Les exilés de l'intérieur: pourquoi le dsm maltraite la clinique.


Jean Luc Di Stefano
Jeudi 4 Juillet 2013

Les exilés de l'intérieur: pourquoi le dsm maltraite la clinique.
 
Pourquoi ne pas parler d’exception française pour la psychiatrie sur le modèle de l’exception culturelle de l’audiovisuel que nos politiques défendent avec tant d’intensité. Après tout, la psychiatrie n’est pas une marchandise comme une autre, le rôle qu’elle joue pour chacun est trop important pour la laisser dans les mains du marché. L’intervention de la puissance publique est nécessaire pour qu’elle reste à la portée du plus grand nombre. Ce sont les mêmes principes que pour le cinéma. Dans le domaine de la psychiatrie, quelle serait l’exception française, c’est entre autre un riche passé de découverte et construction de la sémiologie, le recours à la psychopathologie et à la psychothérapie institutionnelle, l’invention du secteur, les recherches fondamentales. La psychiatrie française est le résultat et le témoin du développement des savoirs de diverses disciplines, étroitement imbriqué avec des évolutions historiques, environnementales et
sociétales. Le DSM5( manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux) édité par L’APA (american psychiatric association) procède à un balayage de ces exceptions, dans la lignée du DSM IV. L’athéorie, portée au
firmament de l’attitude scientifique correcte, ne serait elle pas, comme la prose de Mr Jourdain, une théorie sans le savoir. (sans qu’on le sache, mais aussi ne reposant sur aucun savoir) Notons au passage que dans DSM 5, cinq s’écrit en chiffres arabes au lieu des chiffres romains employés jusqu’alors. L’APA, pense t-elle que nous ne savons écrire en chiffres romains que jusqu’à quatre, ou que nous nous devons témoigner, après nos influences gréco-latines de celles arabes. Non c’est tout simplement pour faire des sous sections lisibles internationales : 5.1,5.2 etc.. Si la mondialisation continue à envahir la psychiatrie, parions que le prochain DSM sera écrit ainsi DSM (1) . Le fondement du DSM c’est de mettre de côté la notion de structure psychique, de processus au profit de la notion de troubles observables. Il est déjà arrivé dans le passé que des conceptions discutables et discutées dans les autres disciplines soient accueillies à bras ouverts en psychiatrie, à la recherche de scientificité et de légitimité. Le succès et la diffusion du DSM ne procède pas de la bonne réception des praticiens, mais surtout de contraintes économiques et politiques. Le système de soins américain et leurs assurances exigent des références pour leur remboursement. Il en va de même pour l’accès à une prise en charge éducative.( ou à une place dans un centre spécialisé ). Une des inquiétudes des parents à la publication du dsm5, c’est que leur enfant ne soit plus inclus dans la catégorie donnant des droits. Le DSM est politique. De fait comment arriver à vivre avec toutes ces informations et contradictions et continuer à faire notre travail : je dirais que nous avons une langue maternelle, c’est la sémiologie psychiatrique française, ce sont nos mots, nous les avons appris et en même temps redécouverts avec chaque patient qui bousculait notre savoir. Ils vivent en nous, ils sont revêtus de l’identité de chacun de nos patients ; ils ne sont pas que des maladies et encore moins des troubles, ils s’inscrivent dans une historicité, un contexte familial sociétal. Ils sont épais, ils ne sont pas fixés dans un sens d’une façon définitive. Ils courent le risque de devenir des clichés au sens où nous l’a enseigné Anna Harendt (2), c’est à dire un mot qui à force d’être employé perd son attractivité et même son sens originel et qui nous sert à nous défendre contre la réalité La grande vulgarisation des concepts psychiatriques a eu cet effet, leur médiatisation, leur exposition fait courir ce risque. La langue maternelle fabrique notre être dans une imbrication nature et culture indémêlables. Sans doute a-t-on été façonnés par notre formation, et nous sommes plus à l‘aise avec ces mots, nous nous y promenons car nous en avons saisi la grammaire, nous y sommes inventifs, notre sémiologie évolue avec ce que les patients nous enseignent. Pourquoi alors nous éloigner de notre langue. Nous n’avons jamais choisi de nous exiler, mais nous avons plutôt été colonisés par une conception de l’humain qui n’est pas dans notre histoire. Nous avons une deuxième langue, c’est le dsm5, écrit en anglais, pas la langue de Shakespeare, mais l’anglais international, qui renvoie à un effort de communication et de compréhension entre les professionnels. Cette langue comme une novlangue existerait indépendamment des personnes qui la parlent. Elle essaye d’objectiver les maladies psychiatriques, par l’énoncé des troubles. Le soignant s’y retrouve neutralisé, récepteur sans saillie de l’autre. La clinique psychiatrique qui fait intervenir le soignant comme élément de la rencontre, la consultation que l’on voudrait thérapeutique, devient un lieu d’observation et une
évaluation. Aujourd’hui, des acteurs de la santé non psychiatres, et même, non médecins, pourraient faire l’évaluation et le dernier frein, le diagnostic, volerait en éclat. Plus besoin de glace sans teint, puisque nous sommes nous même transparents. Le recours à la classification suffit à nous faire nous absenter, mais risque aussi de faire disparaître le malade. La question finalement ne serait elle pas comment arriver à nous mouvoir entre les langues comme nous l'apprend Heinz Wisman(3), nous , exilés de l’intérieur?
 
 (1) 6 en chinois,cf photo (2) Hanna Arendt : Eichmann à Jérusalem,Gallimart
(3)Heinz Wisman : Penser entre les langues, Albin Michel
 



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