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Le livre : Théocratie populiste, Potentialités politiques selon l’histoire


Lundi 21 Juillet 2014

Le livre : Théocratie populiste, Potentialités politiques selon l’histoire
Est-il nécessaire de parler de ces bourgeois fassis qui te demandent d’abord qui est ton père avant de s’enquérir de ton opinion? Tout cela culmine dans un cynisme et une haine du pays plus répandus que l’on ne veut le reconnaître, témoin ce dialogue. J’annonce à untel, coiffeur de son état : «- On n’est pas loin de régler définitivement cette question du Sahara, réjouis-toi! - Al-Sahara dācat, ḥnā mayanqsnā walū; jāt maghadi narbhu walū! Si on perd le Sahara, on ne manquera de rien et si on le garde, on ne gagnera rien! - Ce territoire, il nous appartient depuis le XIe siècle. Ses ressources seront bénéfiques à tous. 
- Arrête! On a dit la même chose au sujet des phosphates [qu’ils allaient apporter la prospérité aux Marocains]! Aujourd’hui, il y a du poisson partout sur les côtes marocaines et il est hors de prix au Maroc ! - Tu n’es pas fier d’être marocain? - Je suis de passage ici; je survis seulement; si j’arrête de travailler un seul jour, je crève. Ils nous tuent à petit feu. Khaddamīn kayqutlu fina carq bi carq». Ce monsieur n’est pas un ignorant. Il lit son journal chaque jour. 
Il est simplement en colère parce qu’il se sent abandonné. A l’image de la classe politique, les Marocains sont des êtres pressés par le désir : ils veulent s’enrichir indûment, accaparer injustement, bénéficier de passe-droits et de pistons, et quand ils le peuvent, user de malversation (concussion, détournement). Ce goût du lucre est général; il n’épargne ni les petits ni les grands. Peu de gens veulent servir le Maroc; la plupart pensent à leur intérêt d’abord. On voudrait que la malhonnêteté, les magouilles, les passe-droits servent à tous, que tous en bénéficient, ça c’est porteur; seule une petite catégorie veut moraliser la vie publique. 
Il y a comme une sanctification de l’enrichissement rapide : il est signe de l’élection par Dieu; il est rarement vu en tant que matérialisation de la plus-value ou résultat de la corruption, ou encore de l’accaparement. Le Marocain ne craint ni la colère d’autrui ni la loi; il s’arrange toujours avec sa conscience et les détenteurs de l’autorité. Dans la précarité, il n’y a pas de valeurs absolues. On pense à la survie même si on expose ses semblables; même si on sent une identité sociale avec autrui on peut le sacrifier et servir celui qui paie, qu’il soit injuste ou violent. 
Les pauvres blédards se nomment les uns les autres shaybi, c’est le partner du Western ; le compagnon qu’on laisse tomber à la moindre occasion. Ceux qui ne sont pas tenaillés par la précarité sont la proie de l’avidité et de la convoitise. Ajoutons aussi le mépris des femmes et des intellectuels ; tout ce qui est complexe ou savant, le Marocain le nomme gribouillis (tkharbiq); ajoutons cette attitude esclavagiste chez les plus fortunés et même chez les petits bourgeois. 
La société marocaine est tissée de violence discrète ou criarde mais omniprésente et il vaut mieux ne pas trop compter sur les relations familiales; quant à l’amitié, c’est un marécage; votre seul espoir est de rencontrer quelqu’un qui veut vous aider pour se rapprocher de Dieu et vous êtes sauvé ! Encore faut-il qu’il juge que vous êtes un bon musulman. Les Marocains n’ont pas une culture du risque; parés de la croyance que Dieu les protège et que n’arrive que ce qu’il décide, ils n’analysent le risque ni sur la route, ni à l’usine, ni chez eux ; cette attitude se transmet à l’environnement et aux infrastructures : le Marocain n’use pas pour pouvoir utiliser à nouveau; il use pour disloquer, détraquer, détruire afin que les autres soient bien embarrassés. 
