Le droit de vote des étrangers et le récit national français : Le triangle des Bermudes de la démocratie (suite et fin)


Par Mohamed Bentahar
Jeudi 24 Juillet 2014

Le droit de vote des étrangers  et le récit national français :  Le triangle des Bermudes de la démocratie (suite et fin)
Le siècle suivant s’est ouvert sur l’invention de la notion de races humaines dotées de caractères héréditaires et si différents qu’ils autorisent un classement hiérarchique. L’égalité des individus est niée par l’inégalité des groupes humains. La race blanche du continent européen devient supérieure à toutes les autres et se voit assigner la mission de civiliser les races inférieures. Les civilisations sont à leur tour hiérarchisées, les plus avancées devant prendre en charge les plus « arriérées ».
En Europe, l’unification des actions et choix politiques des forces de gauche est à l’ordre du jour, les morceaux disjoints du mouvement progressiste tendent à se ressouder, et nul doute que ce mouvement d’unité deviendrait irrésistible il se décidait à jeter par-dessus bord tout l’impedimenta des préjugés, des habitudes et des méthodes hérités des années de rejets.
Un jeune des quartiers sud me disait entre les deux tours des municipales : Si j’ignorais l’histoire de la République française et l’histoire de la gauche française, et que je me contentais uniquement de voter à partir des discours de la droite, sans hésiter j’aurais donné ma voix à l’UMP ou à l’UDI.
Oui sans hésiter, j’aurais donné ma voix à ceux qui reconnaissent les problèmes de ma ville, qui savent l’étouffement vécu ici, qui disent quelque chose de la souffrance et du racisme institutionnel. Mais je sais ce qu’est l’Etat français et ce qu’est la gauche!
Je sais que l’État français (de droite comme de gauche) a colonisé mes grands-parents en Afrique, je sais qu’il a mis en esclavage les miens, je sais qu’il a fait travailler mes parents comme des animaux dans les usines, je sais qu’il continue à piller mon pays en Afrique, je sais qu’il a organisé des ratonnades contre les miens, je sais qu’il est le fer de lance du vampire capitaliste, je sais qu’il est le néocolonialisme.
Et je sais que les partis de gauche ont eu des militants qui ont risqué leur vie pour soutenir la lutte des miens contre le colonialisme, je sais qu’ils sont mes alliés contre l’impérialisme, je sais que malgré tous leurs satanés défauts – avant tout leur paternalisme – je sais que beaucoup de ses militants luttent du côté des sans-papiers. Tout cela je ne l’oublie pas.
Et je leur en veux d’avoir joué l’intégration d’une diversité caricaturale, de ne pas avoir considéré sérieusement les listes indigènes autonomes en 2008, d’avoir tenté de les écraser parce qu’elles n’étaient pas à leur image.
Je leur en veux d’avoir pensé d’abord et en premier à leurs intérêts partisans et à leurs idéaux qu’ils pensent universels. Ils auraient pu composer avec les indigènes. Ils auraient pu mettre de côté leur laïcité à deux balles, leurs «valeurs de la république», ils auraient pu prendre en compte les aspirations des communautés de nos quartiers populaires, nous aurions pu être associés à la gestion des affaires de notre cité avec eux. Mais non !
Pour ma part, je crois que les minorités invisibilisées sont riches d’énergie, de passion, qu’il ne leur manque ni vigueur, ni imagination mais que ces forces ne peuvent que s’étioler dans des organisations qui ne leur sont pas propres, faites pour eux, faites par eux et adaptées à des fins qu’eux seuls peuvent déterminer.
Ce n’est pas volonté de se battre seul et dédain de toute confiance. C’est volonté de ne pas confondre confiance et subordination intellectuelle pour ne pas parler d’immigrés de service.
Or c’est là très exactement de quoi nous menacent les ignorances idéologiques et politiques subies. Nous constatons chez certains militants de gauche : leur assimilationisme invétéré , leur chauvinisme inconscient , leur conviction passablement primaire – qu’ils partagent avec les droites européennes – de la supériorité omnilatérale de l’Occident , leur croyance que l’évolution telle qu’elle s’est opérée en Europe est la seule possible, la seule désirable , qu’elle est celle par laquelle le monde entier devra passer, pour tout dire, leur croyance rarement avouée, mais réelle, à la civilisation avec un grand C , au progrès avec un grand P (témoin leur hostilité à ce qu’ils appellent avec dédain le «relativisme culturel», tous défauts qui bien entendu culminent dans la gent littéraire qui, à propos de tout et de rien, dogmatise au nom de la gauche).
Il faut dire en passant que la gauche parlementaire française a été à bonne école.
De Karl Marx qui voyait, en l’immigration, «L’armée de réserve du capitalisme», ainsi que Georges Marchais qui y voyait l’ennemi du prolétariat jusqu’au tandem PS-Verts qui y voit un « bon électorat mais faut pas trop en réguler quand même », l’immigration n’a jamais été appréciée de la gauche institutionnelle à tel point qu’on se demande comment la droite a pu perdre sa légitimité dans ce domaine.
Je ne sache pas que le paternalisme de gauche proclame une autre prétention. Dans le cas de la gauche et de ses sectateurs, ce n’est peut-être pas de paternalisme qu’il s’agit. Mais c’est à coup sûr de quelque chose qui lui ressemble à s’y méprendre.
 
