Les générations montantes face à l’hydre terroriste


Par le Dr. Hamid Lechhab
Samedi 1 Novembre 2014

Les générations montantes face à l’hydre terroriste
Les services de sécurité occidentaux, toutes spécialités confondues, –habitués à les nommer les «4M» = masculin, migrant, musulman, mal formé- n’avancent qu’une partie de la réponse à cet «engagement» des jeunes pour une cause qui, en théorie, ne leur appartient pas.
Les jeunes se trouvent dans une période de changement radical, lié à une phase critique de leur développement psychosocial. Mais ce genre d’explication, nous révèle – en tant que spécialiste de la psychologie et de la pédagogie de  l’adolescence et de la jeunesse- quelle distance sépare les services de sécurité de leur jeunesse, voire avec quelle ignorance fonctionnelle, ils se comportent avec elle. On compte actuellement plus de 3000 jeunes Européens qui agissent au Moyen-Orient. La majorité d’entre eux sont jeunes (entre 15 et 24 ans) et leur nombre augmente chaque jour. Ils appartiennent presque à toutes les classes sociales. Certains ont un niveau de formation supérieur alors que d’autres sont des jeunes de la rue, ou ont des casiers judiciaires qui ne sont plus vierges. Ce fait est connu des services de sécurité qui essaient de limiter les dégâts en arrêtant tous ceux qui veulent rejoindre les extrémistes islamistes. La plupart d’entre eux ne croient pas aux 40 vierges du paradis, mais ils sont animés par des rêves, des passions et des idéaux. Ce qui les attire n’est pas moins qu’une idéologie internationale prétendant améliorer le monde et de faire quelque chose de juste, bien qu’ils ne sachent pas ce qui est juste et ce qui ne l’est pas (et qui le sait d’ailleurs parmi les adultes ?). L’œuvre de l’Occident en Orient (Afghanistan, Irak, Palestine) les choque, car ses conséquences sont néfastes pour les peuples de la région. Ils sont déçus du matérialisme capitaliste et de ce vide profond qu’il introduit dans les âmes humaines. Et c’est exactement l’une des causes qui fait dévier les jeunes de leur vie «tranquille» pour aller vers ce qui les intéresse, même en recourant à la violence. Quoique la plupart d’entre eux qui ont passé un certain temps à Raqqa en Syrie ou ailleurs, se désillusionnent - malgré le fait qu’ils n’y manquent ni de ketchup, ni de nutella ou de corn flakes- et veulent revenir chez eux alors que leur vie n’est plus la même et ne le sera peut-être jamais. En considérant un peu plus le phénomène, on s’aperçoit qu’il y a d’autres causes qui entrent en jeu. Le capitalisme sauvage a atteint son apogée et ne connaît aucun recul devant ce que doit-être son but ultime: une poignée de multinationales qui dirige la planète et des politiciens qui ne sont au fond que des marionnettes, des clowns qui distraient ou énervent les masses.
 Leur rôle principal est de trouver le moyen de faire peur aux gens pour les tenir enfermés dans leurs  cages et les «éduquer» pour devenir de «bons consommateurs». C’est tout ce qui compte pour les vrais maîtres de l’univers. La notion de «citoyens» s’estompe peu à peu, on ne demande plus aux gens d’être «patriotes» et défendre leurs particularités, mais on les force à «penser» global. A être fidèles à la mondialisation qui, en effaçant toutes les différences et en détruisant toutes les frontières culturelles, sociales et économiques, érige bel et bien de nouveaux murs de Berlin, à savoir les frontières géographiques et religieuses. Cela conforte à la perfection la «fabrication du consommateur mondial», avec les «3D» sacrés: «docile», «débile», «dépressif». La planète virtuelle est devenue une composante psychique réelle chez l’individu. La palette des possibilités techniques pour «créer» un individu hors normes ne s’est pas seulement diversifiée, mais elle a aussi pris une ampleur capitale. La prise de conscience du consommateur passe avant tout par ces mondes magiques des technologies et des relations virtuelles, où tous les tabous sont tombés, la peur et la timidité dépassées; car on n’a pas réellement affaire à l’autre, mais à travers l’anonymat que procure  un écran. On peut exister en double, en triple ou même en plusieurs personnalités, en considérant que c’est cela la vraie authenticité. Même la prise de conscience du corps, n’est plus la même, le miroir n’est plus l’unique objet qui «reflète», mais les photos et les vidéos sont des nouveaux miroirs  qui participent à créer un individu à multiples visages. 
