Le désarroi de l'homme postmoderniste


Brahim Azeroual Agadir
Mardi 2 Septembre 2014

Le désarroi de l'homme postmoderniste
L'homme déshumanisé, c’est l'homme programmé pour servir la postmodernité et l’économie mondialisée. C'est également l'homme qui se défait de son humanité à force de se lancer dans des processus aliénants et déshumanisants. 
Inconscient des enjeux de la postmodernité, il court désespérément après l’intégration, la reconnaissance et la promotion sociale.
L'homme déshumanisé et les aléas de l’économie 
L'homme déshumanisé est hanté par le travail, par l'intégration sociale et la réussite professionnelle. Il conçoit le travail comme un gage socioprofessionnel   sans lequel il est impossible de s’imposer socialement.
Il rêve incessamment d' une stabilité professionnelle inatteignable , faute d'adaptation  aux exigences du marché du travail  et de compétences suffisantes .
L'incompétence est le péché originel de la société postmoderniste.
Les exigences en matière de compétences se durcissent, à tel point qu'il est difficile pour l’homme standard de rebondir et d’acquérir les compétences de pointe. Il est exposé plus que ses collègues aux ravages de la récession et du ralentissement économique. Subséquemment, il est la victime idéale de chaque crise capitaliste.
Comme tout bon citoyen économique, il est appelé par le système à consommer davantage et sans hésitation. Consommer l’appartenance est à ce prix. Il se trouve souvent dans l'incapacité de comprendre sa situation socioéconomique, et son devenir socioprofessionnel, dans un système peu avantageux pour l'homme normal et très exigeant en termes de compétences et de performances.
Par conséquent, il est obligé de renouveler ses stratagèmes, de chercher de nouvelles pistes d'affirmation sociale pour sortir du lot. Cette affirmation est difficilement réalisable notamment dans les périodes marquées par le marasme et la débâcle économiques.  
Le système en place a une préférence obsessionnelle pour les exceptions, les extrémités et les l’hyperémotifs .Seuls les exceptionnels, les nouveaux élus par la technologie et la fantaisie sont capables de ressurgir à la surface du système et de profiter de ses faveurs finanço-médiatiques. L’homme lambda est condamné à rester dans sa normalité, c’est-à-dire dans sa non- reconnaissance. 
Le système postmoderne ne reconnait que les extrêmes et les exceptionnels: les grands diplômés, les grandes fortunes, les beautés extrêmes, la force herculéenne, les artistes déjantés, les gagnants du gros lot, etc.
Ainsi la mobilité est l’apanage des possesseurs de dons exceptionnels, de compétences de pointe, d'égards inestimables .Tandis que la modernité fonde son édifice politique et culturel sur les capacités améliorables et perfectibles des personnes normales, la postmodernité s'attèle à sa mission en se basant sur les prouesses prodigieuses et inégalées des personnes exceptionnelles. 
La normalité n'est plus un gage depuis que la mobilité sociale dépend des extrémités et non plus de la perfectibilité des plus méritants.
Dans une économie mondialisée fluctuante, la faveur est accordée non pas aux méritants, mais aux créatifs. 
L’économie postmoderne est axée de plus en plus sur la sur-compétitivité et le culte de la concurrence. 
Le raffinement intellectuel des postmodernistes masque à peine la dimension belliqueuse de la sur-compétitivité et de la concurrence hypostasiée.
La compétitivité n’est plus un moyen permettant de réaliser les idéaux sociaux et le confort commun, mais une fin attestant la distinction psychosociale des talentueux.
L'emploi demeure dorénavant une faveur accordée par la force des choses aux nouveaux élus, aux favoris du système postmoderne suite à une préparation, intellectuelle et technique prestigieuse.   
L’homme postmoderne doit être hyperactif, polyvalent et vigilant pour satisfaire amplement sa hiérarchie et servir passionnément sa structure .Le prolétaire postindustriel, est appelé à se sacrifier pour le devenir de son entreprise .Sans sacrifice de soi, il est impossible de gagner la guerre de la concurrence. 
 Ce qui l'implique malgré lui dans des dynamiques psychosociales peu fructueuses autant sur le plan affectif et émotionnel que sur le plan de l’intégration socioprofessionnelle. 
Quand l' emploi s'éclipse , l’homme déshumanisé se voue au extravagances, aux alternatives consacrées spécialement  aux marginaux : le tchat , les réseaux sociaux, le shopping , le consumérisme, l’amour frivole , les passions, les fantaisies  de toutes sortes, le sport de haut niveau, les voyages excentriques, le porno , les jeux de hasard, etc.
 