Aimé Césaire parlait 
de fraternalisme»
Car il s’agit bel et bien d’un frère, d’un grand frère qui, imbu de sa supériorité et sûr de son expérience, vous prend la main (d’une main hélas ! parfois rude) pour vous conduire sur la route où il sait se trouver la Raison et le Progrès.
Or c’est très exactement ce dont nous ne voulons pas. Ce dont nous ne voulons plus.
Nous voulons que nos sociétés s’élèvent à un degré supérieur d’égalité et d’intégration, mais d’elles-mêmes, par reconnaissance des damnées de la conscience collective, par nécessité d’honorer l’esprit des Lumière et son universalité, par progrès de l’Homme, sans que rien d’extérieur vienne altérer ou compromettre.
Dans ces conditions on comprend que nous ne puissions donner à personne délégation pour penser pour nous, délégation pour chercher pour nous, que nous ne puissions désormais accepter que qui que ce soit, fût-il le meilleur de nos amis, se porte fort pour nous. Si le but de toute politique progressiste est de rendre un jour leur liberté à ceux qui étaient là pour défendre la France bien avant la résidence, au moins faut-il que l’action quotidienne des partis progressistes n’entre pas en contradiction avec la fin recherchée et ne détruise pas tous les jours les bases mêmes, les bases organisationnelles comme les bases psychologiques de cette future liberté, lesquelles se ramènent à un seul postulat : le droit à la France comme les autres.
Je crois en avoir assez dit pour faire comprendre que ce n’est pas la gauche que je stigmatise, que c’est l’usage que certains ont fait de ses idéaux que je réprouve.
Que ce que je veux, c’est que la gauche, et qui plus est au pouvoir, tous les pouvoirs, serre aussi ceux qu’elle ignore depuis longtemps, les minorités rebaptisées « diversité », et non la diversité au service d’une matière électorale.
Que la doctrine et le mouvement soient faits pour les hommes, non les hommes pour la doctrine ou pour le mouvement. Et bien entendu cela n’est pas valable pour la seule gauche.
Qu’aucune doctrine ne vaut que repensée par nous, que repensée pour nous, que convertie à nous.
Cela a l’air d’aller de soi. Et pourtant dans les faits, cela ne va pas de soi.
Et c’est ici une véritable révolution copernicienne qu’il faut imposer, tant est enracinée en Europe, et dans tous les partis, et dans tous les domaines, de l’extrême droite à l’extrême gauche, l’habitude de faire pour nous, l’habitude de disposer pour nous, l’habitude de penser pour nous, bref l’habitude de nous contester ce droit à décider dont je parlais et qui est, en définitive, le droit à la personnalité. 
 
