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Les mélancolies d’Alice


Par Jean Zaganiaris *
Mercredi 12 Avril 2017

Avec «Chairs d’argile» (Afrique-Orient, 2017),
Salima Louafa signe un premier roman
d’une rare violence. Les êtres évoluent
dans un monde violent, sans éthique, où
“tous les coups sont permis”.


Quentin et Alice débarquent au Maroc pour des raisons professionnelles. Leur couple bat de l’aile, ils sont au bord de la rupture. Peut-être ne se sont-ils jamais aimés, y compris le jour de leur rencontre, dans un triste restaurant parisien. Elle s’était attachée, parfois avec une certaine hésitation. Lui avait pris du plaisir, en testant sur elle son pouvoir. Est-ce de l’amour ? L’auteur joue sur l’ambivalence : «Avec elle, Quentin était fasciné par ce qui naguère le répugnait. Il aima comme il pouvait, un peu, beaucoup, en fonction de l’heure et du moment ».  
Aujourd’hui, ils sont mariés, vivent ensemble. Il la trompe régulièrement avec des corps sans saveur, dans lesquels il cherche une vaine échappatoire. Elle se désole de ne pas pouvoir tomber enceinte à cause d’une insuffisance ovarienne. Au Maroc, le couple tente de prendre un nouveau départ. Alice finit par entamer une grossesse, à la stupéfaction de Quentin qui se rend finalement compte dans son for intérieur qu’il ne souhaite pas d’enfants. La joie ne sera que de courte durée. Lors de la première écographie, on lui annonce que le cœur du fœtus a cessé de battre. Brutalement, le roman prend le lecteur à rebrousse-poil, en le plongeant dans ces angoisses imperceptibles de l’existence qui nous collent à la peau et rongent notre quotidien. Tandis que Maria, une femme médecin à la poitrine opulente, annonce à Alice la perte de l’enfant, Quentin se met à fantasmer sur elle, à la désirer ardemment : «  Il ne cesse de penser à Maria, elle le chevauche, elle hurle, ses énormes seins lui écrasent le visage. En silence, il se soulage abondamment, se désemplit et remonte son pantalon ». Salima Louafa met à nu un monde infâme, où le remord dostoïevskien que l’on voit dans « Crime et châtiment » n’existe plus. Les personnages du roman se permettent les pires infamies sans être gênés le moins du monde par leurs comportements. Ce sera même Maria, lors des prochaines rencontres avec Quentin, pour convaincre Alice de faire un curetage, qui lui fera des avances.
Il y a quelque chose de terrible, de troublant dans le livre de Salima Louafa, exprimé de manière beaucoup plus violente que ne le fait Mamoun Lahbabi dans « La lumière de l’aube » (Casa Express, 2016), annonçant également l’ère des désacralisations. Dans « Chairs d’argile », plus rien n’est à l’abri, même pas l’innocence des enfants. Alice finit par rencontrer Anissa, une petite fille qu’elle recueille chez elle. Mais derrière cette rencontre resurgit le terrible secret de Maria et de son mari, un scientifique de renom derrière lequel se cache un homme abject.
Les gens ne s’encombrent plus d’éthique, de compassion. La vie des autres n’est plus sacrée, on peut l’abîmer à sa guise, sans remords, à l’instar de ces violences omniprésentes dans certains mondes professionnels où les politiques managériales semblent être inspirées de l’adage hobbesien :
«L’homme est un loup pour l’homme». Salima Louafa est très proche de Leïla Slimani et de l’épaisseur psychologique que l’on retrouve chez ses personnages, teintés d’ambivalence. La seule chose qui compte est la satisfaction des désirs immédiats. Les hommes n’ont plus de cœur, ne savent pas aimer. Et ils plongent, lentement, dans une mer noire sans fond. Alice se métamorphose, comme dans la chanson de Noir désir, et quitte ces cloaques immondes. Pour retrouver, par moments, son joli sourire et la pureté de son cœur d’antan…


 * Cercle de littérature
contemporaine.  


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