Lier démocratie et développement durable au Maroc


Par Yossef Ben-Meir Sociologue
Samedi 18 Juin 2011

Lier démocratie et développement durable au Maroc
Avec des mouvements socio-révolutionnaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient et la quête des gouvernements de la région d’identifier et de mettre en œuvre des modèles viables de réforme politique et de développement, le Maroc a la chance d'avoir entamé un processus de sensibilisation du public au cours des deux dernières années sur son plan de décentralisation.
L’approche du Maroc pour la promotion de la démocratie et du développement - dont S.M. le Roi Mohammed VI discute souvent et qu’il a adopté immédiatement après les manifestations à l'échelle nationale du 20 février - est d’allier les deux pour que chacun avance par le moyen de l'autre. En pratique, cela signifie que les Marocains au niveau local sont tenus de s'engager dans la planification participative et démocratique et dans la gestion des initiatives de développement qui sont destinées à leur profit. Le développement durable au Maroc doit ainsi avoir lieu à travers des échanges démocratiques et le consensus, et la démocratie doit être renforcée au cours du processus de mise en place du développement durable. La décentralisation, qui transfère l'autorité de gestion, les compétences et les capacités au niveau régional et local, est le cadre choisi par le Maroc pour faire avancer de manière ascendante la démocratie et le développement.
Compte tenu de l'objectif déclaré du Maroc concernant la décentralisation, il s'ensuit que ses modalités d'organisation mettent l'accent sur la «méthode participative». Cette approche démocratique doit être appliquée par les collectivités locales, qui doivent ensemble évaluer leurs défis et leurs occasions de développement, créer et mettre en œuvre des plans d'action qui reflètent leurs priorités communes, tels que la création d'emplois, l'éducation, la santé et l'environnement. Depuis 2010, la Charte communale (le Maroc comprend environ 1.500 communes qui composent la plupart des niveaux administratifs locaux) exige que les plans de développement propres aux collectivités soient mis en place et soumis aux ministères de l'Intérieur et des Finances. Sur la base des études menées par la Banque mondiale, l’USAID, les agences de développement des Nations unies, et de nombreuses autres agences, la méthode participative est en passe de devenir la condition sine qua non du développement durable parce que la participation des gens dans la détermination des projets qui leur sont destinés, assure aux populations locales les motivations nécessaires pour leur maintien.
Bien qu’il exige une mise en œuvre efficace, comme nous le verrons, le modèle du Maroc est potentiellement utile aux autres pays de la région, car il répond aux appels populaires en faveur de l'engagement direct des gens dans les pratiques démocratiques, tout en s’identifiant parfaitement avec les concepts islamiques de la Choura (participation et consultation mutuelle en matière de gouvernance fondée sur le dialogue sur toutes les questions impliquant la communauté et ses dirigeants); Oumma (une communauté musulmane mondiale décentralisée mais intégrée et diversifiée qui insère les droits de l'Homme et la justice sociale dans un processus pacifique de l'évolution en renforçant la solidarité nationale et la coopération internationale); et Ijmaâ (consensus).
Une des principales exigences de la décentralisation à travers la méthode participative est de former une réserve sans cesse croissante de «facilitateurs» - ou poste parfois appelé animateur, catalyseur, agent de changement, consultant, agent de vulgarisation, travailleur de terrain, courtier en information, intermédiaire, interventionniste, médiateur ou planificateur-chercheur. Quel que soit leur titre, leurs fonctions principales sont les mêmes : aider à coordonner les réunions de planification communautaire, éliminer les obstacles à la participation, encourager le dialogue communautaire, s'assurer que toutes les voix soient entendues (femmes, jeunes, personnes âgées, groupes ethniques, personnes défavorisées, malades et handicapés), examiner et expliquer les facteurs macroéconomiques qui influent sur les projets locaux, comprendre les besoins des pauvres et des relations de puissance, gérer les intérêts divergents, renforcer la confiance et l'autonomie (pour lutter contre le sentiment d'impuissance chez les gens), former différents partenariats, informer les bénéficiaires sur les ressources gouvernementales et autres pouvant être disponibles pour des activités données, développer des compétences analytiques, promouvoir les pratiques démocratiques, et servir de pont entre la population, le gouvernement, les ONG, les techniciens, et les établissements universitaires. Les animateurs doivent adopter une attitude non autoritaire à l’égard des collectivités, êtres des spécialistes des relations entre les gens et être absolument indispensables au moins pendant les étapes initiales du processus de développement d'une collectivité jusqu'à ce qu'elle soit auto-entretenue et que les techniques d’animation soient transférées aux bénéficiaires du projet.
Au Maroc, en me basant sur ma propre étude et sur mon observation, un rapport efficace du nombre d'animateurs par la population générale est de 1:500. Le coût pour former à titre d’expérience (sur le terrain au sein d’une véritable collectivité) un animateur avec orientation professionnelle post-formation s’élève à la somme de 2.000 dollars ou 140 millions de dollars pour former 70.000 animateurs - assez pour engager tous les villages et quartiers urbains marocains (y compris 35 millions de personnes) dans la méthode participative de planification des projets.
