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Le livre : Théocratie populiste, l’alternance, une transition démocratique?


Mercredi 10 Septembre 2014

Le livre : Théocratie populiste, l’alternance, une transition démocratique?
En examinant les raisons de mon exclusion et de l’ostracisme dont je fus l’objet, je découvris la cause profonde de ce rejet : mes travaux étaient l’antithèse parfaite de l’effort de traditionalisation inlassablement développé depuis l’indépendance. 
Cette traditionalisation hait toute modernité, qu’elle soit celle du socialisme, de la séparation des pouvoirs, ou de la méthode utilisée en sciences humaines. Écrire un livre foucaldien sur Ghazālī, écrire encore que sans séparation des pouvoirs il n’y a pas de Constitution, ou encore que la servitude est l’antichambre de la mort, en quoi cela peut-il gêner un État qui se dit libéral, s’il l’est ? Comment peut-on parler d’une agression quelconque de son ordre symbolique ? En soulignant l’impasse des conflits théologiques, je montrais la nécessité de respecter la personne humaine. 
Tout cela semble si banal. Ceux qui classent les livres en dangereux et inoffensifs se condamnent à une ignorance périlleuse ; il est irresponsable de méconnaître le mouvement conceptuel dans le monde : il est avéré que certains dirigeants arabes (S. Hussein, M. Kadhafi, etc.) préféraient s’exposer aux bombes qu’à un discours critique.
  Au Maroc, ceux qui analysent les problèmes politiques et sociaux passent pour en être l’origine et la cause, tel un patient qui imputerait à son médecin la responsabilité des symptômes qu’il détecte. Lorsqu’on écrit pour expliquer la nécessité des réformes, les censeurs disent qu’on les rend inévitables ; irrités par mes ouvrages, ils les lisent en proie à la colère et passent à côté de l’essentiel ; la censure est obtuse. Mais qui veut soustraire son action à la critique et au commentaire devient la victime de tout discours, aussi peu exact soit-il, parce qu’on juge que son intolérance l’a disqualifié. 
Le monde arabe est souvent décrit de façon caricaturale, il en est responsable. Les seuls encouragements que je recevais étaient du genre : «Si vous voulez publier, vivez ailleurs; vous êtes dans l’engrenage; on va vous filtrer; ne rentrez pas au Maroc; retournez d’où vous venez». «Quittez le Maroc!» me fut répété tant de fois, heureusement par des gens incultes; ceux qui me conseillaient de m’expatrier avaient une si piètre idée du Maroc qu’à côté d’eux je paraîtrais un nationaliste fanatique. Lorsque la police politique exige que les écrivains critiques quittent le pays, elle ne craint pas la déchéance du Maroc, puisque l’écriture c’est la seule chose, après la loi quand elle existe, qui empêche la destruction des valeurs. Si écrire implique l’exil et si on ne peut légalement renoncer à la nationalité marocaine, que faire ? Les plus subtils parmi les agents de la répression disent : « Ne précipitez pas les choses; la démocratie arrivera inéluctablement. » Mais, si on n’en parle pas, elle ne sera jamais là. Une fois, j’eus une conversation déconcertante avec l’attaché culturel des Etats-Unis au Maroc Mme J.B; c’était en septembre 1993 (à l’époque, l’Administration Clinton voulait promouvoir quelque peu les droits de l’Homme); je venais de donner une conférence sur Thomas Jefferson; elle me demanda si je ne craignais pas pour ma vie. Etait-ce ça l’image du Maroc dans les chancelleries étrangères? 
Que savait-elle au juste ? Il est naturel de croire ce qui nous arrange et est conforme à nos désirs et il est douloureux d’imaginer le pire, le pire que l’on peut pressentir et intuitionner, telle cette ombre longiligne, portant casquette (juillet 1992). C’était autre chose qu’un rêve. Les phantasmes qu’on peut avoir au sujet des attentats, de la surveillance et de l’espionnage peuvent être fondés, mais ils sont aussi des états d’âme démoralisateurs. 
