Le droit de vote des étrangers et le récit national français : Le triangle des Bermudes de la démocratie (1)


Par Mohamed Bentahar
Mercredi 23 Juillet 2014

Le droit de vote des étrangers et le récit national français : Le triangle des Bermudes de la démocratie (1)
Une autre façon de combattre le jihadisme
Le droit de vote des étrangers et le récit national français : Le triangle des Bermudes de la démocratie
Et si c’était une autre facette de la bataille contre la tentation au jihadisme?

 
«Le droit de vote, ce n’est pas l’expression d’une humeur, c’est une décision à l’égard de son pays, à l’égard de ses enfants». Cette déclaration de Jacques Chirac, a extrapolé le droit de vote des étrangers....

La question du droit de vote des étrangers est doublement d’actualité.
Presque 170 ans après le «suffrage universel », le 5 mars 1848, il est plus que légitime de poser les jalons d’une réforme des modes de scrutin qui permettront à tous les citoyens français, sans exception de disposer des mêmes droits électoraux.
Les dernières élections municipales ont permit pour la 3ème fois, à des électeurs européens (ceux qui ont la nationalité d’un des 26 autres Etats membres de l’Union européenne) de pouvoir voter (et se présenter comme candidat) à ces élections. Ceci a été instauré par le Traité de Maastricht en 1992, mais la France a été très longue à le transposer dans son droit interne. Il a fallu attendre les élections municipales de 2001 pour la première fois.
Ainsi, des Allemands, des Danois, des Portugais, des Italiens ont voté. Ont voté également des Chypriotes, des Polonais, des Bulgares, des Roumains qui ont rejoint l’UE, et qui parfois, viennent juste d’arriver en France depuis quelques mois. Par contre, des étrangers qui vivent depuis très longtemps ici, et notamment, mais pas seulement, ceux qui parfois sont nés dans les colonies françaises ne pourront pas voter. Les Marocains, les Algériens, les Tunisiens, tous les non-Européens, mais aussi les Suisses, les Norvégiens (car leur pays ne fait pas partie de l’UE) ne peuvent pas voter.
Ainsi, la question est importante, fondamentale même pour la démocratie. D’où partons-nous ? Quels sentiments dominent celles et ceux qui attendent ce droit ? Quid de la gauche et ses idéaux égalitaires?
Cet article a pour objectif d’interpeller la gauche, celle au pouvoir et celle qui ne l’est pas, et la solliciter pour agir pour un droit des plus légitimes : le droit de vote des étrangers. Que la gauche se dote de cette dose de courage nécessaire pour renverser la table! 
 
Des êtres «invisibilisés»
Du béton sur lequel est gravée la violence qui nous est faite, notre rage d’être sans cesse relégués au second plan, d’être «invisibilisés» dans les centres décisionnels de la ville ou dans une France que nous avons choisie comme patrie, de n’être utilisés qu’au moment des fêtes et des galas de danses hip-hop, finalement notre rage d’être encore et toujours considérés comme des sujets coloniaux, des êtres inférieurs.
C’est cette même rage qui avait amené les marcheurs pour l’égalité de 1983 à manifester leur refus du racisme, des crimes policiers, la revendication d’être traités comme des citoyens lambda. Ce mouvement pour l’égalité aurait pu donner naissance à un ou plusieurs partis ou mouvements autonomes, héritiers de l’Etoile Nord-Africaine et du Mouvement des travailleurs arabes (MTA) structurés sur une idéologie solide qui reprenne les fondamentaux de Fanon et de Malcolm X, une idéologie qui mette au centre notre dignité et notre libération. Mais non, à la place, la gauche s’en est servie pour créer SOS racisme, pour endiguer et désagréger ce mouvement de l’immigration, pour neutraliser son autonomie et son tranchant radical.
Désormais notre visage apparaît en filigrane dans la pâte même du système, comme l’obsession de notre échec et de notre humiliation.
Et bien entendu, ce n’est pas l’attitude de la gauche, attitude qui semble avant tout avoir été dictée par le dérisoire souci des dirigeants de ne pas perdre la face, qui aura permis de dissiper le malaise et obtenu que cesse de s’ulcérer et de saigner au plus vif de nos consciences une blessure.

