Les moules du Maroc : Un secteur à développer et une richesse à préserver


Par Sanaa Bhaby *
Vendredi 17 Février 2017

Moule Mytilus galloprovincialis ouverte ; les valves sont maintenues fermées par la contraction des muscles de couleur blanche ; on distingue nettement les branchies du système respiratoire, le manteau en stade de ponte et le byssus collé au pied. (Cueillie à Moulay Bousselham, photo prise en 2010).
Moule Mytilus galloprovincialis ouverte ; les valves sont maintenues fermées par la contraction des muscles de couleur blanche ; on distingue nettement les branchies du système respiratoire, le manteau en stade de ponte et le byssus collé au pied. (Cueillie à Moulay Bousselham, photo prise en 2010).
Les prises mondiales stagnent depuis vingt ans autour de la barre de cent millions de tonnes. Malgré l’usage de moyens de plus en plus intensifs, la pêche a atteint sa limite, car 90% des débarquements mondiaux proviennent de 10% de la surface des océans. Dans les années à venir, le bassin étant fini, ce volume ne sera pas dépassé de manière significative. La pêche au Maroc s’inscrit dans cette logique, ce qui signifie qu’il faut maintenir un équilibre forcément fragile entre les captures et le renouvellement naturel des stocks. Autrement dit, en cultivant la mer, le Maroc pourra développer durablement, c’est-à-dire de manière contrôlée, ses ressources marines, tout en générant des emplois et de la valeur ajoutée. D’où la nécessité de sauvegarder le potentiel halieutique, de procéder à des recherches biologiques sur l’ensemble des espèces.
Ce vaste chantier de préservation constitue un formidable défi : c’est dans ce cadre que s’inscrit la présente contribution dédiées aux moules du Maroc.
Les côtes marocaines sont le siège d’une grande richesse halieutique, avec une diversité comportant 500 espèces exploitées. En conséquence, ce littoral constitue un pôle de développement économique et social tout à fait remarquable, car il fait vivre près de trois millions de personnes.
Le secteur participe pour environ 2% de la production nationale. Le volume des captures de poissons, de céphalopodes, de crustacés et de coquillages s’élève en moyenne à un million de tonnes.
Ce potentiel s’explique par une position géographique située au cœur de phénomènes planétaires exceptionnels, centre de convergence où se mélangent plusieurs types d’eaux enrichies par les poussières du Sahara, d’origine et de densités différentes : mouvements nord-atlantiques, échanges méditerranéens, courants des Canaries et remontées froides bienfaisantes (upwelling).

Fossile de moule découvert à l'occasion des fouilles entreprises au Sud-Est du Maroc dans la région d’Erfoud en 2010 ; empreinte d'une ère qui remonte au Trias inférieur, soit un témoignage vieux de 250 millions d'années, (photo prise à Er Rachidia en 2013).
Fossile de moule découvert à l'occasion des fouilles entreprises au Sud-Est du Maroc dans la région d’Erfoud en 2010 ; empreinte d'une ère qui remonte au Trias inférieur, soit un témoignage vieux de 250 millions d'années, (photo prise à Er Rachidia en 2013).
Résilience

Avant toute chose, il convient de noter que les moules ont une origine très ancienne dans la région. Ainsi, des fossiles de moules ont été mis à jour dans la région d’Erfoud . Ils témoignent d'une vie marine qui remonte à 250 millions d’années. Ainsi la géologie démontre la permanence et la résilience de cette espèce par rapport aux bouleversements climatiques de la planète.  Par exemple, il suffit de considérer la coquille d'une moule fermée par un après-midi d'été ou celle d'une moule fermée presque gelée pour comprendre que ce bivalve peut résister à des gradients thermiques importants. On rappelle qu'une moule fermée est vivante.
Par rapport à la fossilisation, il faut un enfouissement rapide dans les sédiments, principalement d'origine aquatique, tels les argiles ou les sables. Suivant la consistance des matériaux qui englobent le fossile, il y aura une conservation plus ou moins totale et plus ou moins fine. Par exemple pour les sables, qui sont des matériaux assez acides, on y rencontre la plupart du temps des coquilles, c'est le cas du fossile de moule que nous avons découvert dans la région d'Errachidia (Maroc).

