi organique continue à être la source de la loi tout court, mais cela soulève plusieurs questions : ces prérogatives peuvent-elles être une source générale de législation, embrassant tous les domaines ? Dans l’affirmative, à quoi donc servirait le Parlement ? Ces prérogatives ne doivent-elles pas être plutôt une source de bienfait pour toute une collectivité ? Et ne doit-on pas leur assigner ce but uniquement ? 
Le Makhzen affirme que seule sa pratique est garante de hiba (déférence) pour le Souverain et que la séparation effective des pouvoirs se traduirait par une perte de hiba et est un leurre puisqu’elle ne peut conduire qu’à un autre pouvoir autoritaire. Si le Monarque optait pour une évolution réellement constitutionnelle, le Makhzen ne comprendrait pas cette décision puisqu’elle équivaudrait d’après lui à sectionner la branche sur laquelle on se tient. Le Makhzen jugerait que c’est une erreur grave qui implique sa fin et ne coopérerait pas. Pour le Makhzen, la monarchie constitutionnelle doit rester un slogan et ne saurait jamais devenir une réalité. Le Monarque, dirait le Makhzen, se sentirait bien diminué parmi tous les leaders arabes qui s’enorgueillissent de leur concentration des pouvoirs.


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