Les «Selfies» ne donnent pas uniquement des images de soi, mais gonflent le moi. Les concepts d’égoïsme ou de narcissisme ne suffisent plus à expliquer ce qui se passe dans «l’âme» de la jeunesse qui vit un «centrisme» du moi. La mentalité «consommatrice» a créé deux types de «moi»: l’un «acteur» et l’autre «spectateur», quoiqu’il y ait une dimension «d’acteur» dans le «spectateur», qui se vit passivement à l’aide de moyens technologiques: jeux Internet, consoles et vidéos des jeux, etc. Et c’est exactement là qu’il faut chercher pourquoi une personne qu’on a l’habitude de voir «calme», «passive», «désintéressée», etc. devient brusquement active, voire hyperactive.
C’est la quête inconsciente de devenir un vrai «acteur», même si on n’a pas les moyens intellectuels ou financiers pour l’être. Elle s’actualise, encouragée par des jeux ou des programmes télévisés qui laissent croire que tout est possible, qu’on peut arriver facilement à ce qu’on veut et que l’unique chose dont on a besoin, ce sont l’audace et la grande gueule. Les «idoles» ne se vivent plus comme «idéaux» et «exemples», mais comme «objets» qu’on doit dépasser voire battre. Elles ne sont plus l’objet d’estime et de respect, mais la source de l’envie et de la jalousie. Elles ne sont plus «sacrées», mais «profanées» ; voire défigurées par la technique du montage des photos ou des vidéos ou même de la voix. On leur fait dire ce qu’elles n’ont jamais dit et on les place sur des lieux où elles  n’ont jamais été et  dans des situations critiques, «amorales» qu’elles n’ont jamais vécues. C’est le «centrisme» du «moi techno-virtuel» qui est en marche et rien ne peut le faire arrêter. Donc, la quête aveugle de l’héroïsme à n’importe quel prix n’a plus de limites chez le moi «spectateur» et c’est elle qui s’ajoute aux autres raisons qu’il faut aller chercher à satisfaire en s’engageant dans les groupes terroristes ou en menant des actions extrémistes: hooliganisme, littering, vandalisme, crimes sauvages de plus en plus cruels, etc. L’héroïsme n’a plus, chez le moi «spectateur» cette connotation morale positive, d’un bienveillant qui sauve la vie; mais le «héros» est devenu celui qui défie, qui fait peur, qui peut tuer, qui choisit la prison délibérément, etc. «S’engager» pour la cause de ceux qui veulent être «à la place de Dieu», n’a rien à voir avec l’engagement que les générations précédentes ont connu. On s’engageait pour une cause juste, pour la dignité humaine, pour la liberté, pour l’indépendance des peuples, pour l’égalité des sexes, etc. Actuellement, la plupart des jeunes s’engagent par ennui, par l’amour de l’action, par désir de substituer le virtuel à la réalité. Entre les deux, il n’y a presque plus de frontières. On est las de consommer, de se sentir vide de l’intérieur, de vivre en solitaire malgré ses milliers d’amis virtuels. On a besoin de faire «la révolution» ou d’y participer pour être perçu comme un «héros», pour être au «centre». Même la langue et les concepts subissent cette dichotomie existentielle: ce qui est «terrorisme» pour les uns est «révolution» pour les autres. Ce qui est «vandalisme» pour les uns est «combat contre l’injustice» pour les autres. Ce qui est «racisme» pour le commun des mortels est du «patriotisme» pour les néonazis. Ce qui est «sacré» pour une religion est «profane» pour d’autres, etc. Le mot «s’engager» a ainsi pris la connotation de «semer le trouble», «d’entreprendre un voyage sur le compte d’autrui», etc. A qui la faute? A ces jeunes fauchés, déprimés, désorientés moralement et existentiellement ou à ce capitalisme sauvage qui leur a ôté leur statut de citoyens libres et responsables pour les vêtir du «costume de consommateurs passifs»?
Chercher à comprendre pourquoi ces jeunes Européens «s’engagent» pour le « jihad », c’est prendre en considération tous les facteurs qui participent à maintenir ce phénomène en vie. Il serait vain de faire croire que l’Etat islamique est né de la poussière du désert du Moyen-Orient, sachant que cette poignée de hors-la-loi internationaux ne peut produire ni le ketchup, la nutella et les corn flakes qu’elle offre à ses «combattants occidentaux» ni les armes qu’elle retourne contre le monde entier. Le capitalisme a réussi dès les premières passes d’armes entre l’Iraq et l’Iran et les premières actions des talibans contre les Russes à faire sombrer l’humanité dans les ténèbres. Quand l’Etat islamique aura suffisamment servi, il va disparaître et le capitalisme sauvage va certainement lui trouver un remplaçant qui terrorisera davantage le monde.

* Feldkirch/Autriche 


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