Amas de coquillage néolithique (5 000 avant J.-C.) du type de ceux qu'on trouve dans le Sahara marocain, entre Oued Draa et Dakhla ; on aperçoit à gauche une colline de coquilles de plus de dix mètres de hauteur, témoin de l'exploitation très ancienne des ressources marines du littoral du Maroc ; photo : Abdeljebbar Qninba.
Amas de coquillage néolithique (5 000 avant J.-C.) du type de ceux qu'on trouve dans le Sahara marocain, entre Oued Draa et Dakhla ; on aperçoit à gauche une colline de coquilles de plus de dix mètres de hauteur, témoin de l'exploitation très ancienne des ressources marines du littoral du Maroc ; photo : Abdeljebbar Qninba.
Une tradition millénaire

Pendant au moins six millénaires, des hommes ont vécu sur le rivage marin ou l’ont saisonnièrement fréquenté pour pêcher ou cueillir des bivalves et autres mollusques.
Plus précisément, les mollusques ont constitué la base de plusieurs économies successives de sociétés néolithiques sahariennes.
La caractéristique la plus emblématique de l'existence de ces économies anciennes est révélée par les amas de coquillages de plusieurs mètres de hauteur, pouvant dépasser parfois dix mètres. Ce sont des accumulations résultant de l'action humaine, restes des repas successifs des habitants de certains sites, occupés parfois sur de très longues périodes.
L’ensemble des amas coquilliers longeant la côte du Maroc de Oued Draâ à la baie de Dakhla représente un exemple remarquable, en milieu sec, des vestiges de l’utilisation de ressources marines du rivage. L’examen de ces vestiges de mollusques fournit des informations précieuses pour comprendre l’évolution du mode de vie des populations du Sahara marocain. De plus, leur étude constitue une source d’enseignements pour la période présente et future en matière de gestion des ressources vivantes côtières et d’aménagement du littoral marocain.
Au début du XXème siècle, on pouvait voir s'élever des amas de coquilles d'une énorme moule  que les Marocains du Sud conservaient au soleil, mettaient en sacs et emportaient par charges de mulet dans l'Atlas occidental pour servir de nourriture, surtout dans les années de disette. Cette tradition existe toujours dans la région de Sidi Ifni, où les moules sont séchées et destinées à l'export.
La moule est un mollusque, c'est-à-dire qu’elle possède un corps mou, protégé et renforcé par une coquille symétrique.
La coquille se compose de deux formes ovales allongées reliées par une charnière, d’où l’appellation bivalve. La partie avant de la coquille est pointue, alors que l'arrière est arrondi et évasé. Sur les deux faces externes, des stries concentriques mémorisent les étapes de la croissance.
Le côté postérieur est la partie la plus ancienne. Le bord du manteau sécrète les deux premières couches et assure l'expansion en largeur de la coquille, tandis que l’ensemble du manteau produit la couche de nacre nécessaire à la consolidation en épaisseur.
Les valves sont maintenues fermées par la contraction de deux muscles.
A la base de la coquille se trouve la glande du byssus. Elle fabrique des filaments (byssus) destinés à fixer la moule sur son substrat. Une fois qu’ils sont sécrétés, les filaments se solidifient au contact de l’eau de mer.
La moule est un organisme filtreur. Elle se nourrit de fines particules en suspension dans l’eau (phytoplancton et bactéries) et peut filtrer jusqu’à 10 litres d'eau par heure. Les échanges d’oxygène se font par l’intermédiaire des branchies qui absorbent l’oxygène dissous dans l’eau.  Lorsque la moule se retrouve à l’air libre, elle ferme sa coquille et passe à une respiration anaérobie, réalisée en l’absence d’oxygène.
Quand un corps étranger (grain de sable, parasite ou autre impureté) se niche entre la coquille et le manteau, celui-ci recouvre l’impureté de couches de nacre, ce qui provoque un grossissement local de la coquille et éventuellement la formation d’une perle. La perle proprement dite apparaît quand le corps étranger est entièrement entouré de nacre.
Les œufs très nombreux (environ 500.000) donnent deux stades larvaires successifs, avec métamorphose en jeune moule qui devient adulte au bout de 2 ans.
Les moules vivent toujours en colonies, parfois extrêmement denses, jusqu'à 620 kg par m3 en élevage.
Différents facteurs influencent la mortalité et la dispersion des populations de moules : la température, le dessèchement, les tempêtes marines, la salinité, les compétitions et la prédation.
De nombreux prédateurs sélectionnent les moules d’un certain calibre, ce qui influe sur la taille moyenne d’une population naturelle donnée.
Les prédateurs les plus communs sont l’escargot pourpre, l’étoile de mer, le crabe, les poissons plats comme le flétan, la plie et la limande, et enfin divers oiseaux (goéland, corneille, l’huîtrier pie et le canard eider). A cette liste, il faut ajouter l’homme.

Focus sur l’amas coquillier dans la partie Nord Ouest de la baie de Dakhla. On distingue nettement les vestiges prépondérants des moules. La diversité des mollusques représentés (palourde, escargot et murex) montre qu'il s'agit de restes culinaires (Kitchen Midden).
Focus sur l’amas coquillier dans la partie Nord Ouest de la baie de Dakhla. On distingue nettement les vestiges prépondérants des moules. La diversité des mollusques représentés (palourde, escargot et murex) montre qu'il s'agit de restes culinaires (Kitchen Midden).