Les groupes de personnes à cibler pour une formation participative peut inclure: les membres élus des conseils communaux et du parlement (susceptibles d’informer sur la manière dont ils gouvernent et sur leurs campagnes politiques), les travailleurs des associations de village et de quartier, les représentants locaux du service public et des organismes non gouvernementaux, les gardes forestiers, les étudiants, les enseignants (dans les zones rurales, ils sont généralement jeunes), les chefs religieux, les retraités et les citoyens intéressés.
En outre, le coût pour mettre en œuvre des projets prioritaires (par exemple, l'eau potable, le culture d'arbres fruitiers, les coopératives de femmes, et les centres de jeunes) qui vont générer des améliorations socioéconomiques et environnementales essentielles pour une population rurale de 10.000 citoyens, est de 1 million de dollars, soit en moyenne 100 dollars par personne. Le coût très faible de projets participatifs par rapport au nombre de bénéficiaires est le résultat combiné de l'utilisation des ressources et du savoir-faire locaux, de la méthode de génération d'une série de contributions importantes en nature et d’un engagement local aux projets. Quatre milliards de dollars pourraient donc transformer le Maroc au niveau développemental en utilisant l'approche participative à la décentralisation. Cette approche nécessite l'octroi de pouvoirs fiscaux aux dirigeants élus au niveau local- sans doute le niveau communal dans le cas du Maroc.
Lorsque des impôts précédemment établis et perçus par le gouvernement central n'ont pas été transférés aux autorités locales (comme cela s'est produit au Brésil, en Côte d'Ivoire et au Ghana dans les années 80), les gouvernements locaux ont été privés de ressources et incapables de soutenir le développement et les questions ont été soulevées quant aux intentions réelles de décentralisation des gouvernements centraux, telle que la réduction des déficits nationaux.
Le progrès nominal vers une formation et des projets participatifs a été réalisé par l'Initiative nationale pour le développement humain (INDH), le projet ambitieux et permanent du Maroc qui a été lancé par le Roi en 2005 et qui se base, sur le plan conceptuel, sur l'approche participative orientée vers les personnes les plus marginalisées en milieu rural et urbain. L’INDH a sensiblement soulevé la conscience nationale aux questions liées au développement durable. Cela est dû en partie grâce au Roi qui effectue constamment des visites aux quatre coins du pays pour l'appui des projets de l’Initiative. En fait, l'intégration et le fait d’attirer l'attention sur les idéaux de participation au développement ont aidé l'INDH à préparer la nation à la décentralisation dans une certaine mesure, et a peut-être contribué à éviter que la décentralisation ne soit simplement un véhicule pour le transfert de pouvoir des élites nationales aux élites locales.
Toutefois, comme le Roi et l’Observatoire national du développement humain l’ont reconnu, les niveaux de la participation communautaire dans la planification et la gestion des projets de l’INDH sont loin d'être idéaux. Ce résultat est probablement en grande partie attribuable au fait que l'INDH est mise en œuvre par les ministères d'accueil (principalement le ministère de l'Intérieur) dont le modus operandi est la gestion descendante. L'INDH a naturellement pris le caractère de l’autorité très centralisée chargée de sa mise en œuvre.
La décentralisation participative du Maroc nécessitera donc la réforme du ministère de l'Intérieur, dont le but est la sécurité intérieure de la nation - tout comme c’est le cas dans la plupart des pays de la région. Le fait que ce ministère qui a toujours été à l’origine de sentiments de peur et de suspicion chez le public ayant la charge principale du développement humain est contre-productif. Les responsabilités du ministère de l'Intérieur en matière de développement doit être remis aux ministères des services sociaux, y compris, entre autres, le ministère de l'Agriculture qui exerce la mission de développement intégré dans les zones rurales, et le nouvel organisme de décentralisation qui sera probablement créé, qui doit agir principalement comme un organe de coordination entre les différents ministères, les secteurs et les niveaux d'administration pour créer des initiatives intégrées, semblables en principe à la façon dont le ministère de l'Environnement marocain fonctionne. Les protocoles prévoyant d’aviser le ministère de l'Intérieur des réunions de planification des activités communautaires et des activités de mise en œuvre des projets devraient être progressivement éliminés.
Une véritable décentralisation implique un niveau d'activité locale qui rendra progressivement ce genre de déclaration un fardeau administratif pour les collectivités locales et le ministère, et il semble tout à fait inutile, en tout cas. Toutefois, le ministère de l'Intérieur pourrait jouer un rôle important dans le renforcement des partenariats institutionnels en mettant à disposition du public, via Internet, des informations liées à la mission, la région et la façon de contacter des dizaines de milliers d’associations marocaines à but non lucratif.
Tout en offrant un modèle novateur qui unit le renforcement de la démocratie et le développement durable, la mise en œuvre du modèle doit être absolument audacieuse pour réussir.
Manifestement, la Monarchie est ouverte au changement de transformation de la société tout entière, mais à travers un processus ascendant conduit par des collectivités locales habilitées en matière de développement et autonomes qui soient intégrées dans un système national décentralisé et dont les dirigeants élus sont choisis en fonction de leur capacité à forger et répondre aux décisions de consensus de leurs électeurs.


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