Les faits sont là, massifs.
Je cite pêle-mêle : les crimes policiers ont continué, et les contrôles au faciès se sont multipliés, et le droit de vote des étrangers est devenu un songe de plus en plus improbable… Et il y a eu le 11 Septembre, la loi contre le voile de 2004, l’invasion occidentale de l’Irak, les innombrables interventions françaises en Afrique, encore et toujours la colonisation de la Palestine, la négrophobie et l’islamophobie. Et la gauche toujours et encore plus à l’ouest, replié sur elle-même, toujours aussi fermé dans son champ de vision économiste de la société, incapable de faire un pas vers l’indigène, de comprendre que la lutte des classes dans son acception euro-centrée n’est pas notre priorité, que c’est la question de la dignité, El Karama, qui est essentielle car elle cristallise les siècles de piétinement colonial culturel et identitaire.
Le militant blanc de gauche, aussi sincère soit-il, aura beau avoir lu Fanon, il ne comprendra pas que ma mère ait pu être fière de voir Najat Belkacem (elle ne veut pas lui associer son nom marital car chrétien), à la télé au moment où elle fut nommée ministre des Droits de la femme, il ne comprendra pas que ma mère n’en a rien à faire  qu’elle soit de droite ou de gauche, que c’est une question de dignité : voir une Arabe bien habillée, et qui parle bien, c’est un bout de dignité retrouvé! Le gauchiste «standard» me reprochera «d’essentialiser» ma mère et ma communauté, et donc une partie de moi-même au final, parce que moi aussi, instinctivement, je pense comme ma mère.
Parce que ma mère m’a transmis au plus profond de moi, dans mon inconscient le plus archaïque, l’idée que nous sommes écrasés, infériorisés, humiliés en tant qu’Arabes, en tant qu’étrangers.
Et qu’être à la télé entailleur, débattre de politique et manier la langue française comme les Français c’est la plus grande réussite possible, même si ses propos sont «objectivement » parfois discutables! Il est là le clivage racial que ne veut pas comprendre la gauche mais que la droite a parfois mieux traité!
On n’a pas pu ne pas être frappés par la répugnance d’une gauche de progrès s’engager dans les voies de la reconnaissance qualitative des minorités «invisibilisées», sa mauvaise volonté à honorer les 110 propositions de Mitterrand et la 50ème proposition du candidat Hollande et les méthodes qui ont conduit à stigmatiser en permanence ses Français de couleurs d’ailleurs, son inaltérable satisfaction de soi , son refus de renoncer pour sa part et en ce qui le concerne aux méthodes antidémocratiques chères à un électorat qui se recroqueville, bref par tout cela qui nous autorise à parler d’une exception française dans la marginalisation de Français d’origine d’ailleurs (même si nos enfants sont d’origine d’ici, n’en déplaise à tous..), pour qui la vie est devenue de plus en plus dure que Mitterrand, De Gaulle et bien avant eux Jaurès aux Amériques, ont rejetée.
 
