Les avatars du Mouvement du 20 février


Par Jaouad Benaissi *
Jeudi 16 Juin 2011

Les avatars du Mouvement du 20 février
Que se passe-t-il au Maroc ? Ma réponse se résume en un seul mot : la colère ! Quelque chose de normal, sans doute, puisque c’est l’aboutissement naturel de l’exclusion sociale, économique et politique non seulement du simple citoyen, mais aussi de l’intellectuel et de l’élite. C’est aussi l’effet immédiat de l’avortement prémédité de la transition démocratique dont le processus a été déclenché en 1998 suite à un consensus entre le Trône et l’opposition. Ceux qui font et défont le pouvoir dans le cadre de ce qu’on appelle « la nouvelle ère » se sont inventé une nouvelle philosophie de pouvoir qui ne conçoit pas que ce dernier puisse s’exercer à travers des institutions issues des urnes ! Suite à cela tout un peuple s’est retrouvé entre le marteau et l’enclume.
Alors ce qui nous est resté, ce n’est pas autre chose qu’une dignité à faire respecter !
Notre colère n’était pas aveugle. Les marches du 20 février ne sont pas allées jusqu’à scander les mêmes slogans qu’en Tunisie ou en Egypte. Les perspectives révolutionnaires ne sont pas identiques. Personne ici ne veut que le changement passe par le feu et le sang. Personne n’a de comptes à régler avec le pouvoir. Tout le monde considère la monarchie comme étant un acquis historique pour le pays. Mais on n’admet pas le fait que des gens se cachent derrière elle et s’en servent pour s’enrichir de façon illégale et tout à fait mafieuse. On n’admet pas que les postes de responsabilité de haut niveau au sein de l’Etat soient l’apanage de quelques  familles qu’on compte sur les bouts des doigts.
Et on n’admet pas le totalitarisme, chose qui ne correspond ni au projet de société porté par le Roi Mohammed VI ni à l’image de démocrate moderniste qu’il a pu se forger au lendemain de son intronisation. Il n’est absolument pas illégitime de rêver qu’un jour la monarchie marocaine puisse devenir un peu comme celle de la Grande-Bretagne. Cela ne diminuera en rien sa valeur symbolique. Au contraire, elle ne sera pas prise pour un fait accompli avec lequel il faudrait composer, mais surtout pour une traduction symbolique de la souveraineté nationale et un conservateur des valeurs aussi bien de l’Etat que de la nation.
Le peuple veut des réformes profondes qui soient de nature à favoriser la mise en place d’un régime parlementaire où la Chambre des députés joue un rôle central et où le gouvernement est responsable politiquement et légalement devant ladite Chambre. Voilà l’esprit dans lequel les marches du 20 février se sont déroulées. La réaction du chef de l’Etat ne s’est pas fait attendre.
Le discours du 9 mars était décevant pour ceux qui ne s’attendaient pas à ce que le roi annonce les grandes lignes d’un réaménagement constitutionnel global selon un timing précis. Il ne les a pas confortés dans leurs convictions. Ainsi, pas de révolution sanguinaire au Maroc. Pas d’effusion de sang. Pas d’anarchie sociale. Pas beaucoup de décalage par rapport aux revendications exprimées lors des manifs !
Cette nouvelle orientation tracée par le discours du 9 mars s’est heurtée à une double résistance. Celle d’un courant agissant de l’intérieur de l’Etat et qui a poussé des « baltagiyas », criminels de carrière de surcroît, à mener des actions de vandalisme contre des biens privés et publics dans le but de nuire à l’image du mouvement spontané de contestations.  D’autres « baltagiyas », non moins criminels de carrière cette fois-ci mais dont la méchanceté donne à halluciner, ont été chargés de créer la confusion à travers le web en accusant les partisans du 20 février d’être antimonarchistes. Du n’importe quoi ! Ils ont failli commettre la bêtise de sortir dans la rue pour exprimer leur «amour pour le Roi» comme si quelqu’un avait remis en cause l’unanimité dont bénéficie la monarchie. J’ai personnellement participé à la marche de février. J’ai vu tous les slogans. Et j’ai vu aussi des gens marcher tranquillement en portant le portrait du Roi. Personne ne s’est senti gêné. Au contraire !