«Votre problème sera immédiatement réglé». Finalement, on me permit d’enseigner dans une université pilote, organisée selon le modèle anglo-saxon, encadrée par de nombreux professeurs étrangers et qui recevait la visite des ambassadeurs accrédités à Rabat : on voulait montrer ce que faisait l’Etat pour l’éducation. On voulait aussi faire de moi un bureaucrate, un doyen. A cette condition, j’aurais eu des droits. La preuve : le ministre de l’Enseignement supérieur, monsieur Driss Khalil, s’engagea en juin 1997, devant témoin, il s’agit du député socio-démocrate, A. Belkébir, à régulariser ma situation administrative puis se rétracta après la publication de mon ouvrage. 
Dès que “Pensée et devenir du monde arabo-islamique” parut, il ne fut plus question de régularisation. Si je m’étais abstenu de cet effort, on m’aurait récompensé, j’aurais eu beaucoup de mérite en ne faisant rien ! C’est à méditer pour qui veut comprendre quelle logique est celle du Makhzen. Je ne voulais pas être doyen dans un pays ennemi des livres. Je ne voulais pas être doyen parce que je ne voulais pas renoncer à écrire et ce poste m’aurait ennuyé puisque tenir les autres en main n’était pas mon fort. Le refus d’un destin de bureaucrate m’exposa à toutes sortes de pressions. 
Lorsque je mentionnai mes problèmes au président de l’Université (R.B.), sa réponse fut que tous les pays arabes étaient des dictatures. Il signifiait que le Maroc n’était pas meilleur ; qu’il fallait accepter son sort comme étant normal, etc. A la veille des élections législatives de 1997, celles qui devaient mener à l’élargissement du cadre politique marocain, je décidai d’autoriser un quotidien national à publier le chapitre XIV de “Pensée et devenir du monde arabo-islamique”, entièrement consacré à une nécessaire ouverture démocratique. 
Que ne fut ma surprise de me voir convoquer par un haut responsable académique qui était déjà au courant de tout et qui me menaça (!) si ce chapitre était publié « de régler mon problème comme je le souhaitais, et de me faire réintégrer à la Faculté de Marrakech », tout en me faisant comprendre que là je serai exposé aux islamistes, dans le sens de représailles organisées. Il me dit en substance que j’aurai affaire aux islamistes de Marrakech. Il faisait mine de me rendre justice pour me frapper davantage. 
Il m’imposait de renoncer à ma liberté d’expression. Celui qui me menaça ainsi m’appelait toujours pour parler aux Américains de la civilisation islamique parce que j’en donnais une image tolérante et savait que je n’étais absolument pas hostile à l’islam: il me disait donc qu’il pouvait persuader des fanatiques du contraire, juste pour se débarrasser d’un écrivain soucieux de démocratie. Cela se passait en septembre 1997; les années de plomb étaient supposées révolues, non ? C’est quelqu’un qui avait été nommé par Dahir qui me tint ces propos et s’il le fit, c’est qu’on lui dit de le faire. Les menaces de mort ne font-elles pas partie des violations des droits de l’Homme ? Dois-je poursuivre W.B. pour menaces de mort ? S’il y avait une réelle séparation des pouvoirs, j’aurais poursuivi le ministère qui m’avait révoqué en 1995 et j’aurais poursuivi ce très haut responsable également. Mais si elle avait existé, il n’y aurait pas eu des abus aussi criants. J’écrivis immédiatement au journal pour suspendre la publication du texte ; pourquoi jouer au héros dans une aventure où il n’y en avait pas. 
Ce serait idiot de mourir pour la démocratie aujourd’hui parce que ce régime domine le monde. Et atteindra tous les récalcitrants. Tôt ou tard, la démocratie sera acceptée par tous, ou imposée à tous. À noter que ces islamistes qu’il me présentait comme ses alliés, se manifestèrent de façon intempestive à Casablanca en 2003. 
On me conseilla de consulter un expert juridique pour voir si le Tribunal administratif pouvait statuer sur mon cas ; le légiste me signifia que puisque je n’avais pas recouru dans un délai de 2 mois, j’avais perdu tous mes droits en ce sens que passé ce délai toute violation du droit devenait légale. Si on réprouve tes idées, on te punit ; sans risque, puisque ton recours, c’est encore eux-mêmes, et qu’ils s’entendent à être solidaires contre un individu isolé. A ceux qui parlent le langage du droit, on applique la loi interprétée ad libitum et on couvre un abus par un autre.  


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