C’est sans doute là 
l’essentiel de l’affaire
Il existe une gauche italienne ou belge. Sans très bien les connaître (ou moins bien que les Françaises, si ce n’est à travers les écrits de Norberto Bobbio ou «Je hais l’indifférence» de Gramsci, j’ai à son égard un préjugé des plus favorables. Et j’attends d’elle qu’elle ne verse pas dans les erreurs qui ont défiguré les progressistes européens parfois.
Mais il m’intéresserait aussi et plus encore, de voir éclore et s’épanouir la variété africaine ou maghrébine au sein de la gauche à la française. Il nous proposerait sans doute des variantes utiles, précieuses, originales et nos vieilles sagesses nuanceraient, j’en suis sûr, ou compléteraient bien des points de la doctrine.
Mais je dis qu’il n’y aura jamais de variante maghrébine, africaine, ou asiatique, parce que la gauche française trouve plus commode de nous imposer la sienne. Qu’il n’y aura jamais d’expression reconnue maghrébine, africaine, ou asiatique, parce que la gauche pense ses devoirs envers l’immigration en termes de magistère à exercer, et que l’antiracisme et le droit des immigrés même des socialistes français porte encore les stigmates de ces symptômes de rejet de l’immigré qu’il combat.
Pour revenir à mon propos, l’époque que nous vivons est sous le signe d’un double échec : l’un évident, depuis longtemps, celui du colonialisme. Mais aussi l’autre, celui, effroyable, de ce que pendant trop longtemps nous avons pris pour «la gauche», ce qui n’était que du reliquat de colonialisme. Le résultat est qu’à l’heure actuelle, notre avenir est hypothéqué et nous nous trouvons dans l’impasse.
Cela ne peut signifier qu’une chose : non pas qu’il n’y a pas de route pour en sortir, mais que l’heure est venue d’abandonner toutes les vieilles routes. Celles qui ont mené à l’imposture, à l’oubli, au mépris.
C’est assez dire que pour ma part, nous ne voulons plus nous contenter d’assister à la politique des autres. Au piétinement des autres. Aux combinaisons des autres. Aux rafistolages de consciences ou a la casuistique des autres. 
 
L’heure de nous donner 
la parole a sonné
Et ce que je viens de dire des minorités invisibilisées n’est pas valable que pour elles.
Oui tout peut encore être sauvé, à condition que l’initiative soit rendue à ces citoyens minoritaires mais néanmoins concernées par le vivre-ensemble qui jusqu’ici n’ont fait que la subir, à condition que la démocratie s’ouvre à eux, descende et s’enracine dans leurs lieux de vie , et je ne cache pas que la fermentation qui se produit à l’heure actuelle au travers certains «printemps arabes», par exemple, me remplit de joie et d’espoir et me dit que s’ils ont pu renverser la table pourquoi pas nous dans des «démocraties avancées».
Il y a deux manières de se perdre : par discrimination murée dans le particulier ou par dilution dans l’ «universel».
Aimé Césaire disait dans sa lettre à Maurice Thorez : «Ma conception de l’universel est celle d’un universel riche de tout le particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers. Alors ? Alors il nous faudra avoir la patience de reprendre l’ouvrage, la force de refaire ce qui a été défait, la force d’inventer au lieu de suivre, la force «d’inventer» notre route et de la débarrasser des formes toutes faites, des formes pétrifiées qui l’obstruent».
En bref, nous considérons désormais comme notre devoir de conjuguer nos efforts à ceux de tous les hommes épris de justice et de vérité pour pousser les organisations susceptibles d’aider de manière probe et efficace les minorités invisibilisées dans leur combat pour aujourd’hui et pour demain : combat pour la justice sans hiérarchie, combat pour la culture ouverte et émancipatrice, combat pour la dignité et la liberté, des organisations en mesure de les préparer dans tous les domaines à assumer de manière autonome les lourdes responsabilités que l’histoire en ce moment même fait peser si lourdement sur leurs épaules. 
 
En guise de conclusion
Les «Etrangers» parmi nous écoutent et observent les hésitations et les atermoiements de la gauche quand au droit de vote. Ils entendent «Vous n’êtes pas des nôtres». A quoi certains répondent : «Nous ne voulons pas être des vôtres».
Or le ressentiment qu’ils éprouvent en France est conforté dans le pays d’islam, dont sont issus la majorité, tant par le discours nationaliste que celui des islamistes. La rhétorique anti-impérialiste, antioccidentale et antisémite constamment ressassée dans les pays musulmans contamine les musulmans de France et d’Europe.
Poussée à l’extrême, elle peut enflammer les esprits, et conduire certains à épouser les projets les plus radicaux du fondamentalisme et du jihadisme, attisant ainsi, en un cercle vicieux, la phobie antimusulmane d’une partie de nos concitoyens, français ou européens.
Sous des formes qui se sont constamment renouvelées, l’aversion à l’égard de l’islam et des musulmans n’a jamais cessé.  
Gardons toutefois à l’esprit qu’elle ne fut jamais unanime.
Accorder le droit de vote aux étrangers ne serai-il pas un des socles de cette acceptation et de ce combat contre les radicalismes meurtriers tels que le jihadisme ?
Ayons le courage de ce combat! 


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1.Posté par abdellatif le 24/07/2014 00:16
Pourquoi devons-nous toujours utiliser les termes et le point de vue des occidentaux ?
N'avons-nous plus d'orgueil ni, d'honneur ?

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