Le récit du temps des illusions


«Hot Maroc» de Yassin Adnan est l’histoire d’un Maroc replié sur ses déchirements internes tout en étant connecté à la New World

Par Rachid Elyacouti
Samedi 30 Avril 2016

Yassin Adnan est un homme de lettres qui ne se laisse pas embarbouillé par les ondulations de son âme de poète. A la musicalité de la rime, il préfère cadencer ses mots au gré des faits qui impriment intensément la réalité. Il ne se cantonne pas à un style figé dans l’écriture et fait feu de tout bois. N’en déplaise aux métaphores de la poésie et à ses affiquets esthétiques. Serait-il un «penseur ouvrier» ? Ainsi l’aurait catalogué Théodore de Banville, ainsi s’identifie délibérément son métier d’écrivain : aiguiser au fil des expériences vécues ou subies ses matériaux d’écriture, en faire son chantier de réflexion et d’expression. En publiant son premier roman «Hot Maroc», aux éditions Le Fennec 2016, Yassin Adnan assoit définitivement son statut d’écrivain, ouvert aux multiples genres. 
«Un cygne ne peut donner naissance à un écureuil avec une mante religieuse, telle est la loi de la nature; une loi qui fonctionne selon un format clair. Qui aurait prétendu que les destinées des êtres humains seraient tracées au gré de cette loi? Et Rahal ? Est-il vraiment un écureuil ? N’est-il pas un rat masqué sous la queue d’un écureuil ? Pourtant, c’est un roman de personnes et non d’animaux. Un roman qui raconte le Maroc et ses mutations, Marrakech la cité/le verger; cette cité victime d’une ruralisation et d’un génocide de ses arbres..» C’est ainsi que l’éditeur présenta l’œuvre de Yassin Adnan qui relate, dans un style pittoresque, le Maroc des années 90. C’est une satire des mœurs de la société actuelle où l'auteur attaque les vices et les ridicules de son temps.
Dans sa description du pays, Yassin Adnan nous dresse le portrait de personnages s’attardant sur leurs cadres de vie et la structure de leurs pensées. Cela contribue certainement à mieux décrire et comprendre l’atmosphère sociopolitique qui couvait dans un pays en pleine mutation. Un Maroc où les antagonismes proclamés entre les forces politiques vives de la société sont menés -par procuration- entre les composantes estudiantines. Dans le harem du savoir, les étudiants livraient, à coups d’altercations verbales et physiques, une confrontation idéologique des plus acerbes. Des plus stériles aussi. Qui aurait pu imaginer que des virtuoses de la pensée humaines tels que Mahdi Amel, Cadi Ayyad et Amr Ibn Kulthoum, titulaires de sciences humaines diamétralement opposées et émergents d’époques différentes, soient associés, dans un décor quasiment surréaliste, aux tensions idéologiques, attisées sur la terre des Almoravides? 
L’œuvre s’inscrit dans un contexte historique assez complexe. La succession de rebondissements, de coups de théâtre et de paradoxes de tout bord; la pénibilité de décortiquer les messages qui fusent de toute part, sans leur attribuer une connotation politique. Cette complexité instaurée par la force des pouvoirs qui conduisent un Maroc à la croisée de chemins incertains, plane lourdement dans les bas-fonds d’une société à la dérive. Dans ce contexte, la temporalité du récit s’attèle à la vitesse effrénée des évènements. Une cadence qui reflète un peu la nature même du romancier. Yassin Adnan est de ces rares écrivains qui mettent leurs réflexions sur les rails d’un TGV et refusent de s’ankyloser autour d’un événement ou dans l’engrenage d’une situation. Le narrateur inscrit les événements de son récit dans un cadre spatio-temporel, composé de sous-épisodes. Deux espaces principaux (l’université et le cybercafé) se partagent ce récit et où converge le roman historique, biographique et réaliste. Mais «Hot Maroc» n’est pas que l’histoire d’une époque dans un pays en pleine mutation. C’est surtout «l’histoire» de personnages de petites natures se trimballant de la réalité à la fiction, de la société à la faune et enfin d’un Maroc replié sur ses déchirements internes à un Maroc connecté au New World.
Rahal Laâouina, le personnage principal du récit, incarne à lui seul l’oisiveté des temps et la stérilité des esprits. C’est un héros ordinaire, voire médiocre, qui manque de grandeur. Un anti-héros qui incarne la lâcheté et le complexe d’infériorité dans la vie réelle. Par ses actes empreints de servilité et d'obséquiosité, il contribue fatalement au prosaïsme de la réalité. Il n’est pas fan de péripéties. Quand bien même, il s’y trouve accidentellement impliqué. Sa destinée fut beaucoup plus l’œuvre de la Providence que de sa propre volonté; néanmoins il sut compenser ce handicap en bâtissant dans ses rêves des exploits monumentaux. Des bâtisses dont il n’aurait jamais pu être un simple ouvrier dans la réalité. Pour Rahal, tous les êtres qu’il côtoie ne sont que de piètres figures effacées qui dissimulent derrière leurs caractères mimiques et psychologiques toute une faune d’animaux : Abdeslam la mante, Halima le cygne, Aziz le lévrier, Mourad la gerbille, Atika la vache, Bouchaïb l’éléphant, Alyazid le chien, etc. La pieuvre et la chamelle, choisies comme symboles électoraux par deux partis politiques, nous amènent dans le zoo électoral marocain.
 C’est une «comédie animale» qui permet de dénuder, avec beaucoup de nuance et pas mal d’humour, l’animalité de l’humain. 






 


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