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Le livre : Théocratie populiste, Puissance de l’Etat-Makhzen


Vendredi 25 Juillet 2014

Le livre : Théocratie populiste, Puissance de l’Etat-Makhzen
Au-delà de cette flexibilité du Makhzen, celui-ci s’appuie sur le clientélisme : la cooptation des élites est une activité incessante; leur domestication est assurée par des avantages en tous genres, des alliances matrimoniales, des pressions et une force coercitive.
Il n’y a pas eu d’exception pour l’USFP de même qu’il ne saurait y avoir une pour Al Adl Wal Ihsane : la monarchie est parfaitement capable de se faire entendre de toute organisation marocaine, quelle que soit la stratégie qu’elle adopte. Mais l’élite intégrée demeure limitée en nombre (une nomenklatura). Chaque membre de cette clientèle n’entretient qu’un petit groupe autour de lui; il y a donc un nombre impressionnant de ceux qui sont hors du circuit; ceux qui veulent créer un réseau d’influence en dehors de la structure clientéliste du pouvoir en sont pour leurs frais.
L’obéissance est ce qui a le plus de valeur pour l’Etat, autant que la loyauté, et le système d’éducation est conçu, il faut le souligner, pour former l’esprit à l’obéissance (au primaire, l’éducation religieuse et civique l’emporte sur les sciences et les mathématiques). Plus on est haut placé dans la hiérarchie sociale ou intellectuelle et plus l’obéissance est récompensée. Cette exigence d’obéissance a une justification historique : les dissensions entre tribus et le refus de celles-ci d’être taxées menèrent à la colonisation. S’agit-il des bienfaits de l’obéissance tels que Hegel les mentionna en disant que seule la contrainte impitoyable de l’Etat put policer l’esprit noueux des Allemands.
Non, parce qu’il pensait aux serfs incultes du Moyen-Age; quant au Makhzen, il veut obtenir l’obéissance des élites éclairées. C’est différent et pénible. La désobéissance peut donc coûter cher car à tous les postes-clés, il y a des gens extrêmement obéissants ; gare aux dissidents! Ils sont supposés connaître les risques et jouer le jeu dans un jeu aux règles implicites. Mais l’obéissance au détriment de l’esprit critique est une catastrophe; l’obéissance fut utilisée pour renverser le régime; des sous-officiers finirent à Tazmamart pour leur désobéissance: s’ils avaient bien compris ce qui se passait et s’ils avaient des valeurs citoyennes, ils n’auraient pas suivi les putschistes.
Mais les Marocains sont éduqués pour se défier de l’esprit critique, pour l’assimiler à l’athéisme et à l’insulte, de même qu’ils confondent analyse et impertinence ou manque de respect.  Le clientélisme est l’antithèse de la citoyenneté. Certes, il est inévitable et existe partout, mais la différence entre les États musulmans et les États occidentaux, c’est le poids du clientélisme dans le monde musulman.
Les musulmans ne sont pas comme les anciens mawālis (des citoyens de deuxième catégorie) mais souvent des clients. Il y a à cet égard quatre options par ordre croissant d’aliénation : - résister au clientélisme et le dénoncer; - se tenir à distance et s’isoler des rouages de la clientèle; - attendre le moment opportun pour la transaction et ne pas faire de faux pas; - sacrifier amis, frères, collègues pour être admis dans le réseau.
Du temps du Roi Hassan II, la loyauté vis-à-vis de l’État devait l’emporter sur la loyauté à la famille et donc, dans ce contexte, l’Etat ayant plus de légitimité que les familles, la notion de traître au sein d’une famille (un indicateur qui aurait renseigné la police sur ce que pensait un de ses proches parents) ne signifiait rien; certes, l’éducation reçue ne reconnaissait pas ouvertement la supériorité axiologique de l’Etat sur la famille. Durant les années de plomb, les clients géraient auprès des services de la police politique les rebelles, les opposants et les non-clients : les Marocains étaient loin de leur identité et de leur être, servis ou asservis par une élite sécuritaire experte.
Données géopolitiques fondamentales
Les enceintes géopolitiques de protection du Maroc sont constituées par des relations exceptionnelles avec les Etats-Unis et la France, de nombreux pays du Golfe et Israël qui contracta une dette perpétuelle vis-à-vis de la dynastie alaouite eu égard à la position de Mohammed V contre les lois de Vichy, ce qu’il faut saluer ici.  Depuis l’indépendance, l’Etat marocain bénéficia du soutien des Etats-Unis qui lui permit de défier De Gaulle (1965-1969); d’empêcher ensuite, avec le concours de la France, l’Algérie d’intervenir militairement contre le Maroc (après les soubresauts de 1971 et 1972 et l’insurrection de 1973, il aurait été opportun pour H. Boumediene d’attaquer le Maroc  dès 1974); de narguer et de snober Mitterrand, la liste est longue. Chirac accorda un soutien sans faille à Hassan II; avant lui, Giscard d’Estaing avait agi de même.
Hassan II exerçait une influence inattendue sur la vie politique française grâce à son financement du candidat Chirac qui ne faisait pas l’unanimité dans son pays.
Et si le bon citoyen français est indifférent à l’autoritarisme qui sévit dans les anciennes colonies, il ne manque pas d’être atteint chez lui par la victoire de politiciens de droite qui doivent beaucoup aux potentats du tiers-monde. Ce système n’est pas nouveau; déjà El Glaoui, par le même procédé, avait acheté une demi-douzaine de sénateurs et autant de députés. D’où cette conclusion à l’usage d’une gauche française myope : si celle-ci ignore la cause des démocrates du Maroc et d’ailleurs, il se peut, comme ce fut le cas sous le règne du Roi Hassan II, que les candidats de droite reçoivent une aide substantielle et décisive contre ceux de la gauche.
On voit aussi que la conservation d’un système traditionnel de pouvoir peut avoir un coût exorbitant pour le contribuable marocain: on ne peut exclure d’autres financements que l’on ignore pour le moment. Toujours est-il que toute victime des droits de l’Homme au Maroc avait beaucoup de mal à se faire entendre en Europe. Il n’y eut que Mitterrand qui osât quelques coups de griffes assez cuisants, plus de dépit que d’hostilité, quoiqu’on ne puisse exclure une sourde rancoeur vis-à-vis de celui qui appela à voter Giscard, et soutint financièrement tous les adversaires de Mitterrand.
Si l’on ne peut écarter son implication dans le projet de Gilles Perrault de détruire l’image du Roi Hassan II en Occident, Mitterrand lui-même blâmait la «cruauté inutile» du Souverain, force est de constater que l’ouvrage iconoclaste fut écrit immédiatement après la Guerre froide. En outre, la France activait son déploiement économique et culturel dans les pays de l’Est nouvellement autonomes et se désengageait sensiblement du Maghreb.
Au lieu que la fin de la bipolarisation eût pu durablement nuire à la monarchie comme le redoutait Hassan II, elle la servit grâce au concours inespéré de l’islamisme radical qui prit la chute de l’Union soviétique pour un signe divin annonciateur d’un pouvoir islamique universel, et voulait hâter celle des Etats-Unis. Suite aux attaques du 11 Septembre, ceux-ci cherchèrent des alliés inconditionnels parmi les pays musulmans, et le Maroc en fut un. En fait, même avant celles-ci, le Maroc était considéré comme un partenaire important par Washington. Bill Clinton et Jacques Chirac assistèrent aux funérailles de Hassan II: ils vinrent donner un message clair à l’Algérie.


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