L'homme 
déshumanisé 
et le déterminisme 
psychologique
En l'absence de l'idéal collectif, le roman familial fait la loi. 
Tandis que les idéologies modernes s'éclipsent, le retour de la subjectivité prend de l’ampleur .Il est évident que l’éclipse des idéologies historicisantes et historicistes, ouvre les voies au subjectivisme voire au psychologisme.
Il est donc indispensable de puiser dans l'histoire personnelle pour éclairer l’existence de l’individu et de la collectivité loin de toute   narration historiciste fallacieuse et aliénante. Influencé par la culture mondialisée, l'homme déshumanisé se reconvertit au culte de soi et subséquemment au culte de l’enfance.
Le mythe de l'enfance appuyé tant par la psychanalyse que par l’art, entraîne les individus dans un déterminisme psychologique presque primaire et fantasmagorique. Si le déterminisme psychologique est vénéré et exalté, le déterminisme historique est battu en brèche et rabaissé.  Du coup, l’homme déshumanisé se trouve dans l’obligation de     mythifier, d'hypostasier son enfance. L’enfance devient un paradigme archétypal expliquant l'inexpliqué et la structure psychique des individus.
La vie est conditionnée à jamais par les sentiers ténébreux de l’enfance. De ce fait, la vie de l’adulte n’est qu'un prolongement déguisé ou dévoilé d’une enfance toujours en mouvement .Les labyrinthes de l'inconscient  se substituent ainsi aux labyrinthes de l’histoire.
La tyrannie du marché et l’opacité des relations humaines appauvrissent profondément les structures politico-idéologiques de la société postmoderne.
Pour appréhender la trajectoire de sa vie, l'individu esseulé et désidéologisé, doit se pencher exclusivement sur sa psyché. 
 
L'homme 
déshumanisé 
et la frilosité culturelle 
Quand la marchandisation s’accapare de la scène sociale, le monde devint un hypermarché ou une foire ouverte sans répit. On échange pour gagner plus et garder sa part de marché au- delà de tout souci culturel social et écologique.
Contrairement à ses concitoyens venus d' ailleurs, l homme postmoderniste trouve des difficultés énormes à se fier à un système cohérent et harmonieux. Il est obligé de créer un monde habitable, avec les débris d'une postmodernité ravageuse et dé constructrice à foison.
Confronté à l'homme pré-moderne ou à l’homme moderne, il se sent appauvri, frileux et désaxé.  Condamné à s'adapter à l'indécision culturelle régnante, il essaie assidument de créer un monde culturel particulier en collectant des éléments disparates et hétérogènes issus des sous -cultures en vogue dans son ère culturelle. Il souffre constamment d'un malaise culturel aggravé par la saturation culturelle de l'autre.
Il est  incessamment  appelé , à refaire sa cognition , alors qu’il ne dispose  au mieux que d' une formation fonctionnelle  ou technique .Pressé par les changements vertigineux de la société postmoderne, il est obligé de créer son monde culturel en empruntant des mythes, des perceptions et  des rythmes à  des cultures périphériques (asiatiques , africaines ou amérindiennes)  ou de tourner entièrement  le dos à sa  temporalité  et aux valeurs éthiques de sa civilisation.
En se décentralisant culturellement suite à une déconstruction systématique et intransigeante des fondements de la modernité, le centre devient une périphérie culturelle au regard de l’homme mondialisé.
L’absence de référentiel culturel solide, l'empêche de saisir la quintessence et les dimensions des différences culturelles auxquelles il se heurte à chaque instant.
Il est souvent choqué par l’insaisissabilité des sentiments, par l’incohérence fondamentale des choses et l’opacité des relations humaines.  
En réponse à sa déchirure culturelle, il procède soit à un syncrétisme infondé épistémologiquement et éthiquement, soit à une fusion culturelle dans le gnosticisme et l’irrationnel (le bouddhisme, le mysticisme, l'égyptophilie).
 