La deuxième résistance est celle opérée par les islamistes de la salafiya jihadia qui ont réagi par le biais d’une opération terroriste au cœur de Marrakech !
L’Histoire nous enseigne qu’il n’existe pas de changement sans résistance négative à ce dernier. Mais dans le cas marocain c’est plus que négatif, c’est néfaste voire catastrophique !
Par ailleurs, le Mouvement du 20 février a commis ce qu’on peut qualifier d’erreur monumentale en termes de stratégie. Je m’explique : la force des mouvements contestataires aussi bien en Tunisie qu’en Egypte consistait en leur spontanéité en ce sens que la mobilisation menée par lesdits mouvements n’a fait l’objet ni de conférences de presse ni de réunions planifiées, et par conséquent contrôlées, dans les sièges des ONG ou des partis politiques. On est resté dans Internet, dans Facebook et les autres réseaux sociaux. Ce qui a permis à chaque personne qui se sentait concernée de participer à la mobilisation générale et à la circulation de l’information. Ainsi il était extrêmement difficile pour les services de sécurité de contenir ce mouvement ou de l’influencer. Au Maroc, on est sorti vite fait du virtuel. Et l’envie aveuglante de prendre le leadership ressenti par certaines jeunes fraîchement politisés, a fait tomber ces derniers dans les mains de ceux que j’appelle les partisans de la révolution assise qu’ils soient de l’extrême droite islamiste ou de la gauche radicale déprimée !
La structuration, par le biais de la désignation, du Mouvement du 20 février ainsi que son instrumentalisation politicienne, constituaient le premier pas vers le sabotage et l’avortement de toute l’expérience. Ce mouvement n’a plus de mystère. Et même Abdelilah Benkirane s’est réjoui d’inviter ces jeunes à se constituer en parti politique. Il n’a pas vraiment tort, ce gars !
  Là, le train a complètement déraillé. On est rentré dans de fausses batailles. Celle menée contre le Festival Mawazine était juste ridicule et le fait d’aller jusqu’à envoyer des lettres écrites aux artistes invités leur demandant d’annuler leur participation au festival, ne laissait aucun doute sur l’influence des barbus sur les soi-disant leaders du Mouvement. On a failli donner l’impression d’être le seul peuple de la planète à agir contre l’art et la culture. Ceci dit, je ne parle de la gestion de ce festival que les gens ont le droit de critiquer ou de remettre carrément en cause. Je ne sais pas comment cette gestion est faite. Mais le fait d’annuler une manifestation artistique d’une telle importance pour l’image du pays, je trouve ça tout simplement pervers et versant dans l’obscurantisme. A un moment, j’ai eu comme l’impression que la bataille contre Mawazine était une question de vie ou de mort pour ces jeunes-là. Et que les réformes constitutionnelles et politiques étaient une question secondaire !
Je m’en fous du 20 février. Ils peuvent se constituer en parti politique ou rejoindre la confrérie de Abdessalam Yassine, s’ils veulent. Et ils peuvent se rattraper en procédant à l’éclaircissement nécessaire. La notion du bloc historique est complètement démodée. On ne fait pas de coalition avec des gens portant un référentiel culturel qui s’inspire des mollahs et qui veut nous faire reculer 15 siècles en arrière. Mais c’est leur affaire. La pourriture est toujours là. L’exclusion est toujours là. Et la colère aussi. Le Marocain observe, attend le changement et reste prudent. Il saura réagir au bon moment. Il fait preuve de l’intelligence qui est la sienne!

* Ecrivain et militant libre


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1.Posté par antaeus le 22/06/2011 16:43
voici un texte clair, lisible, construit et intelligent que j'ai eu le plaisir de lire de bout en bout, et meme si je ne partage pas tout, peu importe, ce n'est pas le plus important. et pour etre honnete,cela change des forums stériles et limite caricaturaux des Yabiladi et autres..

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