Comment taire
notre déception?
Il est très vrai de dire qu’au lendemain du discours du Bourget, nous avons tressailli d’espérance.
On attendait la genèse d’une politique volontariste et probe faisant preuve d’une honnêteté rigoureuse, une désolidarisation avec des décennies de négation, pas un reniement, mais un nouveau et solennel départ, quelque chose comme la gauche fondée une seconde fois... Au lieu du glissement idéologique caractérisant «Les habitants des quartiers populaires qui s’inquiètent des flux migratoires clandestins ne sont pas des racistes», tel que le disait Ségolène Royal dans Le Monde du 25 avril 2012, trois jours après que la candidate du FN a recueilli plus de 18% des suffrages, ou ce que déclarait François Hollande qui estimait le 2 mai 2012 sur BFM TV, qu’»il y a trop d’immigrés en situation irrégulière». Nous n’avons vu qu’entêtement dans l’erreur, persévérance dans le mensonge, absurde prétention de ne s’être jamais trompé , bref chez des pontifes plus que jamais pontifiant, une incapacité sénile à se transformer pour se hausser au niveau de l’événement et toutes les ruses puériles d’un orgueil sacerdotal aux abois. 
Quoi! Tous les socialistes et sociaux-démocrates d’Europe bougent : Italie, Espagne, Portugal, Allemagne, Grande-Bretagne. Et le socialiste français, au milieu du  tourbillon général, se contemple lui-même et se dit satisfait. Jamais je n’ai eu autant conscience d’un tel retard historique affligeant un grand peuple...
Mais, quelque grave que soit ce grief – et à lui seul très suffisant car faillite d’un idéal et illustration pathétique de l’échec de toute une génération – je veux ajouter un certain nombre de considérations se rapportant à ma qualité de citoyen avant tout.
Disons d’un mot : qu’à la lumière des événements (et réflexion faite sur les pratiques honteuses de l’antisémitisme qui ont eu cours et continuent encore, semble-t-il, à avoir cours dans des pays qui se réclament des Lumières), j’ai acquis la conviction que nos voies de minoritaires et celles de la gauche tel qu’il est mis en pratique, ne se confondent pas purement et simplement, qu’elles ne peuvent pas se confondre purement et simplement.
Un fait à mes yeux capital est celui-ci : que nous, issus des diversités, en ce moment précis de l’évolution historique, avons, dans notre conscience, pris possession de tout le champ de notre singularité et que nous sommes prêts à assumer sur tous les plans et dans tous les domaines les responsabilités qui découlent de cette prise de conscience :
Singularité de notre «situation dans le monde» qui ne se confond avec nulle autre.
Singularité de nos problèmes qui ne se ramènent à nul autre problème.
Singularité de notre histoire coupée de terribles avatars qui n’appartiennent qu’à elle.
Singularité de nos cultures que nous voulons vivre de manière de plus en plus réelle.
Qu’en résulte-t-il, sinon que nos voies vers l’avenir, je dis toutes nos voies, la voie politique comme la voie culturelle, ne sont pas toutes faites, qu’elles sont à découvrir, et que les soins de cette découverte ne regardent que nous ?
C’est assez dire que nous sommes convaincus que nos questions, ou si l’on veut la question des minorités invisibilisées, ne peut pas être traitée comme une partie d’un ensemble plus important, une partie sur laquelle d’autres pourront transiger ou passer tel compromis qu’il leur semblera juste de passer eu égard à une situation générale qu’ils auront seuls à apprécier.
Ici il est clair que je fais allusion à l’intérêt que porte la gauche aux origines de ces minorités, intérêt par lequel les gouvernements français, de gauche comme de droite, accordaient aux gouvernements qui croulent sous le poids de la corruption et de l’absence de démocratie.
En tout cas, il est constant que notre combat, le combat des minorités dans leur diversité contre le racisme est beaucoup plus complexe – que dis-je, d’une tout autre nature que la lutte de l’ouvrier français contre le capitalisme français et ne saurait en aucune manière, être considérée comme une partie, un fragment de cette lutte.
Je me suis souvent posé la question de savoir si dans des sociétés comme les nôtres, où les classes moyennes ont une importance politique sans rapport avec leur importance numérique réelle, les conditions politiques et sociales permettaient dans le contexte actuel, une action efficace des socialistes agissant isolément et si, au lieu de rejeter a priori et au nom d’une idéologie exclusive, des hommes pourtant honnêtes et foncièrement acquis au modèle sociétal français, il n’y avait pas plutôt lieu de rechercher une forme d’organisation aussi large et souple que possible, une forme d’organisation susceptible de donner élan au plus grand nombre, plutôt qu’à caporaliser un petit nombre, fût-il «nationalisé». Une forme d’organisation où la gauche serait non pas noyée, mais où elle jouerait son rôle de levain, d’inspirateur, d’orienteur et non celui qu’à présent elle joue objectivement, d’illusionniste vis-à-vis des composantes de la diversité. 
L’impasse où nous sommes aujourd’hui concernant la diversité, malgré quelques symboles à succès me paraît trancher la question : j’opte pour le plus large contre le plus étroit , pour le mouvement qui nous met au coude à coude avec les autres et contre celui qui nous laisse entre nous , pour celui qui rassemble les énergies contre celui qui les divise en chapelles, en sectes, en mosquées, pour celui qui libère l’énergie créatrice des masses contre celui qui la canalise et finalement la stérilise.
« Les droits de l’Homme ne se valent que parce qu’ils sont universels» Dans son texte sur l’empire colonial et l’immigration maghrébine et africaine, Jean-Noël Jeanneney disait : «Le XVIIIème siècle s’est achevé sur la Déclaration des droits de l’Homme en 1789, en proclamant l’égalité naturelle de tous les êtres humains (sans inclure, il est vrai, les êtres de genre féminin).  

A suivre


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