Leila Shahid déléguée générale de l’Autorité palestinienne auprès de l’UE à Libé : “Le rejet de l’Autre, qu’il soit noir, arabe ou musulman revient avec une force inouïe”


Propos recueillis par ALAIN BOUITHY
Lundi 2 Juillet 2012

Leila Shahid déléguée générale de l’Autorité palestinienne auprès de l’UE à Libé : “Le rejet de l’Autre, qu’il soit noir, arabe  ou musulman revient avec une force inouïe”
Déléguée générale de l’Autorité palestinienne auprès de l’Union européenne, Leila Shahid compte parmi les fervents défenseurs de la cause palestinienne. Cette militante
est intervenue
récemment au Forum sur les «Sociétés en mouvement, cultures en liberté», organisé dans le cadre du Festival Gnaoua et musiques du monde à Essaouira. Nous l’avons rencontrée. Entretien.


Libé : « Le rejet de l’Autre revient avec une force inouïe » déplorez-vous lors de votre intervention au Forum d’Essaouira. Quelles sont les situations qui vous inquiètent particulièrement ?

Leila Shahid : Je travaille à Bruxelles où je représente la Palestine auprès de l’UE, d’où je suis l’évolution des opinions publiques dans plusieurs pays européens. Je suis effarée de voir combien la peur de l’Autre, qu’il soit  noir, arabe, musulman, homosexuel revient sans inhibition. C’est grave pour moi qui suis le produit d’une éducation cosmopolite : tout en étant palestinienne née au Liban et de culture musulmane, j’ai été à l’école française et j’ai vécu beaucoup au Maroc de par mon mariage.
Je trouve qu’il y a une régression terrible qui a bien sûr commencé  fondamentalement, avec toute cette théorie de clash des civilisations qui a été défendue par le président George Bush Jr et tous les néo-conservateurs américains.
On avait pensé qu’avec le désastre de la guerre en Irak et en Afghanistan, ce discours du rejet de l’Autre, d’un axe du bien contre l’axe du mal est terminé, mais il revient en force. Au moment où aux Etats-Unis on a l’impression qu’il s’est un peu calmé avec l’élection du président Barack Obama, il y a des inquiétudes en Europe et principalement en France et en Belgique. Mais aussi en Norvège où le jeune Anders Behring Breivik, a assassiné 77 jeunes en prétendant qu’il le faisait parce que le gouvernement socialiste norvégien accueillait trop d’émigrés musulmans. Si ce n’est pas là un signal d’alarme, qu’est-ce que c’est ?
Nous avons vu le débat en France pour les élections présidentielles et législatives se focaliser beaucoup sur le danger de l’immigration, le danger d’une culture musulmane qui s’est fixée sur l’histoire de la burqa, alors qu’en France, il n’y a pas cent femmes qui la portent. C’est dire combien c’est grave.
Aujourd’hui, le FN (Front national), le Vlaams Belang en Belgique mais aussi les mouvements racistes en Scandinavie, en Norvège ou au Danemark reviennent en force.

Dans ce cas, que faut-il faire?

Je pense qu’il faut être vigilant du fait que dans les moments de crise économique et sociale, il y a un rejet qui vient se greffer sur des préjugés à caractère racial, ethnique et religieux. C’est exactement ce qui s’est passé en Allemagne juste avant l’arrivée des Nazis. Il y a des peurs qui remontent et c’est bien sûr toujours «l’Autre qui nous vole notre travail», qui «menace notre sécurité économique». C’est pour cela que le FN monte dans les élections puisqu’il a aujourd’hui deux députés à l’Assemblée nationale française.
Bien sûr, il faut des réponses économiques aux problèmes économiques; il faut des réponses politiques aux problèmes politiques. Mais il faut aussi un travail de décryptage tel que l’a fait Pascal Blanchard (NDR, cet historien et chercheur a réalisé plusieurs expositions sur le thème de la colonisation et de l'immigration) à travers l’exposition «Exhibitions, l’invention du sauvage» au Musée du Quai Branly. A ce propos, je salue le travail de Lilian Thuram qui, depuis longtemps, a décidé d’investir sa notoriété pour une pédagogie dans la reconnaissance de l’Autre et de l’analyse sur l’origine de la peur parce qu’il y a des gens qui manipulent la peur.

Pensez-vous que les débats qui ont émergé lors de ce Forum peuvent contribuer à améliorer les choses ?

Ce genre de débat est important, parce qu’il permet d’établir des complicités entre les acteurs de la société. Certes, il faut se faire à l’évidence qu’on ne va pas changer l’opinion publique avec quelques dizaines d’intervenants dans un colloque. Mais le choix fait par ce forum est pertinent parce qu’il met côte à côte des ministres qui veulent bien travailler avec la société civile, les médias, les militants et les artistes présents à Essaouira. Je pense que nous avons besoin de ce genre d’alliance pour gagner nos batailles, d’autant plus qu’elles sont très difficiles du fait qu’elles vont à contre-courant de la panique ambiante. Laquelle n’est pas africaine mais mondiale. Du moins, elle sévit au cœur de l’Europe où la crise de l’euro peut ébranler les certitudes les plus ancrées.
Donc, nous avons besoin d’avoir un réseau d’alliances vraiment large pour gagner nos batailles. Je pense que nous en avons créé dans ce forum et qu’il faudra maintenant qu’on les mette en pratique à travers des projets que nous devrons mettre en œuvre.