L'homme 
déshumanisé 
et le cynisme 
de la déconstruction 
Les déconstructions déferlantes ont mis en crise le système référentiel moderne au nom de la critique de l’eurocentrisme et de la métaphysique de la présence.   
Est- il possible d'humaniser ou de réhumaniser un homme voué à se détacher de toute sémantique globale ? Peut-on s’accepter et accepter le monde sans une maîtrise de la géographie du sens et de son historique ? Est-il possible de contourner les excès narcissiques des dogmatiques venant de tous les horizons, en appelant à une déconstruction systématique de tous les principes fédérateurs de l'épistémè moderne ? Est –il plausible de consacrer un siècle à la déconstruction, alors qu'elle est juste une étape dans le processus du renouvellement culturel ? Comment expliquer cette fascination pour la déconstruction voire la démolition pure et simple des constructions théoriques de l'épistémè occidentale ? Est-il possible de sortir du cynisme issu du mariage de la postmodernité et de la mondialisation ?
(N'est-ce pas, une fois passé le bonheur de déconstruire, vouer le monde contemporaine au pur cynisme, aux lois aveugles du marché et de la compétition   mondialisée ?) 
(Luc Ferry)
 
L'homme 
déshumanisé 
et la désillusion 
sentimentale  
La relativisation de la vérité mène inévitablement à la relativisation de l'amour. Néanmoins l’amour est exalté en tant qu'alternative joyeuse par la société de consommation.  Ainsi l'amour est l'utopie d'un monde sans utopie, un idéal sentimental sans vérités sentimentales, une espérance dans une collectivité vouée à la décadence. Bref, l'amour est l'idéologie cendrière d'un monde gris.
L'homme déshumanisé cherche le salut dans l'amour, mais il bute contre l'impénétrabilité des sentiments et la frivolité de l'amour dans les sociétés de l’éphémère.  Certainement, la banalisation du monde a changé profondément notre perception de l'amour .A force de s'imprégner des modèles métaphorisés, l'amour bascule dans l'hécatombe de l'imitation, de la simulation volontaire ou involontaire. L'amour est désormais un produit commercialisable et un palliatif affectif dédié spécialement aux marginaux sentimentaux.
En méconnaissant l’autre, l'amour devient un subterfuge sentimental, qui nous mène à la frustration ou à la désolation.
Quand le sentimentalisme crédule s’ajoute au psychologisme primaire, il sera impensable de vivre une vie sentimentale épanouie et authentique. 
Chaque sentiment, même s'il est authentique, est guidé par une référence, par une programmation esthétique. L'esthétisme gâche tout même les passions les plus vives. La personne effacée ontologiquement et humainement et conditionnée psychologiquement, est nécessairement incapable de s'affranchir des schèmes conceptuels postmodernes et de la technicisation de l’amour à l'ère de la mondialisation.
L'homme déshumanisé est dans une position étrange autant sur le plan psychologique que sur le plan intellectuel ; il est épris des exploits techniques et économiques de la postmodernité, cependant il est très frileux à l’égard des incertitudes et des menaces d'une mondialisation déshumanisante.
 
La réhumanisation 
et la convivialité 
L'homme déshumanisé est submergé par le stress permanent, par des souffrances exacerbées causées par le rythme hallucinant de la vie et les impératifs de la production dans une société en compétition perpétuelle.
L'accélération socioéconomique exige le renouveau incessant des capacités et des aptitudes. Vu que la capacité adaptative de l'individu diminue avec le temps, il est menacé continuellement d’être écarté et jeté aux oubliettes .Or, le sujet mondialisé ne supporte pas de quitter les zones éclairées et de sombrer dans les recoins enténébrés de la société mondialisée.
L’écartement subi suite à une manifestation d'incompétence est souvent considéré comme une descente aux enfers. La disgrâce postmoderne mène le disgracié à l'obésité, à la drogue, à la déchéance psychique et morale, à la traversée du désert, au déni de soi, etc 
Toute disqualification est une mise à mort symbolique de l’être mondialisé hanté par les lumières et la consécration sociale.
 Vu que la mécanique mondialiste exige des chamboulements continuels, même les plus compétents et les plus doués ne seront pas dispensés d’une inéluctable disqualification psychosociale.
Exclu des lumières et des paillettes, l'homme déshumanisé se sent frustré, délaissé et incapable de nourrir son narcissisme et de panser ses blessures narcissiques.
Dépolitisé, désyndicalisé, il véhicule des impératifs qui amoindrissent en réalité ses capacités et le condamnent à vivre dans une vulnérabilité psychosociale croissante.
Est-il possible de réhumaniser le déshumanisé, sans une politique de civilisation , sans substituer la société de la convivialité à la société de la compétitivité ? 
 (Nos forces éthiques luttent  contre la cruauté  du monde, mais elles visent  dans le même temps  à l' accomplissement  de l’être  humain  dans la qualité de vie, c' est-à-dire  la convivialité  et la poésie. Solidarité, convivialité, poésie  de la vie sont interdépendantes et ne peuvent se réaliser que l' une par l' autre .)
( Edgar Morin) . 


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