“Missa” : L'absurde dévoilé



Les Africains et l’entrepreneuriat


Par Hicham El Moussaoui *
Jeudi 3 Avril 2014

Les Africains et l’entrepreneuriat
Il est coutume de dire que les Africains n’ont pas la culture de l’entrepreneuriat, qu’ils n’auraient pas le goût du risque ni l’esprit d’innovation. Ces jugements culturels déterministes, condamnant les Africains ad vitam eternam à être des acteurs passifs, sont-ils bien fondés ? 
En apparence, notamment en regardant la préférence de la jeunesse africaine pour le fonctionnariat et celle des entrepreneurs pour les activités spéculatives et les projets à rentabilité court termiste, l’on serait tenté de conclure hâtivement que les africains ne possèdent pas l’esprit entrepreneurial. Mais, une fois dit, nous avons le devoir de savoir pourquoi.
De prime abord, entendons-nous sur le terme d’entrepreneur. Selon Joseph Schumpeter, l'entrepreneur est celui qui innove et qui prend le risque de déplaire à la société en brisant la routine et les usages. L'entrepreneur est beaucoup plus qu'un chef d'entreprise, simple administrateur gestionnaire. Beaucoup plus qu'un rentier-capitaliste, simple propriétaire des moyens de production. L’entrepreneur se comprend, suivant I. Kirzner, comme celui qui exerce naturellement  la faculté de vigilance individuelle, permettant la découverte, avant d’autres individus, d’occasions de pur profit, c’est-à-dire de besoins individuels insatisfaits. Ainsi, L’entrepreneur est finalement celui qui :
1) découvre des besoins insatisfaits, 
2) agit pour les satisfaire, et 
3) en tire un profit. 
Cela implique que la pratique entrepreneuriale a besoin non seulement du talent, de la vigilance, mais aussi d’un environnement qui encourage cette pratique. Comment ? Par la reconnaissance d’abord de l’individualité, ensuite de la légitimité du profit, et enfin de l’efficacité de l’initiative privée comme vecteur de création de richesse et d’emplois.
L'émergence de la figure de l'entrepreneur moderne était ainsi intimement liée à l'essor de l'individualisme (pas au sens d’égoïsme) et de l'humanisme, qui garantissaient la reconnaissance de la légitimité de l’initiative et de l'intérêt privé. En effet, les sociétés, où le groupe prime sur l'individu, combattent tout bouleversement de l'ordre social et résistent au changement, voir le sort de Galilée qui osait prétendre que la terre n'était pas le centre du monde. Il faudrait donc que l'on considère avec bienveillance celui qui pense différemment, propose d'autres solutions ; qu'on lui laisse faire les preuves de l'intérêt de ses découvertes. Et surtout, que l'on accepte que l’entrepreneur s’approprie le fruit de son innovation.
Si le moteur du développement est la capacité à percevoir des opportunités économiques et à les saisir, il faut, par définition, que nous soyons libres de les saisir. Sans liberté, il devient difficile pour la population de bénéficier des talents de leurs concitoyens. Une croissance économique plus élevée a plus de chances de se concrétiser dans des sociétés où les gens ont la possibilité de participer librement aux marchés, où ils peuvent exploiter au mieux leurs talents pour améliorer leur bien-être matériel. Cela exige que les règles du jeu soient favorables à l’initiative privée.
Dès lors, si le potentiel entrepreneurial africain n’est pas aussi visible que l’on souhaite c’est parce qu’il est tué dans l’œuf. Et pour cause, un environnement institutionnel (règles du jeu) anti-entrepreneurial. Selon le dernier classement (2013) de la Fondation « Heritage », aucun pays africain, ne figure dans la catégorie libre. Près de 80% des pays africains ne sont pas dans le top 100 du classement Doing Business 2013, mesurant la facilité de faire des affaires. La complexité, la longueur et la cherté des procédures administratives (enregistrement de la propriété, création de l’entreprise, obtention des permis de construire, obtention des licences, etc.), la multiplicité des taxes et des prélèvements, la rigidité des lois font augmenter le coût d’investissement surtout pour les petits entrepreneurs. L’excès des réglementations et leur instabilité, accroit le risque et l’incertitude, ce qui explique pourquoi les entrepreneurs africains se rabattent sur l’informel afin de fuir l’enfer réglementaire et fiscal. Et quand bien même, ils décident d’opérer dans le formel, ils le font dans des activités spéculatives, rentières, bref les moins risquées. Cela est à l’origine du phénomène selon lequel le capital africain est à dominante marchande qui se valorise dans l'échange, et non par un capital productif se valorisant par la production. D’où la faiblesse de l’investissement productif dans les pays africains. Une faiblesse qui s’explique également par le déficit d’épargne (en moyenne pas plus de 9% du PIB en 2003, contre 20% en Asie du Sud).
De même, le cadre institutionnel est défavorable à l’épargne. En effet, avec des États budgétivores, la pression fiscale limite le potentiel de consommation et d’investissement, moteurs de la croissance économique. Pis, l’essentiel du revenu des contribuables est dilapidé dans des dépenses ou des projets publics aussi bien inutiles qu’inefficaces. De même, les politiques monétaires inflationnistes consistant à offrir de l’argent facile et à financer les déficits publics par la planche à billet, ne font qu’exproprier les Africains en érodant la valeur monétaire de leur salaire, leur retraite, leur patrimoine, en nourrissant la spirale inflationniste. Enfin, l’absence de marché financier concurrentiel limite la canalisation de l’épargne vers des investissements productifs de long terme. Bref, cet environnement institutionnel anti-investissement et anti-épargne explique pourquoi le potentiel entrepreneurial africain ne se concrétise pas dans les faits. Pensez juste à Steve Jobs d’origine syrienne : aurait-il pu devenir l’emblème de l’entrepreneur s’il avait évolué dans l’environnement institutionnel syrien au lieu de l’environnement américain?
Ainsi, au lieu de se complaire dans la résignation et le défaitisme culturels, il est temps que les dirigeants africains assument leur responsabilité et entreprennent les réformes institutionnelles nécessaires pour promouvoir l’épargne, l’investissement, la liberté économique, et permettre enfin aux Africains d’exprimer l’étendue de leur talent entrepreneurial.
 
* Maître de conférences 
à l’Université de Béni Mellal 
et analyste sur Libre.Afrique.org


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