Parlons justement des batailles, il y en a une qui vous est très chère : la cause palestinienne. Quelle est la place de la culture dans ce combat ?

La Palestine, ce n’est pas seulement une bataille pour créer un Etat palestinien, comme tous les Etats du monde. C’est aussi emblématique de ce qu’on appelle la coexistence, ça veut dire le vivre ensemble. Si les Israéliens et les Palestiniens pensent coexister dans une reconnaissance et un respect mutuels au cœur de la Méditerranée, cela veut dire que toutes les autres cultures autour peuvent exister ensemble : les Berbères, les Arabes, les musulmans et les chrétiens. Mais aussi dans le monde : les Noirs, les Blancs, les Asiatiques...
Je pense que la cause palestinienne est emblématique de cette capacité ou incapacité à vivre ensemble. Parce que si on ne résout pas le problème de la Palestine, on aura prouvé l’incapacité du monde à faire vivre ensemble les peuples du monde. C’est pour cette raison qu’elle prend une forme importante dans la psychologie des citoyens du monde, au-delà des frontières d’Israël et de la Palestine.
La culture dans ce combat des Palestiniens a toujours joué un rôle très important parce qu’elle est immatérielle et donc on la transporte avec soi là où on est. Est-ce que vous réalisez, par exemple, que les 2/3 de la population palestinienne qui est de 10 millions d’habitants, vivent dans la diaspora. Cela veut dire que cette population de  6 millions de Palestiniens (par rapport aux quatre millions qui vivent en Israël et dans les territoires occupés) porte avec elle sa culture, son identité et ses valeurs qu’elle défend là où elle va. Notre combat étant avant tout un combat pour la reconnaissance de notre identité. Il est évident que notre combat est d’affirmer que nous existons, que nous avons une identité, une histoire et que nous avons surtout un présent et un avenir.
C’est dire que notre combat ne peut que passer par la culture, parce que l’identité c’est aussi comment on danse, chante, rêve, quel genre de poésie on écrit, quelle est la musique qu’on aime et la mémoire qu’on transporte avec soi. Pour toutes ces raisons, la culture a été une planche  de salut pour les Palestiniens parce qu’elle leur a permis, au-delà du fait qu’ils ne sont pas encore reconnus comme Etat, d’être reconnus comme une identité culturelle et nationale.

Vous avez connu et côtoyé le président Yasser Arafat. Quelle était sa conception de la culture ?

J’ai eu la chance et le bonheur de côtoyer le président Yasser Arafat pendant de longues années. Ce que je trouvais extraordinaire en lui, c’était son ouverture d’esprit. Il disait d’ailleurs: « Je suis l’héritier des Hébreux qui étaient en Palestine du temps d’Israël biblique, je suis l’héritier des premiers chrétiens qui ont habité cette terre, je suis l’héritier des musulmans qui sont passés par là, y compris les Turcs. Et je suis le Palestinien d’aujourd’hui et donc je suis la stratification de toutes ces identités ». Qu’il portait en lui. Bien qu’étant musulman croyant et pratiquant, il portait autour du cou une petite chaîne dans laquelle il y avait autant la médaille de Sainte Rita, faiseuse de miracles, autant que les versets du Coran et une croix de Lauren qui lui avait été donnée par le président Charles De Gaule. Donc, il était très œcuménique tout en étant très pratiquant.
Cette sagesse-là, est celle de la génération du président Arafat qui s’est battu comme tous les grands dirigeants de l’Afrique pour la cause des pays colonisés par les Portugais, Français, Anglais et Espagnols. Ainsi que celles du Vietnam et du Cambodge.
Je pense que Yasser Arafat appartient à cette génération de la décolonisation qui est beaucoup plus ouverte sur la culture diversifiée, multidisciplinaire et globale alors que certains dirigeants d’aujourd’hui ont une vision un peu étriquée de l’Etat-nation.
Le président Arafat s’est beaucoup battu pour avoir un Etat. Il savait que ce n’était pas facile mais il avait le sentiment aussi qu’il était le citoyen du monde. Je me demande si aujourd’hui  nos dirigeants ont encore la capacité d’être citoyens du monde.

Quels sont les principaux projets soutenus par l’Union européenne pour promouvoir la culture en Palestine?

La Palestine, comme tous les Etats membres de l’Union pour la Méditerranée (43 pays), est liée par un accord d’association avec l’UE qui est le premier donateur de la Palestine au niveau du financement des projets d’infrastructures. Nous avons un plan d’action signé officiellement par le représentant de l’Autorité palestinienne d’un côté et l’UE de l’autre, et des projets de coopération dans les secteurs économique, agricole, éducatif et sanitaire. Nous avons un financement de l’UE qui nous permet de mettre en œuvre ce plan d’action. Il y en a aussi avec Israël qui sont bien sûr avantageux pour les Israéliens parce qu’Israël est un pays très avancé sur le plan industriel et économique. Mais, le seul obstacle à la mise en œuvre de ce plan, c’est l’occupation militaire. Il faut cependant revenir à la solution de cette occupation pour permettre la mise en œuvre de tous ces projets que nous avons avec l’UE.


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1.Posté par MERRIEN Dominique le 12/12/2012 06:39
Lisez l'ouvrage d'Henri PROCHOR (qui vient de paraître) : PALESTINE-ISRAEL : VERS UNE PAIX HISTORIQUE.
Vous y trouverez des voies très originales pour réussir la coexistence des cultures israélienne et palestinienne au Proche-Orient.
Avec une préface de Stéphane HESSEL en prime !

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