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Les Marocains du monde entre apport de devises et dénis de droits


Hassan Bentaleb
Lundi 10 Août 2015

Les Marocains résidant à l’étranger sont à l’honneur aujourd’hui. La raison : la journée nationale du migrant  célébrée le 10 août de chaque année pour rendre hommage aux Marocains du monde qui participent au développement de leur pays et à son rayonnement international.  Leur nombre s’élève actuellement à  plus de 4 millions de personnes contre  3,3 millions en 2003. Un flux nourri essentiellement par le regroupement familial, les études à l’étranger et, accessoirement, par des entrées irrégulières. 
Les Marocains du monde sont présents   sur tous les continents, y compris les Amériques et l’Australie. Une présence fortement éparpillée comparativement à celles des pays voisins mais qui est également marquée par une forte concentration notamment en Europe (France, Espagne et Italie).
Pourtant, la croissance apparente de cette population  dissimule une baisse régulière et continue de ses effectifs dans les pays d’accueil. C’est le cas par exemple en France où le nombre de Marocains est passé de 504.111 en 1999 à 436.846 en 2008, soit une baisse d’environ 13,3% en dix ans.  Un paradoxe qui n’a rien d’extraordinaire. Deux raisons bien simple l’expliquent. D’abord, il y a les opérations de naturalisation qui ont permis aux MRE d’acquérir les    nationalités des pays d’accueil. Ensuite, il y a la définition même du concept d’immigré qui, dans certains pays, n’englobe pas les étrangers nés dans les pays d’accueil.  Un phénomène largement observé surtout en Europe où la migration est en majorité familiale. 
La communauté marocaine vivant à l’étranger se caractérise également par une différenciation pour ne pas dire une opposition, de plus en plus nette entre les différentes générations sur le plan identitaire et sur celui des comportements religieux, culturels et politiques.
De nouvelles générations émergent et ne se considèrent pas uniquement comme les descendants des primo-migrants nés sur place.  Il s’agit de jeunes venus faire des études et qui décident de rester sur place ou de jeunes qui ont, à cause de la crise de 2008, migré vers des pays peu touchés par celle-ci. 
Pour ces nouvelles générations, les pays de l’immigration ne sont plus des «pays d’accueil» comme pour leurs parents, mais des terres natales et des espaces d’exercice de la citoyenneté. Les jeunes Marocains ou descendants de  Marocains se sentent plus chez eux là où ils résident et s’engagent fortement dans les débats sur les questions qui affectent leur vie quotidienne, alors que l’ancienne génération pensait toujours sa présence dans les pays européens comme temporaire, et qu’elle faisait peu d’efforts pour s’intégrer totalement dans les pays d’accueil.
Ces Marocains de l’extérieur représentent un vrai enjeu financier.  Les MRE  sont  l’un des principaux pourvoyeurs de devises pour le Maroc. L’année dernière, ces transferts en provenance  d’Europe se sont élevés à 6,3 milliards de dollars et ont représenté 5,9% du PIB. Le Maroc est classé deuxième pays africain en termes de réception de fonds après le Nigeria (7,4 milliards de dollars). 
 Les transferts des Marocains établis en France arrivent en tête avec 2,138 millions de dollars, le Maroc, l'Algérie et la Tunisie recevant 49% des flux envoyés depuis l’Hexagone vers les PVD. 
L’Italie arrive en deuxième place des pays émetteurs de transferts financiers des migrants avec 959 millions de dollars. Le Maroc, la Chine, la Roumanie, le Nigeria, l'Inde et les Philippines représentent 50% des  flux en provenance d'Italie vers les pays bénéficiaires. 
Les travailleurs migrants marocains qui vivent en Espagne  ont, quant à eux,  transféré 1.719 millions de dollars vers le Royaume au cours de l'année dernière. Le Maroc, la Chine, l'Equateur, la Roumanie, le Nigeria et la Colombie ont reçu 57% des flux ibériques. 
Les transferts des  MRE des Pays-Bas  font partie de 2,6 milliards de dollars transférés chaque année  la plupart du temps vers la Chine, l’Indonésie, la Pologne et la Serbie. 
La majorité des fonds reçus est utilisée pour des biens essentiels –nourriture, vêtements, logement, santé et éducation. Des études montrent cependant qu'il serait possible de consacrer jusqu'à 20% des fonds à l'épargne, aux investissements ou au remboursement de prêts consentis pour monter de petites activités.
Environ 40% des fonds envoyés sont destinés aux zones rurales. Leur envoi joue un rôle de premier plan dans la transformation des communautés vulnérables. De ce fait, on estime que les envois de fonds équivalent à au moins trois fois l'aide publique en faveur des pays en développement.  
Pourtant, cette communauté qui s’exprime peu et évite souvent les feux de la rampe, fait objet de discriminations, de dénis et d’injustice. Et ce sont les femmes qui en paient le prix. Souvent moins instruites ou ayant un faible niveau de qualification, celles-ci souffrent le martyre mais en silence. Il s’agit de 1,6 million de Marocaines émigrées à l’étranger avec leurs familles ou seules en quête d’une vie meilleure et qui représentent aujourd’hui près de 40% des MRE.  D’après une étude menée par Khadija Elmadmad, intitulée «Femmes, migrations et droits au Maroc», ces femmes rencontrent souvent des situations complexes où s’imbriquent l’oppression subie en tant que femmes et celle qui s’abat sur elles en tant qu’étrangères. Une grande partie de ces femmes fait l’objet de discrimination et de stigmatisation. Elles y sont plus exposées que les hommes et sont également victimes de la traite humaine. 
Des entrevues conduites  en différentes  périodes avec des femmes vivant surtout en situation irrégulière à l’étranger (France,  Espagne, Italie, Pays-Bas, Suisse,  Etats-Unis, pays du Golfe ainsi que dans  d’autres pays arabes et d’Afrique subsaharienne) ont fait  état de leur exploitation par des réseaux  organisés de trafic d’êtres humains et de  prostitution. Mais les dénis de droit auxquels elles s‘exposent même quand elles portent une double nationalité, ne sont pas subis que dans les pays d’accueil.
 Les problèmes des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels qu’affrontent les Marocaines de l’étranger sont fréquents tant dans leur pays d’origine que dans les pays de résidence ou de transit.
Ces femmes font face à une série de problèmes au sein de leurs familles, dans la société de résidence, lors de leur transit et une fois de retour au pays : inégalité au sein de la famille, méconnaissance des avancées enregistrées dans le domaine des droits des femmes au Maroc, non-application ou mauvaise application des nouvelles législations protectrices des femmes et des enfants, discriminations dans la vie professionnelle et exploitation, mauvais traitements de la part des missions diplomatiques marocaines à l’étranger ou des administrations marocaines lors des retours au pays, problèmes culturels et d’intégration dans les pays de résidence, xénophobie et exclusion, violences familiale et sexuelle, etc. La souffrance des Marocaines émigrées est à constater également au niveau du travail. Elles sont souvent  recrutées, selon l’universitaire Houria Alami Mchichi, dans des secteurs où  l’invisibilité et la vulnérabilité sont entretenues.  Ces femmes sont embauchées  dans les secteurs des services (entretien et nettoyage, service à la personne et à la famille) et dans l’agriculture.  Des métiers peu valorisants et souvent provisoires qui confortent leur  marginalité et renforcent l’opinion selon laquelle  elles sont là «uniquement pour gagner de l’argent» à n’importe quel prix, a conclu  Houria Alami Mchichi.  











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