Les dessous des attentats de Bombay


Jagadeesh Gokhale et Malou Innocent
Mercredi 31 Décembre 2008

Les dessous des attentats de Bombay

Suite aux derniers attentats de Bombay, l’Inde pointe plus que jamais du doigt le Pakistan comme “épicentre du terrorisme islamique”, mais se garde, pour l’heure, de songer à des représailles militaires. Au-delà du jeu classique d’accusations mutuelles, quels sont les enjeux soulevés par ces attentats ? Jagadeesh Gokhale et Malou Innocent tentent d’apporter une réponse originale à cette question, en faisant le lien entre l’annonce par Obama, de renforcer les troupes militaires américaines à la frontière afghano-pakistanaise, et les attentats perpétrés.
Les dirigeants indiens suspectent que le gouvernement pakistanais ait joué un rôle direct dans les attaques terroristes de Bombay, dans lesquelles 200 personnes ont trouvé la mort et plusieurs centaines ont été blessées. Le militant capturé, Ajmal Amir Kasab, a impliqué la Marine du Pakistan, indiquant qu’elle avait fourni une assistance et un entraînement à l’équipe ayant opéré l’assaut. Selon certaines informations, les militants auraient commencé leur entraînement dans des camps au Kashmir contrôlé par le Pakistan il y a plus d’un an. Les services indiens ont aussi mis en évidence des liens entre les militants et Lashkar-e-Taiba, un groupe terroriste kashmiri qui entretient des relations de longue date avec la nébuleuse Al Qaïda et qui opère en dehors du Pakistan.
Nous ne saurons peut-être jamais qui a commandité cet assaut sur Bombay. Etant donné les récents appels du nouveau président pakistanais à un rapprochement avec l’Inde, l’attaque peut ne pas avoir été souhaitée par les nouveaux dirigeants. Donc si l’attaque a été soutenue par Islamanad, il y a de fortes chances que l’opération ait été une tentative délibérée d’éléments des services secrets du Pakistan, l’Inter-Services Intelligence (l’ISI), pour raviver les tensions avec l’Inde.
Il y a en ce moment une convergence claire d’intérêts entre le gouvernement pakistanais, ses militaires et ses services secrets, et des groupes organisés d’insurgés sur les fronts est et ouest du pays : tous tireraient profit de tensions accrues avec l’Inde. Mais pas le peuple pakistanais.
Les dirigeants du Pakistan sont préoccupés par l’intention du président élu américain Barack Obama de masser des troupes américaines supplémentaires à la frontière afghano-pakistanaise pour contrer la puissance croissante d’Al Qaïda. Des forces supplémentaires américaines intensifieraient la pression sur les militaires pakistanais pour qu’ils consacrent plus de ressources et de troupes à éradiquer des éléments d’Al Qaïda et des talibans de l’intérieur du Pakistan. Ces groupes militants comme d’autres se sont cependant infiltrés parmi des groupes plus larges de sympathisants pakistanais. Une escalade significative des opérations militaires infligerait sans nul doute des pertes civiles importantes, provoquerait la population et initierait une guerre civile. Alors que le pays est au bord de la banqueroute, une instabilité sociale et économique accrue pourrait se révéler intolérable pour le nouveau régime élu démocratiquement.
Pour le gouvernement, les tensions avec l’Inde relâcheraient la pression à réaffecter des troupes du front est au front ouest. Cela fournirait alors plus de marge de manœuvre à l’ouest aux extrémistes islamistes soutenus par l’ISI, sapant ainsi les efforts de l’ONU et des Etats-Unis en Afghanistan. Les militants séparatistes kashmiri peuvent avoir délibérément perpétré les attaques de Bombay parce que toute réduction des ressources militaires sur la frontière est du Pakistan pourrait diluer leurs structures de soutien au sein des corps pakistanais de l’armée et des services secrets.
Etant donné la rivalité historique entre l’Inde et le Pakistan, on ne peut écarter la possibilité d’une réponse militaire de l’Inde à l’implication du Pakistan. Mais l’assaut sur Bombay était un pari risqué, fondé sans doute sur la modération montrée par l’Inde jusqu’ici : en décembre 2001 après que l’ISI aurait supposément soutenu un assaut par un autre groupe djihadiste contre le Parlement indien à New Delhi, les deux pays massèrent des troupes le long de leur frontière pendant près d’un an, mais sans que cela entraîne par la suite des hostilités d’envergure.
La stratégie de sécurité nationale du Pakistan repose toujours sur une perception d’une menace existentielle de la part de l’Inde. Le Pakistan prétend vouloir éradiquer les insurgés radicaux de son sol, mais en même temps il utilise leur présence pour négocier une aide économique et militaire supplémentaire de l’Occident. Malgré une campagne anti-insurrectionnelle engagée contre d’autres éléments talibans sur leur sol, les dirigeants pakistanais demandent continuellement aux Etats-Unis des systèmes d’armes à double usage, systèmes qui sont en réalité plus adaptés à une guerre conventionnelle contre l’Inde.
Persister dans la voie d’une orientation politique obsédée par l’Inde entraînera tôt ou tard une guerre régionale sanglante et inutile, sacrifiant des vies civiles innocentes. Cette approche a de plus détourné les ressources disponibles vers le maintien d’un establishment militaire qui prospère, laissant ainsi très peu pour le développement économique, les échanges commerciaux, le bien-être social et l’éducation. Elle a eu pour conséquence de maintenir le reste de la population dans la pauvreté - un incubateur idéal pour le fondamentalisme religieux et le militantisme opposé au progrès économique et social.
Si l’attaque de Bombay a été effectivement une politique délibérée soutenue par les faucons pakistanais, les décideurs indiens et américains doivent faire comprendre aux dirigeants pakistanais qu’alimenter de manière périodique une rivalité avec l’Inde est une position futile. L’équilibre conventionnel des pouvoirs dans le sous-continent restera en faveur de l’Inde, étant donné sa réserve énorme de main-d’œuvre et son potentiel économique qui se développe rapidement. Des relations indo-pakistanaises améliorées sont possibles seulement si le gouvernement du Pakistan et son establishment militaire arrêtent d’attribuer de manière erronée des intentions belliqueuses à l’Inde.
Les nouveaux dirigeants du Pakistan ont récemment montré qu’ils avaient pris conscience des inconvénients de cette mentalité militariste par le passé. Ils doivent être encouragés à traduire cette prise de conscience en action et proposer une vision meilleure en termes de stabilité et de progrès économique, dont leur peuple et ses voisins ont tant besoin.

Jagadeesh Gokhale est chercheur au Cato Institute et Malou Innocent est analyste en politique extérieure au Cato Institute.
Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org.


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