Mais si vous lui dites que les autres, c’est lui-même, puisqu’il appartient à leur communauté, il vous rira au nez. L’idéal serait que les Marocains aillent vivre en Suède pour bénéficier d’infrastructures capables de limiter les dégâts et les morts dus aux déficiences de toutes sortes dans leur pays et que les Suédois viennent au Maroc pour que leur civisme pallie l’état des infrastructures et la limite des ressources. Mais très vite, les Marocains saccageront tout ce que le peuple du Nord a patiemment bâti et très vite les Suédois amélioreraient, etc… 
Quant aux attitudes anomiques, elles sont légion; nombreux les Marocains en faute et qui désirent que la personne lésée présente ses excuses. Lorsque les Irakiens tiraient des Scuds sur Israël, les Palestiniennes criaient des youyous sur les terrasses, peu inquiètes d’en recevoir sur la tête; moi-même j’ai entendu Abdalmalek, un petit employé, se demander lors d’une promenade à la place Jamaâ El Fna, à la même époque : «Pourquoi [les Irakiens] ne nous tirent-ils pas dessus?» Comme s’il s’agissait d’une distribution de tartes aux fraises. De même, le Marocain peut se plaindre de la malhonnêteté de quelqu’un et prier pour qu’il réussisse (Allah icawan).  Il y a un usage de la foi et de la croyance en Dieu dans des choses abjectes, injustes et violentes; la référence à Dieu ponctue plus fréquemment les attitudes irresponsables que les réussites. Préparer le futur, c’est investir massivement dans l’éducation, et si on peut augurer de celui d’un pays en fonction de son système éducatif, l’avenir du Maroc n’est pas rassurant. L’élite gouvernementale décline toute responsabilité vis-à-vis de la situation. Les agents d’autorité et autres responsables (gouverneurs, caïds, doyens) semblent surtout préoccupés par l’opinion publique : «wa-nāss ash ghadi igulu??». Voici donc de quoi établir une règle infaillible : il n’y a qu’à connaître qui sont ces «nāss» pour savoir comment raisonne le plus hermétique des pouvoirs. 
Ce que la majorité peut concevoir, ce que sont la réalité, la causalité et la rationalité pour elle est donc cela même qui est tenu en compte par les décideurs; mais ce n’est pas à des gens qui ont fort à faire pour subvenir à leurs besoins, qui luttent contre la misère et sont analphabètes par carence de l’Etat qu’il faut demander quel est le sens de la vie, de formuler une éthique ou de parler de réformes. A quoi donc peut servir une élite? En fait, la référence à la population n’est qu’un alibi commode pour ralentir le processus des réformes. Il est des sujets sur lesquels l’Etat brave l’opinion de ces «nāss», l’alliance avec les Etats-Unis. 
Les technocrates de l’ignorance disent que le peuple est ignorant, superstitieux et corrompu et qu’il lui faut une dictature, mais le maintiennent tel quel et se soustraient à leur mission. Incriminer l’analphabétisme et l’immaturité des peuples pour justifier leur servitude est parfaitement en accord avec l’idéologie coloniale. Ces technocrates peuvent protester : nous voulons éclairer la population mais que pensera l’analphabète? D’abord l’analphabète ne pense rien du tout; ensuite, on ne respecte pas l’ignorance sans que cela ne soit suspect ! Enfin, rien n’est plus grave que de montrer du respect pour l’ignorance. 
Au plan des institutions, invoquer la légitimité des ignorants est un désastre. Toutes les tyrannies de l’histoire, depuis celle des Pisistratides jusqu’aux plus récentes autocraties, ont jugé bon de museler l’élite éclairée et de mettre en avant un populisme racoleur. Selon ces données, le Maroc est plus proche de l’Afghanistan et de l’Iran pré-khomeyniste que de la Turquie. Mais la force de l’Etat marocain est de pouvoir rester sur un seuil entre les deux options tout en utilisant un double langage religieux et libéral. 
Toujours est-il que les données sociologiques sont les contraintes de toute action politique, qu’elle soit répressive ou progressiste; bien sûr, le pouvoir politique a sa propre stratégie dans l’utilisation de ces données; il est donc important que les démocrates méditent tout cela et incluent ces contraintes dans leur action pour libéraliser le régime.  


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