Pêcheurs de moules à marée basse lors de l’équinoxe de l’automne sur les côtes de Casablanca en 1914.
Pêcheurs de moules à marée basse lors de l’équinoxe de l’automne sur les côtes de Casablanca en 1914.
Dans le monde et au Maroc

La moule est incontestablement le représentant le plus connu du groupe des bivalves qui comprend 31.000 espèces décrites dont 11.000 ont disparu.
La moule se fixe sous forme de bancs sur les zones rocheuses de l’estran, espace défini par les lignes extrêmes du flux (vives-eaux) et du reflux (mortes-eaux). Dans cet environnement libéré régulièrement par la mer, les conditions de vie sont difficiles. Les organismes vivants sont recouverts d’eau ou asséchés, suivant le balancement des marées.
Dans le monde, la moule se décline selon quatre espèces principales : moule de Californie, moule commune, moule de Méditerranée , moule tropicale à subtropicale.
En raison de sa situation exceptionnelle, à la frontière de plusieurs mers, le Maroc abrite les deux dernières espèces citées de ces différentes eaux.

 

Composition et résultats de l'aquaculture au Maroc ; on notera la prépondérance de l'huître (300 tonnes en 2011) et la permanence du loup (200 tonnes en 2011). On remarque l'interruption de la production de l'anguille et de la daurade à partir de 2006.
Composition et résultats de l'aquaculture au Maroc ; on notera la prépondérance de l'huître (300 tonnes en 2011) et la permanence du loup (200 tonnes en 2011). On remarque l'interruption de la production de l'anguille et de la daurade à partir de 2006.
Promesse d'avenir

Au Maroc, ce mollusque se trouve actuellement en Méditerranée et sur la côte atlantique. Cependant, la croissance démographique des zones littorales et la pression exercée sur les gisements naturels, constituent un sérieux danger. Ce phénomène peut perturber la chaîne alimentaire liée à cette espèce. Il met également en péril la source de revenu de plusieurs milliers de personnes. Par rapport à ces menaces, la relance de la mytiliculture (élevage des moules) est une alternative viable. En effet, les premières expériences ont commencé au Maroc dans les années 70 du siècle dernier. Aujourd’hui, la mytiliculture existe mais demeure embryonnaire (production faible et instable). Par exemple, en 2005, la production était au point mort pour atteindre 34 tonnes en 2009 ; par contre, elle est redescendue à 12 tonnes en 2010. Cette dernière quantité correspond à 3% de la production aquacole nationale.
Par rapport à ce constat, il devenait impératif de mieux connaître la vie des moules et les conditions de leur existence, y compris l’identification de leurs maladies (symptômes et causes). C’est le résultat concluant nos travaux de recherche menés dans quatre sites représentatifs de la moule au Maroc : Moulay Bousselham au Nord, Cap Beddouza au Centre, Imessouane au Sud et Cabo Negro en Méditerranée.
Par rapport au futur, il est à noter que la production planétaire de la moule s’élève à 1.625 000 tonnes. La Chine arrive en tête avec 41%. En Europe (700.000 tonnes par an), c'est l'Espagne qui produit le plus de moules avec 260.000 tonnes (Rapport FAO 2010).
Au Maroc, le secteur halieutique représente 1% du PIB, soit 7 milliards de dirhams. Le programme Halieutis se fixe comme objectif 22 milliards de Dirhams à l'horizon 2030, c'est à dire d'atteindre une production de 1.600.000 tonnes, avec la création de 100.000 emplois.
La stratégie Halieutis repose de manière intégrée sur une exploitation durable des ressources pour les générations futures, sur la performance du secteur en qualité optimale, et ce du débarquement à la commercialisation, l'amélioration de la compétitivité en présentant les produits de qualité niveau national et international.
Ces trois axes sont articulés autour de 16 thèmes dynamiques, parmi lesquels figure en tout premier lieu le coeur central de l'aquaculture, sur lequel repose l'espoir de fonder un moteur de croissance à court et long termes. Ce segment devrait contribuer à hauteur de 200.000 tonnes par an.
Pour le Maroc, il est donc tout à fait raisonnable de fixer pour l'horizon 2025 l'objectif de réaliser annuellement 100.000 tonnes de moules, c'est-à-dire un chiffre d’affaires de l’ordre de 1 milliard de dirhams.

Moule de Cap Beddouza, Perna perna, de quatre centimètres de longueur, au contour vert ; on voit nettement les stries concentriques qui marquent les étapes de la croissance et Mytilus galloprovincialis de couleur bleu ardoise tout à fait caractéristique ; (photos prises en mars 2010).
Moule de Cap Beddouza, Perna perna, de quatre centimètres de longueur, au contour vert ; on voit nettement les stries concentriques qui marquent les étapes de la croissance et Mytilus galloprovincialis de couleur bleu ardoise tout à fait caractéristique ; (photos prises en mars 2010).

Les moules du Maroc : Un secteur à développer et une richesse à préserver
 * Professeur de biologie sous-marine


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